Quand Antoine s'emmêle

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Le blog de Jérôme Nodenot

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vendredi, janvier 18 2008

Malena Emo - Textes sans consequences

Je suis alle aujourd'hui sur le site litteraire de Malena Emo, etudiante en droit et jeune auteure qui semble participer a des concours de nouvelles pour se faire la main. Elle m'a fait l'honneur de lire ma "Sagesse des Fouch", et j'avais decide de lui rendre la pareille, puisque, selon la phrase lue en page d'accueil du forum 'Jeunes ecrivains',"le meilleur moyen d'etre lu ici, c'est de lire les autres". Je crois y avoir tout lu (trois nouvelles bien ficelees, avec une preference pour "Une epave en souvenir", les poemes, les critiques ; seules les "Lettres" m'ont laisse de marbre, un peu banales peut-etre). Au depart, j'ai un peu oublie la rubrique "Textes sans consequences", ne pensant y trouver que quelques ebauches, je dois bien le dire, sans importance. Finalement j'y suis alle quand meme, pour ne rien manquer, et je dois bien le dire aussi : ces trois petits textes sont sans doute ce que j'ai aime le plus, et ce qui m'a semble le plus prometteur, le seul probleme etant que je ne connais pas grand-chose sur Malena : a-t-elle produit ces essais (de vraies petites nouvelles, en verite) pour participer a un concours a theme ? Quoiqu'il en soit, j'ai decele ici une coherence thematique complexe et convaincante (toujours des personnages, dont un perroquet, qui trouvent l'esperance, sinon leur identite, alors qu'ils se retrouvent dans une situation d'enfermement et de privation de leur liberte), et les memes capacites narratives que dans les textes deliberement qualifies de "Nouvelles". A decouvrir : "Tous mes voeux de bonheur", "Carambo, le perroquet !", et "Le pouvoir du souvenir".

"A l'aube de l'ecriture" est le titre du site de Malena Emo, et il lui va bien. j'incite chacun d'entre vous a y jeter un oeil. Vite vu, vite lu, mais dont l'empreinte de certains de ses textes ne peut etre que durable dans les esprits et les coeurs. URL : http://malena-emo.yargl.com/

Lady Mary, un conte bizarre- Bob boutique

Gerard Desbois ("Deux Boas" pour les Anglais) est un homme, un Belge, incroyablement ordinaire (ses idees sont empruntees aux cliches les plus risibles : "Le plus curieux, c'est que notre homme n'avait jamais franchi La Manche de sa vie, ne connaissait personne dans le pays et s'imaginait d'ailleurs que tous les Anglais etaient roux et portaient de grosses moustaches pour cacher leurs dents de lapin".). Cet element participe a la reussite du texte, on est charme par ce "heros" naif, ignorant de tout (entre le Plume de Michaux et les personnages de Marcel Ayme) qui plonge dans une aventure extraordinaire qui le depasse, vis-a-vis de laquelle il est d'une passivite desesperante. L'intrigue est prenante, le style est caracterise par un bel equilibre entre poesie et simplicite (qui colle parfaitement au fond et a la "psychologie" de Desbois). Le visuel, la puissance d'evocation nous siderent quelquefois : "Son rimmel dilue par les embruns forme une toile d'araignee sur son visage qu'une bouche etalee par le rouge a levres rend clownesque et grimacant. Ses yeux qui refletent la lune brillent comme deux braises de charbon." Tout cela forme un melange detonant, et l'on se perd dans l'hypertextualite (entre Marcel Ayme, deja cite, litterature gothique, voire scandinave). Un bon texte, faisant partie d'un recueil publie recemment par les editions Chloe des Lys.

mardi, octobre 16 2007

Prix littéraires : Alexandrie Online 2008

Comment lire sur internet des textes littéraires de qualité ?

Le site d'émergence d'auteurs issus du Web, Alexandrie Online, vient de proposer sa sélection d'ouvrages en lice pour le Prix 2008, qu'il devrait décerner le 15 Décembre. Tous sont téléchargeables gratuitement (que l'on soit membre ou anonyme), et ce sont les lecteurs qui éliront les lauréats, pour les trois catégories : Roman, Nouvelle, Mixte. Rendez-vous sur "Alexandrie.org".

Dans la galaxie internet foisonnent des milliers d'auteurs, blogueurs, des écrivains qui se construisent au jour le jour. C'est une force en devenir, dont chacun devra tenir compte. La seule faiblesse de ces auteurs, c'est la dispersion, qui empêche du même coup le développement d'un lectorat propre à la Toile : qui est bon, qui est mauvais ; comment s'intéresser à des textes inconnus du grand public ? Ce qui manque à la littérature sur internet, ce sont des filtres. Un site comme Alexandrie Online (association de fait, entièrement gérée et animée par des bénévoles, notamment un comité de lecture) est un support unique, sur lequel un auteur peut exposer toutes les facettes de sa personnalité, en publiant ses oeuvres, en ouvrant un blog, en faisant de la critique littéraire, en participant à des forums de discussion. Quelle facilité, ensuite, pour un internaute, pour le moindre curieux, de le repérer, de le connaître en profondeur ! Toute la magie d'internet est là, dans ce principe même : donner à des écrivains en devenir la possibilité de "s'inventer" au fil des jours, et aux lecteurs du Web de dénicher facilement des oeuvres de qualité qu'ils peuvent lire gratuitement.

La sélection du comité de lecture d'Alexandrie pour son prix annuel est un bon moyen pour des lecteurs souhaitant sortir un peu des sentiers battus de l'édition traditionnelle de découvrir des textes de qualité (entre autres). Avis aux curieux passionnés de littérature et qui aiment lire.

vendredi, août 3 2007

Les Enfants de l'Ô- Vanessa du Frat

Après réflexion j'ai donc décidé de mettre aux "Enfants de l'Ô" la note suprême. Cet ouvrage me paraît d'une richesse infinie. De toutes ces qualités, je retiens d'abord l'art de la narration : le style est à la fois très accessible et maîtrisé, le suspens vous tient du début à la fin. "Les enfants de l'Ô", c'est d'abord une histoire captivante, dans laquelle on se plonge sans retenue. C'est aussi un roman sur la condition humaine, avec ses jeux de pouvoirs, l'amour qui sous-tend l'ensemble, des ambitions, etc. En approfondissant un peu, il est encore possible d'en faire une lecture mythologique : histoire de jumeaux, de patricide, d'amours incestueuses ; les références récurrentes, en outre, à cette autre grandiose mythologie, Star Wars, me semble riche de sens et appropriée. Enfin, "Les enfants de l'Ô" est un roman sur la folie, celle du père, à l'origine de toute l'intrigue. Le côté SF ne sert à Vanessa du Frat que de support (pour mettre en lumière le côté symbolique de son texte), elle n'est pas une fin en soi, de même que Cervantes en son temps s'était servi des romans de chevalerie pour faire autre chose. Une oeuvre essentielle, à découvrir entre toutes.

lundi, juin 4 2007

Hijo de Africa-Perrine Cambon

Deux êtres purs, à peine sortis de l'adolescence, qui s'aiment en harmonie avec la nature africaine et à l'encontre des idées reçues des adultes pollués par la civilisation. Un amour impossible à cette époque, entre une Blanche et un Noir (deux mondes qui ne peuvent pas se rejoindre). "Hijo de Africa", de par ces thèmes réincarnés, m'apparaît comme une réactualisation de mythes romantiques oscillant entre "Roméo et Juliette" et "Paul et Virginie". Le style de Perrine Cambon (sobre, naïf parfois, pur) s'accorde merveilleusement avec le propos et l'état d'esprit des amants, avec la nature sereine qui les entoure et les enveloppe (Rousseau plane au-dessus du texte, du début à la fin de l'idylle). "Hijo de Africa" est enfin un magnifique portrait de femme luttant pour sa liberté ; on se demande même si elle n'a pas choisi d'achever son destin comme elle le fait, comme s'il s'agissait d'un acte libérateur, et peut-être (quel paradoxe !) d'une victoire définitive sur son père.

mardi, mai 29 2007

Jean de Lafontaine-Le défi

"JEAN DE LA FONTAINE, LE DEFI"

Je suis allé voir il y a quelques jours ce film, avec Lorant Deutsch dans le rôle principal. Où l'on découvre une certaine qualité chez La Fontaine : la loyauté.

Fouquet, un homme puissant et protecteur des artistes (La Fontaine, Molière, Racine, etc.), est arrêté sous l'ordre de Colbert, afin de laisser à Louis XIV toutes latitudes pour être le seul maître à bord du bateau France. Immédiatement, à la différence de ses amis écrivains qui s'empressent de se mettre au service du Roi pour assurer leur subsistance, La Fontaine choisit de défendre Fouquet, ce qui lui vaudra de connaître la misère et les poursuites de Colbert (qui cherche par tous les moyens à faire taire ce rebelle malpoli envers la royauté). Contre vents et marées, La Fontaine écrira ses fables, des textes en faveur de Fouquet (qui finalement, grâce à lui, évitera la mort). Et si enfin il parviendra lui aussi à obtenir de faire partie des courtisans, c'est uniquement à la force du poignet, parce qu'il a réussi à séduire un large public avec ses fables au point de ne plus vraiment laisser le choix à Louis XIV. Colbert, lui, dut rabaisser son caquet et même, si j'ai bien compris, lui offrir son fauteuil à L'Académie Française une fois mort. La Fontaine, jusqu'au bout, restera un insoumis, d'une lucidité implacable sur son époque, homme à femmes, rêveur, etc. A noter également la précision des décors qui nous plonge dans la réalité du XVIIè siècle comme si nous y étions vraiment. La réalité des artistes, entre autre... Sinon, par contre, rien de bien nouveau, c'est un film bien français, genre "historique". Mais c'est à voir, ne serait-ce que pour y découvrir dans le vif tous ces auteurs que l'on a si bien connus à l'école, mais sous un angle, disons, moins académique.

 www.cinefil.com/film/jean-de-la-fontaine-le-defi

dimanche, mai 27 2007

Truman Capote-le film

J'ai toujours eu un faible pour les films qui sont des adaptations de livres, dont les héros sont des écrivains ayant réellement existé, ou bien encore des films réalisés par des écrivains eux-mêmes ; je pense notamment au "Facteur" avec le regretté Philippe Noiret, à "Smoke" ou "Lulu on the Bridge" de Paul Auster, aux "Légendes d'Automne" ou "Wolf" tirés de romans de Jim Harrison.

De plus, il est toujours intéressant de réfléchir aux rapports parfois idylliques, souvent difficiles entre la littérature et le cinéma (les écrivains sont rarement satisfaits des adaptations cinématographiques qui sont réalisées de leur livre).

Je souhaiterais parler ici d'un film qui m'a particulièrement interpelé, pour ne pas dire troublé : "Truman Capote", qui a valu à Philip Seymour Hoffman l'Oscar du meilleur acteur 2006. Il est vrai qu'il incarne un Capote plus vrai que nature, avec sa voix haut-perchée, ses manières éfféminées, son côté beau-parleur genre jet-set associé à une sensibilité hors du commun. Tout y est.

Voici comment est présenté le film sur la jaquette de l'édition collector parue il y a quelque temps : "1959. Une famille de fermiers est froidement assassinée au Kansas. L'Amérique est sous le choc. Truman Capote se rend sur place pour enquêter. Il assiste à l'arrestation des deux meurtriers, se lie avec eux et les harcèle de questions sur leur parcours, leur histoire. 10 ans plus tard naît "De sang froid", véritable chef-d'oeuvre de la littérature."

L'intérêt (tout en subtilité) de ce film est de nous montrer la genèse du roman "De sang froid", la nécessité intérieure qui en est à l'origine, et les capacités d'auto-destruction de l'auteur pour arriver à produire ce qu'il doit produire, comme s'il fallait tout sacrifier à l'art. A l'origine, il y a une identification de Capote à l'un des deux meurtriers : il aurait pu devenir lui aussi ce meurtrier. Ensuite, l'idée d'un sujet : "Le choc des deux Amériques : le monde structuré que connaissent les victimes, et l'univers sans morale ni valeur des tueurs." A cela se mêle sans doute un sentiment particulier, pour ne pas dire amoureux, avec le meurtrier en question (Capote était homosexuel). Enfin, une incroyable complexité psychologique de l'écrivain, d'où mon trouble : d'un côté l'attachement dont j'ai parlé, et de l'autre l'exécution par pendaison qu'il souhaite pour pouvoir mener à bien son livre, pour pouvoir le terminer. D'un côté il se prend d'affection pour le meurtrier, de l'autre il le manipule pour obtenir des renseignements sur le crime, au point de lui mentir parfois ; par exemple, Perry Smith (tel est le nom du tueur) apprend dans un article de journal que le livre s'appellerait "De sang froid", titre qu'il n'aime pas ; Capote lui dit qu'il s'agit d'un titre provisoire choisi à la légère par son éditeur, alors que nous savons que c'est bien lui-même qui l'a choisi ! Au bout du compte, Perry sera pendu, sous les yeux de Capote qui assiste à l'éxécution. Les deux hommes avaient discuté pour la dernière fois quelques minutes auparavant, avec un Capote en larmes et Perry qui le réconforte !

"De sang froid" est écrit dans les années qui suivent. Capote ne se remettra jamais des troubles psychiques que cette affaire aura provoqués chez lui, au point de le faire sombrer encore davantage dans l'alcoolisme qui le tuera des années plus tard. Faut-il tout sacrifier à l'art, à commencer par soi-même ? Les chefs-d'oeuvre sont-ils toujours la conséquence d'une crise intérieure insoluble ?

samedi, mai 26 2007

André Gide-L'immoraliste

L'oeuvre d'André Gide s'inscrit dans la tradition du "discours continu sur l'homme", dont quelques avatars les plus célèbres seraient Montaigne, Rousseau, Stendhal. Il s'applique à faire sans cesse l'examen de soi, et de voir où bien cela peut le mener, en se remettant en question et sans jamais faire l'apologie de rien, sinon de "l'originalité et l'autonomie de l'individu". André Gide est l'une des figures marquantes de la première moitié du XXème siècle, et fondateur de la NRF. Prix Nobel en 1947.

Résumé de "L'Immoraliste" :

"L'Immoraliste" (écrit en 1902, Gide avait 33 ans) est la confession que fait Michel, le personnage principal, à ses amis, une nuit, devant le désert. Michel est un pur produit d'une éducation puritaine et a fait d'austères études avant de devenir historien spécialisé dans l'Antiquité, les vieilles pierres. Il épouse Marceline (qu'il aura du mal à désirer) ; lors de leur voyage de noces en Tunisie il échappe de peu à la mort à cause d'une maladie dont il relèvera après de grandes souffrances et un affaiblissement considérable. C'est ensuite, de par ce retour à la vie et au contact d'enfants tunisiens, qu'il prendra conscience de ses priorités, de sa "soif de vivre", et qu'il construira son "nouvel être". Cette transformation radicale passera par une volonté de sentir son corps exister, par un désintérêt pour son métier, pour les vieilles pierres mortes auxquelles il préfère la chaleur du présent ; il devra aussi se débarrasser des conformismes, de ses contraintes puritaines. Rentré en France avec la fragile et attentionnée Marceline, il passe l'été à La Morinière (propriété familiale en Normandie) avant de s'installer à Paris. Il y reprend son ancienne vie mais abhorre les gens qui l'entourent : il se sent différent. Il se rapproche en revanche de Ménalque, un individu délibérément sans attaches, qui veut vivre au fil de ses envies. Pendant un moment Michel croit que Marceline va lui donner un enfant, mais cela sera impossible, ce qui le plonge dans une quête effrénée de lui-même, de l'être qu'il a toujours souhaité devenir. Marceline tombe malade à son tour. Tout le reste du récit sera constitué par l'ambivalence de Michel qui d'un côté veut ne penser qu'à s'épanouir en tout égoïsme, et d'un autre s'occuper de Marceline (mais on a le sentiment qu'il souhaite presque sa mort). Tous deux retournent à La Morinière ; Michel, contrairement à l'année précédente, s'intéresse moins à la gestion de ses terres qu'à certains ouvriers qui la travaillent, des voyous, des alcooliques, des braconniers ; des hors-la-loi. Il entraîne enfin Marceline dans une fuite en avant, de nouveau jusqu'en Tunisie, prenant toujours les mauvaises décisions par rapport à la santé de son épouse. Au bout du compte Marceline mourra, tandis que Michel, délaissant sa femme, goûtait la vie la plus libre dans les nuits tunisiennes. Il restera finalement en Tunisie, où il raconte sa "libération" à des amis : l'ouvrage que l'on vient de lire.

Thématique, évolution psychologique :

  • "Un nouvel être" : l'état d'esprit de Michel au sortir de sa maladie me paraît spontané, naturel ; il se découvre à lui-même ("Et soudain me prit un désir, une envie, quelque chose de plus furieux, de plus impérieux que tout ce que j'avais ressenti jusqu'alors : vivre !"). Dans le désert tunisien il essaye de se fondre avec la nature, se rase, se laisse brûler par le soleil, privilégiant son corps à son esprit ("je sentais extraordinairement"). Toujours spontanément, il comprend qu'il avait fait fausse route, et qu'il lui faut se débarrasser de son éducation : il se compare à un palimpseste qu'il doit gratter pour partir à la découverte d'"un texte très ancien infiniment plus précieux" ; retrouver l'état sauvage sous une épaisse couche d'instruction puritaine. Il ne veut penser qu'à son épanouissement personnel, en faisant fi de tous les tabous.
  • Identifications : peu à peu Michel, après cette réaction débridée, irréfléchie, va s'analyser davantage. D'abord, il va s'identifier à sa nouvelle façon de concevoir son être. Rentré à Paris ses anciens congénères le dégoûtent : "Ils se ressemblent tous, lui disais-je. Chacun fait double emploi. Quand je parle à l'un d'eux, il me semble que je parle à plusieurs. - Mais, mon ami, répondait Marceline, vous ne pouvez demander à chacun de différer de tous les autres. - Plus ils se ressemblent entre eux et plus ils diffèrent de moi." Michel va se glorifier de sa différence, et tomber dans le culte de l'individualisme forcené ("ce qui me séparait, me distinguait des autres, importait ; ce que personne d'autre que moi ne disait ni ne pouvait dire, c'était ce que j'avais à dire." Il y a du Zarathoustra chez Michel, l'idée de se placer au-dessus des autres, en solitaire. Au fil de ses rencontres il en arrivera à n'apprécier que les marginaux, les malfrats.
  • Disponibilité, liberté absolue : A la mort de Marceline (qui par sa faiblesse le gênait, lui qui n'aime plus que les forts, ceux qui ont la santé), Michel a fini par obtenir la vie qu'il recherchait. Pourtant, cette disponibilité le déconcerte (car les remises en question chez Michel, comme chez Gide, sont nombreuses). Il demande à ses amis, venus écouter sa confession : "Arrachez-moi d'ici à présent, et donnez-moi des raisons d'être. Moi je ne sais plus en trouver. Je me suis délivré, c'est possible ; mais qu'importe ? je souffre de cette liberté sans emploi".

Telle est à mon avis le grand intérêt de "L'Immoraliste" : non pas de nous enseigner quoi que ce soit (Gide ne voulait pas de disciple), mais de nous faire réfléchir sur les questions les plus fondamentales à propos de l'identité humaine. Qu'est-ce que le "moi", peut-on avoir une personnalité sans vivre à travers les autres ? Quelles sont les limites de l'individualisme ?

vendredi, mai 25 2007

Critique : Grand Hôtel du Merdier-Guy Sembic

Dans "L'insoutenable légèreté de l'être", Kundera écrit : "le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde". La culture kitsch est celle, en effet, qui tend à nous montrer le monde dans lequel on vit comme quelque chose d'abouti, d'admis ; la vie est ce qu'elle est, et elle est belle. Le kitsch, ce sont les paillettes et le rêve de la Star Académy, les sandwiches de McDo, les séries américaines, la fraternité des chanteurs de variété. L'existence de l'Homme a un sens, et rien en lui n'est ridicule. Mais l'Homme ne fait-il pas caca ou pipi ? Non. Le monde n'est pas de la merde. Il y a eu le kitsch communiste, fasciste, et aujourd'hui celui de la société de consommation. Dans le texte de Guy Sembic, on assiste à un incroyable renversement des valeurs. Nos héros font pipi, caca, rotent à chaque coin de rue, en un déferlement extatique et jubilatoire pour le lecteur. C'est un cauchemar surréaliste, hallucinatoire, mais au combien symbolique. La remise en question de nos idées reçues et de l'état du monde est sans aucun doute la vocation de l'auteur, mais sa plus grande réussite est d'avoir fait fusionner un déchaînement "orgasmique" des mots avec une écriture au contraire parfaitement maîtrisée. Je me suis amusé à le lire une seconde fois en me laissant simplement porter par la sonorité des mots, sans chercher à en comprendre le sens, et je crois que j'aurais pu aller jusqu'au bout si je l'avais souhaité. Un grand bravo à Guy Sembic. (Prix de l'Essai Alexandrie 2007).

Critique : Près du petit pont-Mireille Régnault

L'histoire on ne peut plus actuelle (du moins dans ce qu'elle représente) d'un conflit de générations. Le vieux père, à la fois constant dans sa modestie, sa dignité, et soucieux d'assurer la continuité de son moi à travers ses enfants (en l'occurrence sa fille), mais qui ne peut qu'échouer (ses descendants, trop loin, trop "ailleurs", ne souhaiteront pas bien sûr profiter de cette maison du bonheur qu'il avait rêvée pour eux). Inès, quant à elle, recherche (et parvient à acquérir) une réussite toute matérielle, égoïste et sans doute déshumanisée : elle ne se reconnaît même plus en son père et s'il parvient encore à l'intéresser, ce n'est que pour l'argent qu'elle pourra lui soutirer. D'où leur incompréhension réciproque. D'où l'impression de néant qui soudain habite le vieux. Jusqu'à ce qu'un petit événement moins insignifiant qu'il n' y paraît redonne un sens à sa vie. Toute notre époque (sans en avoir l'air) est présente dans cette nouvelle au style sobre, comme il convient au genre, et à la psychologie de ce personnage plein d'humilité, de bon sens. Un texte court qui nous fait longuement réfléchir. (Prix de la Nouvelle Alexandrie 2007).

Critique : Place aux amateurs-Jean Matrot

Nous suivons les tribulations de ces "paumés" ordinaires avec plaisir. La question est donc la suivante : comment l'auteur a-t-il procédé pour créer chez le lecteur cette jubilation ? Umberto Eco, dans son essai "De Superman au surhomme", écrit : "Il existe aussi une chimie des émotions, et, selon une tradition ancestrale, une intrigue bien ficelée est une composante génératrice d'émotions". Je crois que tout procède ici de ce que l'on pourrait appeler une esthétique du délire : la narration est tout en rebondissements plus improbables les uns que les autres, et c'est ce qui nous plaît, parce qu'ils nous évadent de notre existence pépère tout en ayant un effet cathartique (en ce sens où nous sommes bien contents ensuite de retrouver notre routine et de ne pas avoir vécu nous-mêmes ce cauchemar). Le divertissement me semble par conséquent toujours plus que ce qu'il veut bien paraître. Sinon, "Place aux amateurs" est un polar parfaitement dans les normes, avec notamment cette critique de notre monde un peu rabâchée selon moi (cf Pascal Dessaint et autres auteurs du genre) : le racisme, la désespérance sociale, etc. ; mais elle demeure en filigrane dans ce texte, disons juste ce qu'il faut. Conclusion : une belle réussite, une littérature "facile" à ne pas confondre avec "idiote". (Prix du Roman Alexandrie 2007).

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