Je repense au rêve final dans "La sagesse des Fouch", qui a troublé certains lecteurs. "La sagesse des Fouch" est un roman assez court, et limité dans le temps (j'imagine deux ou trois mois) ; c'est un peu l'histoire de la prise de conscience d'Antoine au contact des Fouch, ce qui d'un point de vue diégétique rapproche mon texte de la nouvelle. Dès le départ, pourtant, je savais que je voulais faire mourir mon héros (même symboliquement) ; j'ai donc eu l'idée de ce rêve que je suis sensé avoir fait en tant qu'auteur-narrateur (puisque je suis aussi l'un des personnages du roman), qui résume un peu ma façon personnelle de ressentir les Fouch tout en donnant me semble-t-il une profondeur temporelle à l'ensemble (comme si mon livre de 150 pages avait raconté finalement toute la vie d'un homme). Mon premier intérêt était donc d'ordre spatio-temporel, narratif. Dans mon rêve, il fallait que Fouch reste fidèle à lui-même, dans sa propension à jouer des tours au système, dans son anti-conformisme et son espièglerie. Ici, la victime en sera le présentateur du journal de 20 heures. Je souhaitais également que la tension sexuelle du livre transparaisse, d'où "mon" aventure d'un soir avec une fille membre de la secte. Il y a tout de même un sens facilement repérable dans ce rêve : la secte dont Fouch est le gourou a la particularité d'être ironique, c'est-à-dire qu'elle ne croit pas en ses préceptes et ne les applique que pour montrer au monde ce qu'il est, avec tous ses défauts ; en particulier la mondialisation et l'uniformisation des cultures qui va avec. Pour le reste, nous pouvons (et moi le premier) imaginer d'autres sens possibles. Dernier petit secret concernant ce rêve final : j'ai tenté, au niveau du style, de parodier la manière de Jorge Luis Borges, l'un de mes écrivains préférés.

De Borges, Calvino écrit que l'on a reconnu en lui "une idée de la littérature comme monde construit et régi par l'intellect". Il ne s'agit plus de réalisme pour dire le chaos incompréhensible de nos sociétés , mais bien de parler de l'homme et de l'univers à la manière d'un enfant qui jouerait avec les romans d'aventure et les contes policiers pour en faire des instruments de complexité intellectuelle ; Borges, dans ses contes (que l'on appelle quelquefois "métaphysiques"), apporte une connaissance de l'identité humaine universelle (qui fonctionne dans tous les contextes socio-économiques), et c'est en cela sans doute qu'il me fascine ; avec aussi cette capacité qu'il a , mine de rien, de parler de lui (aspect autobiographique), ce qui fait que peu à peu il devient presque comme un ami, un auteur très attachant. Il aura surtout, à mon avis, permis l'avènement d'une autre conception de la littérature en montrant l'importance de Stevenson, Lewis Carroll, Chesterton, Edgar Poe, etc., tous ces écrivains qui ont marqué notre enfance et qui souvent n'étaient pas reconnus comme de "grands" écrivains.

On dit toujours que l'on écrit les livres que l'on aurait aimé lire. J'ai entendu récemment sur France Inter un écrivain (j'ai oublié son nom, hélas, je sais toutefois qu'il est publié chez Stock) donner une autre définition de l'écriture : "un enfant adore écouter les histoires que lui lit sa maman avant de s'endormir ; eh bien, un écrivain est un homme qui n'a plus sa maman, et qui du coup s'invente ses propres histoires" ; bien sûr, c'est un peu gnangnan et médiatique, comme il se doit, mais l'idée en soi ne me déplaît guère : en ce qui me concerne, j'aime à tenter de retrouver dans ce que j'écris les émotions de mon enfance, ou de mon adolescence. Un jour, alors que j'étais encore très jeune et par conséquent un peu prétentieux, j'ai découvert Borges, et je me suis dit : si lui parvient à fabriquer de la grande littérature en utilisant les procédés de la littérature populaire, pourquoi pas moi ? Depuis j'ai découvert d'autres auteurs contemporains appartenant à la même lignée : Calvino, Paul Auster, Umberto Eco, Garcia Marquez, notamment. Il y a aussi de grands auteurs français (plus anciens) : Rabelais, Voltaire, Diderot, etc.

Pour ce qui est de l'art de la narration, en tous les cas, ce sont eux qui peuplent mon petit territoire littéraire personnel, c'est certain. Avant d'être (je l'espère) plus que cela, "La sagesse des Fouch" est d'abord un conte libertin, "L'alphabet d'un paradoxe" (qui devrait bientôt s'appeler "Le roman de Baptiste") un conte policier ; quant à "La vie extraordinaire d'Adam Borvis", l'influence du conte est encore plus évidente.