Dans la première partie du roman, nous avions une vision aérienne, disons géopolitique, du pays des guignols gris. Ici, nous entrons dans le vif du sujet en nous intéressant au cas d'Eridan, et à son voyage initiatique qu'il fait à vélo (en avalant les kilomètres à une cadence remarquable). Le monde que s'est imaginé Guy Sembic est toujours très concret, précis (dans la topographie des lieux, le vocabulaire pour les moyens de transport, etc.) ; il n'a rien a envier sur ce point à un auteur pourtant réputé pour cela : Maurice G. Dantec (la comparaison est flatteuse bien que par ailleurs ce dernier ne plairait pas sans doute à Guy). "Le Pays des guignols gris" c'est d'abord un univers, une atmosphère propre à son auteur, et il mérite d'être lu pour ce seul critère. L'aspect philosophique en serait selon moi la seconde raison : il existe bien une sagesse très particulière dans ce livre. Eridan (dont Guy Sembic-Yugcib avoue qu'il lui ressemble) ne peut exister qu'en allant au contact des autres, en les acceptant comme ils sont et en les considérant toujours comme des individus importants, capables de nous enrichir. Eridan préfère les Auberges de Jeunesse, les marginaux souvent, les atypiques, et nous faisons connaissance avec certains d'entre eux qui attirent notre attention et prennent vie sous nos yeux. Je rappelle la trouvaille de Guy Sembic qui résume bien cette attitude au monde : "s'exister les uns les autres", ou l'altruisme posé comme élément fondateur de la constitution du moi (jamais figé, toujours en éveil et à l'écoute). Le style est puissant, poétique, singulier, déjà repéré par plusieurs lecteurs, nul besoin d'y revenir ici. Je ne résiste pas enfin à vous donner en exemple ce passage, à la fois projet littéraire de tout le roman selon moi, projet philosophique, et qui vous donnera une idée du style. C'est Eridan qui parle, bien sûr : "Cela me vient de tous ces visages ... Quand je pense que l'aventure se poursuit dans le livre 3, quel enrichissement en perspective !