Quand Antoine s'emmêle

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L'oeuvre de Mathieu Goux

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mercredi, juillet 23 2008

Rosa Rosarum - Mathieu Goux

Ceux qui ont lu le forum concernant cet ouvrage retrouveront ici les points que j'y ai abordés. J'ai lu deux fois "Rosa Rosarum", dont j'aurais envie, pour reprendre une image qui pourrait être borgésienne (Borges est un auteur apprécié par Mathieu Goux, semble-t-il), de traduire le titre par : "La Rose de la Rose de la Rose de la Rose, etc.", tant la richesse thématique semble se perdre à l'infini. "Rosa Rosarum" est un texte considérable : maîtrisé, irrésumable, au style florissant, personnel et tout à la fois très "français", polyphonique, complexe au niveau de l'interprétation, très original dans sa profondeur philosophique (je retiens en particulier ce "Réquisitoire contre la lecture" déconcertant). Une seule chose me dérange (mais elle participe au côté labyrinthique de l'ensemble) : je ne sais pas si l'on peut parler à son propos de "roman", tant les thèmes me semblent nombreux et sans forcément trop de liens entre eux (mais il s'agit plus d'un énervement de ma part vis-à-vis de l'interprétation, qu'un véritable défaut) ; or, généralement dans les romans polyphoniques (je pense aux "Démons" de Dostoïevsky, ou à Kundera dans la plupart de ses oeuvres), les intrigues, les tonalités sont multiples, les thèmes peuvent différer mais avec toujours des recoupements, des points de rencontre. Alors qu'ici j'ai un peu de mal. Rien qu'avec le motif de la "Rose", je suis un peu perdu. Mathieu, vos textes sont de vrais casse-tête, et malgré tout je ne parviens pas à m'en décrocher. Félicitations, dans tous les cas. Je sais que d'autres volets de cette exploration sont en préparation ou même presque prêts à être publiés : nous les attendons avec impatience.

PaRa Doxa - Mathieu Goux

Il est très difficile de parler de cet ouvrage à la fois génial et très frustrant pour le lecteur. C'est de toute manière un réquisitoire contre l'idée de critique littéraire, comme s'il fallait lire et puis se taire. Je n'ai pas pu m'empêcher toutefois d'en parler beaucoup sur le forum le concernant ! La vérité "vraie" ne peut se trouver que dans la genèse du livre, sa construction. Pour le reste, je me permettrais simplement un petit conseil : il faut lire "PaRa Doxa" sans se poser trop de questions quant à l'interprétation, en se laissant porter par les mots ; alors, vous en aurez un immense plaisir sans en connaître les frustrations. Je n'ai en tout cas jamais connu sur le Web un auteur (si jeune, en outre) autant capable d'être à la fois intelligent et artiste, original dans le traitement des thèmes qu'il aborde. Très prometteur, c'est une évidence.

vendredi, mai 25 2007

Critique : Acide abîmé-Mathieu Goux

Ce texte a été écrit par un jeune auteur de 20 ans, étudiant en Lettres Modernes : le procédé de distanciation qu'il met en place (un trentenaire posant un regard rétrospectif sur ses années universitaires) est donc fictif et sert de cadre à l'ensemble, donnant par là-même une profondeur temporelle qui participe à la réussite de l'ouvrage. Il s'agit ici d'anecdotes concernant plusieurs personnages et différentes intrigues succintes et fortes : je serais tenté, plutôt que d'essai, de parler de "récit" polyphonique avec une thématique commune : une attitude face au monde se révélant comme une volonté de marquer une certaine indépendance d'esprit, de liberté de penser (cf le positionnement politique vers le début du texte que j'ai trouvé fameux) ; le besoin de se singulariser, de refuser de suivre le troupeau (un exemple symptômatique : pour le narrateur, une dissertation c'est : "Thèse, Antithèse, Foutaise"). Mais le plus remarquable reste sans aucun doute cette lucidité pour un si jeune auteur qui a su se projeter dans l'avenir, et imaginer le travail de sape de la vie qui souvent nous désillusionne par rapport à nos grands idéaux d'individu "unique" ; en effet, à trente ans, l'étudiant révolté tous azimuts sera marié et ancré dans une vie qu'on imagine pépère et banale. La figure de Dieu joue dans le récit un rôle prépondérant, qui sort le texte de la satire pour lui donner une dimension poétique : le narrateur finira lui aussi dans les "limbes" de ceux qui ne croient plus en Lui. Que sont ces "limbes" ? Le temps infini passé dans l'ennui et la routine. "Acide Abîmé" serait donc interprétable comme l'équation parfaite d'une prise de conscience désastreuse sur la fin des grandes illusions sur soi-même. Une construction qui "boucle la boucle", une écriture forte et bien rythmée.

Si ce texte m'a autant interpelé, c'est que j'étais étudiant moi-même en Lettres Modernes lorsque j'avais 20 ans, assez solitaire et introverti ; je suis aujourd'hui trentenaire (31 pour être précis), marié, avec une petite vie pépère, et pourquoi ne pas dire banale. Et pourtant, je ne le vis pas comme une désespérance, parce qu'à l'université je me sentais surtout vide, sans consistance et j'ai quand même l'impression que depuis je me suis construit une identité, comme si je m'étais "comblé".

Dès la première scène, le narrateur d'"Acide Abîmé" effectue un geste significatif : il se fait raser la barbe, ce qui revient à dire que quelque part il s'efface ("j'avais l'air d'un jeune vieux con, maintenant tout le monde peut voir que je ne suis qu'un petit imbécile"). Ensuite, il posera un regard le plus souvent satirique sur à peu près tout ce qui fait une faculté des Lettres (la notation, les partiels, le programme Erasmus, les manifestations étudiantes, etc.). Politiquement il refuse de se situer. Indépendance d'esprit, mais aussi besoin de critiquer, donc. Vers la fin du texte, il avouera être de plus en plus misanthrope. Voici son principe de vie :"Je resterai un enfant éternellement, libre et misanthrope. Je me suis éloigné de la politique, et je suis devenu libertin, loin de la compagnie ténébreuse des Hommes." Ce serait un peu l'attitude du dandy, dont les provocations et la "pose", souvent, ne sont qu'une carapace pour masquer en fin de compte un profond désarrois et une inadaptation à la vie, un vide insupportable. Devenu trentenaire, le narrateur s'est rangé, et quelque part ça le dégoûte d'avoir renoncé à ce fameux principe. Je ne résiste pas à l'envie de citer encore une phrase du texte : "Alors, dans un Purgatoire où il n'existe rien, ils trouveront la paix dans un mortel ennui...aucune issue, aucun bonheur, aucun malheur : une éternelle constance où le temps cruel devient un bourreau qui ne parvient plus à tuer." Quelle belle définition de la routine ! Toutefois, peut-il en être autrement ? Pour moi ce texte, entre autre, pose la question suivante : jusqu'à quel point peut-on exister sans jamais s'identifier à rien, ni à personne ? Quelles sont les limites de l'individualisme ?