J'ai relu recemment cette nouvelle dont on ne sort pas indemne. Je me suis toujours promis d'en parler, sans y parvenir jamais ; aujourd'hui je me lance. Il s'agit d'une petite merveille, complexe et accaparante, d'une beaute glaciale (glacial, au sens de "froid", puisque le style ici est metallique, sobre et parfait, mais aussi parce qu'il y a quelque chose de fige, la meme scene se repetant au moins trois fois et l'on n'en sort pas, comme dans certains cauchemars). Je releve une sorte de contradiction par rapport a la presentation de l'ouvrage : le "Vous" est-il vraiment le narrateur ? Dans ce texte on a parfois le sentiment que Heckers avait commence par ecrire "je" avant de mettre "vous" a la place, comme dans la "Modification" de Butor ; trouvaille geniale, puisque, si je ne me suis pas senti pour autant narrateur, je me suis senti implique et cela m'a derange, comme faisant appel a ma mauvaise conscience, comme si l'on voulait m'obliger a participer a quelque chose qui me depasse. La presentation de l'ouvrage, encore une fois, nous dit qu'il ne faut pas se poser trop de questions, dans la mesure ou il serait impossible d'y repondre ; c'est tout a fait vrai, nous avons ici une nouvelle qui se lit et se relit a l'infini sans que nous puissions en saisir le sens definitif. Le cote "SF" est evident : des experiences qui me rappellent un peu "Matrix", avec cette confusion a la fin entre reve et realite. La vraie reussite du texte tient au fait que tous nous parvenons a suivre le deroulement de l'intrigue, nous en comprenons la fin, mais c'est le "pourquoi du comment" qui nous echappe, comme dans 'Le proces" de Kafka. Il aurait fallu que Heckers nous revele peut-etre ce qu'aurait ete une experience reussie, puisqu'il "nous" est reproche d'avoir tout fait rater ; l'auteur s'en est bien garde (habilement) ; a nous de voir ce que nous voulons y voir, en fonction de notre propre (mauvaise ?) conscience. La fin est terrible : nous donne-t-on une derniere chance de rectifier notre "erreur" en nous replongeant dans l'experience ? Ou bien, l'experience et la realite se sont-elles rejointes ?

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