Je suis toujours admiratif de voir comment certains écrivains sont capables d'imaginer minutieusement, dans les moindres détails, tout un univers ; c'est ce que réalise ici Guy Sembic, avec cette chronique de l'espèce humaine dans un lointain futur. Si la structure de l'écorce terrestre a beaucoup évolué durant toutes ces années (il n'y a plus que trois grands continents, par exemple), en revanche nous constatons que l'histoire de l'Homme a plutôt tendance à n'être qu'un éternel recommencement (Nietzsche parlerait d'"éternel retour"). D'où le titre de l'ouvrage, et la formule : "Le pays des guignols gris, c'est le pays de toujours et de partout, le pays où l'on a vécu, hier, le pays où l'on vit aujourd'hui, le pays de demain... Même si la Terre devait changer de visage". Voilà selon moi la première idée intéressante du texte, comme un certain effet de miroir avec notre époque. Ensuite, cela m'a rappelé, avec cette description méthodique, détaillée, de la société envisagée par l'auteur, "L'Utopie" de Thomas More ; sauf qu'il s'agirait ici d'une utopie à l'envers, puisque le monde n'est pas présenté comme idéal, loin de là. Sauf, surtout, que si le livre de More n'est qu'une sorte de traité politique, celui de Sembic est beaucoup plus humain, avec les apparitions ici et là de personnages attachants qui donnent des couleurs à l'ensemble (je pense notamment à Azimaïna et sa fille Oyatola). Je pense que l'une des réussites du livre tient dans ce subtil mélange de matérialité précise et d'émotions furtives et fortes. Je reste (comme d'autres lecteurs apparemment) un peu dubitatif sur la fin, et en même temps peut-être que la rencontre d'extra-terrestres ferait aux hommes prendre conscience de la relativité des choses et leur permettrait de changer en arrêtant de donner autant d'importance à leur nombril. Mais de toute manière l'intérêt n'est pas là, mais d'être persuadé d'avoir envie de lire la suite. Ce qui est mon cas.