Quand Antoine s'emmêle

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L'oeuvre de Philippe Mermod

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lundi, mars 8 2010

"Les terres d'Ancestor", de Philippe Mermod

On retrouve dans "Les terres d'Ancestor" les thèmes chers à l'auteur (une certaine conception biologique de l'identité humaine, fondée sur le besoin de se reproduire, de dominer, etc.) ; thèmes traités dans "Gnomons" sur le mode fantastique, avec une belle réussite. Dans "Les terres d'Ancestor", les arguments narratifs sont encore autrement originaux ; ni réalistes (il ne s'agit pas d'une étude psychologique ou sociologique à proprement parler), ni fantastiques : ils sont à mi-chemin entre le réel et le symbolique, grâce à deux trouvailles à mon sens assez intéressantes :

1- Dans toute entreprise (il me semblerait hypocrite de prétendre le contraire), il y a une tension érotique latente, qui ici remonte à la surface au point de devenir l'une des caluses du contrat d'embauche. C'est ainsi que nous assistons à des réunions un peu spéciales, bien écrites d'ailleurs et efficaces.

2 - L'entreprise en question est spécialisée dans la conception de jeux vidéo, et les employés sont en train de travailler à ce moment-là sur "Les terres d'Ancestor", jeu d'aventure qui se déroule (comme par hasard !) au moment de la Préhistoire (époque où l'Homo sapiens laissait sans contrainte s'exprimer ses instincts les plus primitifs, ne pensait qu'à manger, se battre et se reproduire). Les concepteurs prennent des avatars et jouent afin de tester leur produit, et ils s'en donnent à coeur joie, on peut le dire.

Ces deux arguments narratifs permettent à l'auteur de montrer les personnages dans la société, mais aussi, sous le couvert du jeu, à travers leur nature la plus primitive. Et ce pourrait être finalement le sujet de ce livre : une confrontation entre nature et culture.

Reste le problème de l'un des personnages : Fassin, qui, à force de lâcher la bride à ses instincts, sombre dans la folie. Ce qui nous fait nous poser, entre autres, cette question : la culture (religion, morale, justice, etc) n'est-elle pas nécessaire, en limitant nos instincts qui autrement nous plongeraient dans une débauche insécure ?

La dernière phrase me laisse perplexe : je préfère penser que son interprétation n'est pas fantastique (l'héroïne serait enceinte après son rapport dans le jeu avec Fassin), mais plus réelle.

mercredi, juillet 23 2008

Les chaussures de Per - Philippe Mermod

"Les chaussures de Per" est la métaphore d'une logique perverse du capitalisme, tant au niveau collectif qu'individuel. La logique du toujours plus haut, toujours plus fort, toujours plus grand, et le héros (un inventeur de génie, mais sans ambition jusqu'à un certain moment) n'en finit pas d'utiliser ses talents pour s'adapter. Car, dans cette hystérie de la concurrence où il faut faire mieux que les autres, il faut également que l'individu puisse suivre le mouvement s'il ne veut pas être un inadapté, un exclu (il doit, symboliquement, être aussi grand que les autres afin de voir la scène du spectacle). La fin, non sans poésie, montre comment devront se terminer les choses : dans la folie et le chaos incontrôlable. Un texte court, maîtrisé, qui va droit au but et ne s'embarrasse pas de fioritures.

Au microscope - Philippe Mermod

Un enfant part se promener à la recherche de champignons, accompagné de son chien. Il ne leur arrive rien d'extraordinaire, les petites aventures banales de ce genre de balade. Mais le regard posé sur les plus petits détails (d'où le titre du conte) transforme le monde qui prend soudain une autre envergure, comme si l'on assistait à un élargissement des perspectives. On voit tout à coup ce à quoi l'on ne prêtait guère attention. A faire lire aux enfants avant de s'aventurer en forêt, pour qu'ils voient les choses différemment. Sans grande prétention, mais joli comme tout !

jeudi, juin 21 2007

Gnomons-Philippe Mermod

Quel merveilleux petit livre ! Peu à peu Philippe Mermod trace son chemin. Son originalité provient sans doute de ce télescopage en lui entre des connaissances scientifiques importantes (il est chercheur de formation) et une propension à se poser les questions récurrentes (qui sont la base à mon avis du réflexe d'écriture) concernant l'existence : qui suis-je, d'où est-ce que je viens, qu'est-ce que je fais là, etc. Nous avons donc avec "Gnomons" une succession de textes à la fois inventifs, profonds, souvent drôles ; des jeux de l'esprit, un mélange d'évasion et de réflexion philosophique pour le lecteur, on médite sur nous-mêmes tout en n'étant pas dans la réalité, disons, terre-à-terre. Le sentiment que j'ai éprouvé à lire ce livre m'en a rappelé un autre, celui que je ressentais lorsque j'ai découvert Jorge Luis Borges. Le principal intérêt de "Gnomons" est que nous cessons de ne regarder que le bout de notre nez d'individus contemporains immergés dans une société qui est ce qu'elle est pour avoir une vision beaucoup plus vaste de nous-mêmes. Et la grande réussite de l'ouvrage est de nous faire méditer mais toujours de façon ludique, et surtout ce n'est jamais moralisateur ; entendons-nous bien, il ne s'agit pas de leçons sur la vie, mais de petites histoires stimulantes qui nous poussent à nous fabriquer nos propres opinions sur l'homme. "Gnomons" vous distraira après une dure journée de labeur, et tout à la fois vous permettra de relativiser vos problèmes. Une belle réussite.

Exégèse de quelques nouvelles du recueil :

"Je suis une tache de sperme" :

L'histoire d'un homme mort (et très certainement oublié par ses congénères) qui a répandu au cours de sa vie du sperme sur un drap (comme il a dû en répandre beaucoup d'autres). Nous suivons les péripéties de cette tache de sperme pour aboutir entre autre en Afrique. Ce texte court n'a l'air de rien, mais il est désespérant. Quoi ? Ne resterait-il de cet homme, en fin de compte, que les "morceaux" d'un patrimoine génétique qu'il a pu laisser ? Le premier réflexe serait de répondre que cela ne peut pas être vrai ! Mais réfléchissons deux secondes : que reste-t-il de votre arrière-arrière grand-père ? Extrêmement peu de souvenirs (dans la plupart des cas, aucun), en fait, rien. Ou plutôt si : son patrimoine génétique à travers vous. Et c'est tout. Je serais tenté de dire qu'il s'agit là de quelque chose de dramatique, dans la mesure où ce qu'il a fait dans sa vie n'a eu aucune influence sur rien, et que tout ce qui demeure de lui n'est qu'un peu de matière, comme il en sera pour nous dans 150 ans. Je pense qu'il est envisageable de considérer la vie autrement (et d'oublier ce cauchemar), mais dans l'énergie du désespoir on aurait presque envie de courir s'inscrire dans une banque de sperme afin de laisser un maximum de traces de notre passage ! Soyons cynique de temps en temps, ça repose.

"Une réunion cosmique" :

"Réunion cosmique" : Cela débute comme une réunion (style conseil d'administration, etc.), j'ai eu le sentiment de me trouver dans une entreprise quelconque. Mais très vite les participants se demandent pourquoi ils ont été convoqués à cet endroit, à ce moment précis. J'ai bien évidemment pensé à Kafka (c'est un peu une nouvelle kafkaïenne je trouve, sans en empêcher l'originalité mermodienne d'ailleurs). Au bout d'un moment un type demande, à brûle-pourpoint, s'il y aurait dans l'assemblée une femme sans sous-vêtements. Parmi les personnes choquées par l'intervention du libidineux, une seule avoue qu'elle ne porte pas de sous-vêtements ; le libidineux s'approche d'elle, lui touche les seins avant de lui faire l'amour devant tout le monde. Enfin, au moment précis où la femme reçoit la semence de l'homme, quelque chose se produit : une supernova extraordinaire qui transforme le monde en poussière. Voilà. Si les participants de la réunion se demandent ce qu'ils font là, c'est qu'ils sont comme nous : que faisons-nous dans cette vie, quel rôle doit-on y jouer ? Si un homme demande après une femme sans sous-vêtements, c'est que nous aussi nous le faisons, cela reste le principal moteur qui nous pousse à agir (cf la chanson de Souchon "Sous les jupes des filles"). Et si, lorsque la femme reçoit la semence de l'homme, tout redevient poussière, c'est que nous avons enfin la réponse à notre question du début : Que sommes-nous venus faire ici-bas ? Et la réponse est la suivante : répandre un peu de matière, chercher à se reproduire, pour finalement éclater en un milliard de morceaux et redevenir poussière.