« Mon cul, pense Maurice, il est juge et moi j'suis pape ! Il est allé chercher son p'tit cousin, ça renifle à des kilomètres. Et si j'l'appelait Jean moi aussi, qu'on s'marre »

Les trois hommes sont maintenant assis dans le bureau de l'OPJ, ainsi qu'il est indiqué sur la porte.
– En effet, votre idée de placer ce garçon dans une école de marins pêcheurs est certainement une bonne solution, Monsieur Le Menech. Le problème est que nous n'avons plus d'école à Concarneau. La plus proche est à l'île d'Yeu et elle ne me semble pas bien adaptée à l'âge de votre enfant.
– Ah c'est nouveau alors. D'mon temps... mais l'idée était bonne, vous croyez pas Jean ?
– Ne vous étonnez pas, Monsieur le juge, il est comme ça Monsieur Le Menech, c'est une habitude de marin. On se tutoie dans la marine, n'est-ce pas Monsieur Le Menech ?
– Ah ça ! J'vois k'vous connaissez pas. J'travers'rais la coupée du bateau et j'dirais au lieut'nant « salut tu vas bien s'matin » ? Non M'sieur Le Goff, c'est pas ça la Royale. On s'respecte dans la Royale, on dit « vous » à tout l'monde. Y a qu'entre copains ou en famille qu'on s'tutoie. Pas vrai ?
– C'est à dire que, oui, en effet, vous avez raison Monsieur Le Menech, mais si nous revenions à notre sujet ?
– Ben j'vous d'mandais s'que vous pensez d'mon idée. D'met' mon fiston à l'école des marins pêcheurs. Pas'que moi, plus j'y pense, plus j'crois pas k'c'est une bonne idée. Y mérite une punition, pas vrai ?
– C'est bien ça qu'il demande en tout cas. Un jugement et une condamnation, répond Le Goff.
– Et y sait pourquoi qu'y s'rait condamné ?
– En fait Monsieur Le Menech, en ce qui nous concerne, nous, à la police, on était prêt à le laisser partir. Mais il nous a fait un cinéma invraisemblable pour ne pas retourner à l'école Saint-Joseph. C'est ce qui nous a amené à chercher un prétexte pour nous en débarrasser et l'envoyer quelque part, quelque chose qui ressemble à une punition, comprenez-vous ?
– Ben j'vais vous dire s'que c'est, une vraie punition. C'est même pas une école, et c'est pas plus une école de marins pêcheurs. La vraie punition, c'est la baille. Foutez-le à la baille ou c'est moi qui m'en charge.
– Vous croyez pas qu'on en a assez d'un, qui a été foutu à la baille comme vous dites, ce jeune asiatique ?
– Putain, mais faut tout vous dessiner, à vous aut'. Sur un barlu qu'y faut l'mettre. Comme mousse. Y f'ra tous l'taf que les marins y z'aiment pas. Les chiotes. La brosse sur le pont. Les tatanes du pacha. Tout j'vous dis. Ça s't'une vraie purge. Des années d'purge et y r'sort de là que j'vous dis pas, un homme quoi.

Le jeune Jean Guillou se sent tout ragaillardi :
– Vous dites des années, mais c'est peut-être beaucoup, vous pensiez à quoi, combien d'années d'après vous ?
– Ça c'est à vous d'décider, mais si c'était moi, j'y col'rais jusqu'à sa majorité, huit ans.
– Oh, mais c'est que vous y allez fort ! Huit ans !
– Ben vous avez qu'à lui dire quatre ans, et le double si y fait pas bien l'marnage. Y s'ra toujours temps d'décider si y reste ou si y s'en va.
– C'est qu'il faudrait trouver un patron pêcheur qui l'accepte. Et ça, c'est pas bien dans nos fonctions à la police. Qu'est-ce que vous en pensez Monsieur le juge ?
– Je n'sais pas, nous n'avons pas l'habitude de donner ce genre de condamnation. En dehors de la prison, vous savez...
– L'zonzon, j'crois qu'y connais déjà. Mais des barlus qui l'acceptent, j'peux avoir une occas, j'connais kek patrons d'pêche que ça les gênerait pas d'fout' leur pied au cul d'un môme qu'y faut carouber. J'peux l'mettre en main dès s'matin, si ça vous rambine.
– Vous pensez à un bateau de chez nous, ici à Concarneau ? demande Le Goff.
– Oué, mais faut k'j'y cause.
– Eh bien nous pourrions faire venir notre jeune détenu et prononcer cette condamnation. Qu'en pensez-vous Monsieur le juge.
– C'est un verdict qui en vaut bien un autre. Nous n'avons qu'à faire comme ça. Mais ce serait mieux que Monsieur Le Menech ne soit pas là, n'est-ce pas Lieutenant ?
– T'as... vous avez raison, Monsieur le juge. Monsieur Le Menech, vous pourriez aller jusqu'au port et arranger cette affaire avec votre patron pêcheur. Pendant ce temps nous nous occuperons de Sébastien. Ça vous convient ?
– Parfait. J'sai d'retour pour midi, ça va ?
– Ça va pour nous. Faisons comme ça. À tout à l'heure.