La PRV est un produit grand public et demande un accompagnement publicitaire important : le budget de TELETAM étant réduit, je choisis de cibler des niches de clientèles précises : un gros encart publicitaire, chaque mois, dans le magazine gratuit FUSAC qui touche une grande partie de la population étrangère jeune de la Région Parisienne ; un petit carton plastifié au format carte de crédit apposé sur les pare-brise des voitures dans les quartiers voisins des universités parisiennes ; une annonce régulière dans Libé ; une lettre à des associations nouvellement créées dont l'objet social, le nom du président et l'adresse sont relevés dans le Journal Officiel. A son meilleur niveau, la PRV atteint près de deux mille abonnés, et quels abonnés ! Mais pour en arriver là, il a fallu se battre…contre FRANCE TELECOM, et quel combat !Pub TAM TAM

Les abonnés ?

Ceux que j'attendais, à une époque où les téléphones portables sont encore rares, chers et à couverture médiocre :

Des étudiants : ils n'ont pas le téléphone, mais il faut pouvoir leur laisser des messages.
Des couples désunis : ils ne se parlent plus, mais doivent s'informer, ne serait-ce que pour la garde des enfants.
Des unions extraconjugales : on n'utilise pas le répondeur de la maison, évidemment !
Des associations : Nicotine Anonyme change chaque semaine son message d'accueil pour informer du lieu où se tiendra la prochaine réunion hebdomadaire.
Une autre association reçoit des messages de ses membres, et les messages sont écoutés, à tour de rôle, chaque semaine, par les membres du bureau.
Des intérimaires : ils ne sont pas contraints de rester chez eux pour attendre un appel de leur agence d'intérim, l'hypothétique appel qui empêche d'aller au cinéma…

Ceux aussi que je n'attendais pas, mais bienvenus quand même :

Des SDF : la PRV leur est-elle payée par le Secours Populaire ? le Secours Catholique ?
Des groupes d'étrangers en tournée en France. Chaque membre du groupe peut recevoir des nouvelles de sa famille ou de ses amis et, en changeant son message d'accueil, leur laisser de ses nouvelles.
Des annonceurs dans les rubriques petites annonces : vendre un appartement, une voiture ou n'importe quoi, ne pas être dérangé par les appels et choisir librement les personnes qu'on va rappeler (1).
Des multi-résidents : ils ont deux ou trois résidences, parfois plus. Quand ils en partent, ils renvoient leurs appels vers la même PRV. Ils n'ont ainsi qu'un seul coup de fil à passer pour écouter tous leurs messages.

Et les abonnés dont je me serais passé, ceux qui m'ont valu nombre de visites de gendarmes, une enquête de la Brigade des Stupéfiants et même d'être convoqué par la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).

On frappe à la porte. Entre un gendarme.
– Bonjour Monsieur, êtes-vous bien le responsable de cet établissement ?
– Oui Monsieur, bonjour, c'est pourquoi ?
– Le numéro 41 ab mc du est bien l'un de vos numéros ?
– Oui Monsieur.
– Donc c'est quelqu'un de chez vous qui utilise ce numéro, n'est-ce pas ?
– Ah non Monsieur, pas ce numéro là, ni aucun d'ailleurs qui comporte le chiffre m comme cinquième chiffre.
– Alors pouvez-vous me dire qui l'utilise ?
– Ah ça, je n'en sais rien. Je ne sais même pas s'il est utilisé. Et même si je le savais, je suis tenu au secret professionnel. Vous avez un mandat ?
– C'est très facile, mais vous devriez ne pas attendre un mandat.
– O.K., laissez moi regarder à l'écran.
– Faites.
– Oui, en effet, ce numéro est loué.
– A qui est-il loué ?
– Je vois indiqué XXX.
– Vous n'avez pas de nom ?
– Comme nom, j'ai XXX, sans autre détail. Pas d'adresse, rien.
– Mais Monsieur, vous êtes tenu de savoir à qui vous vendez vos services. Quand on appelle ce numéro, ça ne décroche jamais. On entend à chaque fois un message d'un certain José.
– Ah ? Je ne savais même pas, voyez.
– Vous êtes bien payé par quelqu'un, vous savez bien son nom.
– Quelquefois, oui, même assez souvent, mais pas toujours. XXX, que vous appelez José, par exemple, me paie régulièrement par mandat, chaque année. Chaque année je reçois mille francs par mandat signé XXX, comme celui-ci par exemple, regardez.
– Et vous pensez que c'est légal ce que vous faites ?
– Bien sûr. Ce qui serait illégal, ce serait d'empocher les mille francs et de ne pas rendre le service. D'accord, je reverserais la TVA, mais le reste ? A qui je donnerais les mille francs ? A l'Abbé Pierre ?
– Mais vous devez refuser de vendre si vous ne savez pas le nom de l'acheteur.
– Refus de vente ? Que diriez-vous à votre boulangère si elle refusait de vous vendre une baguette ou un croissant parce que vous ne lui avez pas dit votre nom ?
– Ecoutez Monsieur, d'abord expliquez-moi votre service.

J'explique.

– Merde alors, là vous nous avez bien baisés !
– Vous savez, je ne cherche pas à vous baiser, mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Quand Renault vend une voiture, est-ce qu'il sait si son client va transporter sa famille, sa maîtresse, son chien, de la drogue ou des armes ? Non, d'accord ? Eh bien moi c'est pareil. Mais si je peux vous aider, laissez-moi vos coordonnées, je vous appellerai. Et au fait, ce numéro, je peux savoir pourquoi il vous inquiète ?
– C'est un trafic de timbres fiscaux. Des milliards contrefaits.
– Oh là !
– Bien, je fais mon rapport et on verra pour la suite. Au revoir Monsieur.
– Au revoir Monsieur.

Je regarde par la baie vitrée. Le gendarme remonte dans le fourgon qui stationne devant le bureau. Le fourgon part. Un homme traverse la rue aussitôt après et entre dans l'immeuble.

On frappe à la porte.
– Entrez !
L'homme entre.
– Bonjour Monsieur Leclerc, je suis content de vous connaître. Moi je suis José. Au fait, bravo pour votre service. Dites Monsieur Leclerc, je suis venu pour vous payer, et je voulais aussi parler avec vous. C'est toujours mille francs ?
– Oui, toujours. C'est quoi votre numéro de PRV ?
– Ma PRV c'est le numéro 41 ab mc du.
Il me donne dix billets de cent francs.
– Merci, donc je prolonge d'un an à partir de la date d'échéance. C'est le 1er mars je crois.
– Oui, le 1er mars. Mais dites Monsieur Leclerc, qu'est-ce que vous pensez de me vendre un système comme vous pour le Mali ?
– Je ne sais pas. C'est difficile de vous répondre. Il faudrait savoir comment fonctionne le téléphone au Mali. Mais pourquoi pas ? Sur le principe c'est une bonne idée.
José se retourne, aperçoit le radar et la caméra au dessus du couloir d'entrée.
– Ecoutez Monsieur Leclerc, je me renseigne sur le téléphone au Mali et je vous rappelle O.K. ?
– O.K., on fait comme ça.
– Bon, je vous dérange pas plus, merci Monsieur Leclerc et encore bravo.
– Au revoir, merci Monsieur.

Des dealers et des cambrioleurs ont su aussi utiliser la PRV de manières souvent très originales, sans jamais être appréhendés. Changeant de cabine téléphonique à chaque appel, ne passant que des messages courts, ils n'étaient pas repérables.

Je suis enfin convoqué par la DGCCRF. Ça se passe au Centre des Impôts. Un aréopage de huit à dix personnes est assis autour de la table pour m'interroger et m'écouter. On veut m'obliger à connaître le nom de mes clients ! Non ! D eux heures durant, je m'obstine à répondre non, je refuse. Dois-je ou non connaître ces noms ? La réponse, finalement admise par tous, est non : pas plus TELETAM avec la PRV que FRANCE TELECOM avec MEMOPHONE !

D'ailleurs, comme MEMOPHONE avec le 36 72, la PRV pouvait être attribuée de façon anonyme par un numéro kiosque (2), le 36 68 68 02, et être consultée par ce même numéro, à condition de l'appeler au moins une fois par jour sauf à la voir automatiquement supprimée. La formule kiosque était donc assez peu utilisée, les clients préférant presque toujours la sécurité d'un abonnement pérenne. En plus, ce numéro ne fonctionnait pas depuis l'étranger.

En résumé, les clients n'avaient pas à s'identifier pour se voir attribuer un numéro de téléphone, mais devaient payer s'ils voulaient un numéro durable, sécurisé.

Et je ne raconte pas à quel point les enquêtes se multiplièrent quand, un an plus tard, le service de télécopie à la demande vint compléter le service PRV. C'était le service TAMFAX, une première mondiale aussi. En consultant sa PRV à partir du combiné d'un télécopieur, on pouvait non seulement écouter ses messages mais aussi commander l'impression, devant soi et instantanément, des télécopies qui avaient été envoyés à ce numéro de PRV.

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(1) Quand j'avais cherché un locataire pour un studio, j'avais passé une annonce dans Particulier à Particulier en y indiquant un numéro de PRV. En une semaine, j'avais reçu plus de mille trois cents messages, et jamais le téléphone n'avait sonné à la maison.

(2) Invention d'un cadre de France Télécom, en 1985 : les numéros kiosque commençaient alors par 36 68, 36 69 et 36 70. Tous ces numéros commencent maintenant par 08. Une partie du prix des communications étant reversée par l'opérateur au fournisseur de service, on a vu se multiplier les serveurs vocaux appelables par de tels numéros et qui n'ont pour objet, en faisant patienter, que de rentabiliser les personnels chargés de répondre… à moins qu'il n'y ait personne pour répondre ! Faudrait-il un adjectif pour qualifier ces numéros, installés par des violateurs d'engagement, des faussaires, des escrocs, je choisirais carcasse : numéros carcasses pour les services pois chiche !