Cheminements
Par BLS le dimanche 15 juillet 2007, 11 H 01 - Philosophie, spiritualité - Lien permanent
Quelques réflexions après relecture d'un livre écrit par mon frère Jacques qui, comme Jean, a passé pas mal d'années en Chine : Une longue marche en Chine avec l'évangile
,.(Editions Karthala, collection Chrétiens en liberté, 2006).
« Prêtre et étranger, vivant en Chine, je m'interroge sur ma façon de vivre la rencontre du frère humain chinois. Je constate que c'est toujours quand j'ai été en situation de vulnérabilité forte, d'incompréhensibilité, de dépendance imprévue de mes hôtes chinois, que l'ai vécu la rencontre. C'est quand je ne savais pas les mots qu'ils sont venus.
J'ai habité Pékin, dans une rue très animée le matin de bonne heure par un marché de frais. Je célébrais l'eucharistie à l'aube avant d'aller travailler. J'ai été troublé par certains moments de la célébration dans lesquels j'impliquais virtuellement des absebnts : « ...vous mes frères... », « ...prions ensemble... ». Mais où étaient les autres ? J'étais tous les jours tout seul, pendant des années... Que voulait encore dire « ensemble » ? Je décidai donc une réforme liturgique domestique et je supprimai dans les mots toute trace de présence d'une assemblée, même réduite, à la célébration.
Ce que je n'avais par contre pas réussi à supprimer, c'étaient les voix de marchands de légumes et des clients qui envahissaient ma « chambre-cathédrale » tous les matins dès l'aube ! J'étais mal à l'aise, instinctivement, dans ce contraste : personne à la messe et la foule dans la rue. Entre les deux : le seul mur de mon appartement. Très vite, j'ai décidé d'abroger ma réforme liturgique, tellement il me emblait évident qu'il y avait « des frères » et un « ensemble » ! Les absents à la messe m'ont fait grandir dans la foi en me poussant à approfondir ma vie eucharistique.
Le chrétien reçoit de l'autre, des frères humains de Chine dont l'immense majorité n'a jamais entendu le nom de Jésus ni ne sera baptisé du baptême de l'Eglise, le pain de sa route eucharistique, ce qui le fait vivre. Encore faut-il habiter dans une rue chinoise, et y avoir une certaine faim, la faim de ce que le frère chinois me donne. »
En relisant ce livre, j'ai été frappé par la convergence de deux chemins : le mien, dont d'assez nombreux tronçons sont décrits dans Carcasses, et celui de Jacques, dont on trouvera un extrait en annexe. Se pourrait-il que cette convergence démontre que ce sont des chemins de vérité ?
Quelque part j'écris : ....carcasse, ce mot si banal, si insignifiant, s'est incrusté en moi... De ce fait, ce mot n'appartient plus au monde des abattoirs et de la boucherie, mais à celui du vivant, du chercheur. L'important, ce n'est pas ce qu'on voit, mais ce qu'il y a dedans. D'abord, en effet, tout est carcasse, ce qui vit est à l'intérieur.
Jacques nous dit : Cheng, (le caractère calligraphié ci-dessus) qu'on peut traduire au plus simple par "sincère et partenaire" est resté en moi comme la modalité d'une rencontre, d'une vie professionnelle et d'un travail, d'une amitié, bref d'un séjour en Chine.
Au fond, Cheng et carcasse m'apparaissent comme étant miroirs l'un de l'autre.
D'autant que Jacques ajoute : {{Nous sommes capables de tendre la toile, le WEB sur toute la surface de la terre. Il reste à s'occuper du fond, de la profondeur, La surface ne suffit pas.}}
Ailleurs, évoquant l'activité dominicale que j'avais, à Toulon, quand j'étais officier de garde sur notre bateau, j'écris : En à peine plus d'un an, une quinzaine de recrues, âgés de 17 à 19 ans, avaient appris – ou réappris – à lire. Encore carcasses, un peu plus hommes.
Jacques, lui, nous dit : On me demande ce que j'enseigne... J'enseigne aux jeunes comment devenir un peu plus humain !
Et, nous parlant de ses cours à l'université : Faire un cours sur le développement durable, c'est ouvrir une porte nouvelle... La durabilité est d 'abord la transversalité des savoirs.... elle ouvre sur une charpenterie de l'intelligence et des savoirs qui privilégie l'interrogation sur l'affirmation...
Et, pour nous éclairer d'avantage sur Cheng, Jacques nous raconte un épisode du cours de littérature chinoise qu'il avait suivi à l'Université Paris VI, en 1989. Le texte qu'il nous propose n'est-il pas à chanter, comme on le fait d'un psaume ?
"Le texte étudié était le Zhong Yong, oeuvre néo-confucéenne datant du IVème siècle avant notre ère. L'enseignant, François Julien, avait choisi de traduire le titre chinois par : La régulation à usage ordinaire. Le caractère cheng est au coeur de l'oeuvre. Il est traduit par authenticité. Les textes qui suivent sont très anciens mais ils sont un vis-à-vis de dialogue vivant, dans l'effort du formateur pour accompagner des étudiants.
Zhong Yong, chapitre 20, ligne 17 à 21.
Il y a un chemin pour advenir à une authenticité de son humanité, avec une vérité telle que cela contribue à ce que d'autres avancent sur ce chemin.
Sans être clairvoyant sur le bien, on ne peut atteindre une telle humanité authentique. Cette authenticité dont la vérité suscite une transformation du monde et des êtres, c'est le fait même du ciel.
Etre à la tâche pour advenir soi-même, et faire advenir à une telle authenticité, c'est la voie de l'homme.
Sans effort, sans labeur, l'authenticité existe, elle est déjà au Centre. Et c'est le propre de l'homme de sagesse de l'obtenir sans même avoir pensé, de suivre sans peine la voie de ce Centre.
Les autres hommes doivent se mettre à l'oeuvre pour qu'adviennent l'authenticité et la vérité de leurs existences.
Pour cela ils feront le choix du bien et s'y tiendront, avec un attachement solide.
Ils développeront leur savoir,
Ils seront des questionneurs exigeants,
Ils seront les hommes d'une pensée attentive,
Ils s'exerceront à un discernement clair,
Ils s'attacheront à mettre en pratique dans leur vie le choix qu'ils font du bien.
Tant qu'il existe quelque chose qu'ils n'ont pas étudié ou que, l'ayant étudié, ils ne le maîtrisent pas, ils ne devront pas abandonner.
Tant qu'il existe quelque chose sur lequel ils ne se sont pas interrogés, ou que s'étant interrogés, ils ne sont pas parvenus à en connaître la réalité, ils ne s'abandonneront pas.
Tant qu'il existe quelque chose auquel ils n'ont pas réfléchi, ou qu'ayant réfléchi ils ne le saisissent pas, ils n'abandonneront pas.
Tant qu'il existe quelque chose qu'ils ne discernent pas, ou que l'ayant discerné, ils ne le voient pas encore clairement, ils n'abandonneront pas.
Tant qu'il existe quelque chose qui appartient au Bien et qu'ils ne le mettent pas en pratique, ou que l'ayant mis en pratique, ils ne s'y attachent pas avec tenacité, ils ne devront pas abandonner.
Ce que les uns peuvent mener à bien en un seul élan, un autre s'y élancera cent fois.
L'un y parvient en dix coups, l'autre en mille !
En fait, celui qui s'engage sur cette voie, bien que pauvre d'esprit, connaîtra sûrement la lumière, bien que faible, deviendra certainement fort.Chapitre 33
« Sur son vêtement de brocart, elle rajoute une robe simple » est-il écrit dans le Livre des Poèmes.
C'est qu'elle ne veut pas laisser paraître un vêtement si orné.
Ainsi parcequ'il se plaît à rester dans l'ombre,
Le Dao de l'homme de bien devient de jour en jour plus illustre,
tandis que, parce qu'il aime à briller,
le Dao de l'homme de peu, de jour en jour, s'étiole.
Le Dao de l'homme de bien est fade mais ne lasse pas,
il est simple mais néanmoins orné, plat mais non sans harmonie.
Celui qui connaît la proximité de ce qui paraît lointain,
celui qui sait d'où vient le vent,
celui qui enfin sait le devenir visible de ce qui est le plus infime,
celui-là peut connaître la vertu.
Douze ans après la découverte de ces textes, au moment où je repartais en Chine pour animer les programmes de formation, un collègue chinois, ignorant tout de mon intérêt pour cette pensée ancienne, m'a offert un petit rouleau de calligraphie qui reprenait ce caractère dans un dicton traditionnel en quatre caractères, ce qu'on appelle un chengyu.
On peut traduire au plus simple par sincère et partenaire
. Cheng est resté en moi comme la modalité d'une rencontre, d'une vie professionnelle et d'un travail, d'une amitié, bref d'un séjour en Chine."