J'aperçois mon ordinateur portable, tâche noire dans la neige, une quinzaine de mètres plus bas, et vais le récupérer, mais je ne retrouve pas mon téléphone portable. Je monte sur la route dans l'espoir qu'une voiture s'arrête mais personne ne passe. Au bout d'un quart d'heure, un tracteur portant une grosse balle de foin sur sa fourche avant traverse la route, à cent mètres de moi vers le sud. Je le hèle et fais des grands signes. Par chance le chauffeur m'entend ou m'aperçoit et approche son tracteur jusqu'au niveau de la voiture. Il a bien une corde, mais trop courte pour attacher le 4x4. Je bloque à la main les différentiels sur les roues avant, me remets au volant, passe la surmultipliée et réussis à remonter jusqu'au talus qui borde le fossé et la route. La neige dépasse la hauteur des roues. Nous attachons la corde mais elle rompt. En double, puis en quadruple, elle rompt encore.

Je décide de tenter une ultime manœuvre. Avec sa balle de foin, l'homme au tracteur repousse le Toyota dans le pré. Je fais encore trois ou quatre mètres en marche arrière. On écarte le tracteur sur la route. Je passe la première en surmultipliée et accélère à fond, puis embraye d'un seul coup. Le 4x4 rugit, bondit, franchit le talus, saute au dessus du fossé et glisse sur la route. Il s'arrête dans l'autre pré, en face, les roues avant enfoncées dans la neige. Je peux heureusement ressortir en marche arrière et repartir, en remerciant chaleureusement mon sauveteur. Je lui demande aussi de prévenir Monsieur Lambert, le Maire de Peyrusse, en lui disant bien que c'est moi le fauteur et que je l'appellerai de Paris.

Equipé de mon bonnet cantalien, de gants fourrés, de chaussures et doudoune de montagne, je rejoins Ségur-les-Villas à vitesse réduite. J'appelle la gare de Murat et apprends que le train de Paris est à 17h10. Il me reste une heure. Je laisse l'ordinateur, change de chaussures et reprends la route pour Murat, à seize kilomètres au sud. Je connais un bon carrossier à Murat, à la sortie de la ville sur la route de Saint-Flour. Il pourra garder la voiture jusqu'au passage de l'expert et, j'espère, me conduire à la gare.

J'arrive chez lui presque aveuglé par le froid qui a gelé mes larmes. Il enlève la neige du fond de la voiture en quelques coups de pelle et y retrouve mon portable. Il marche encore ! L'épouse du carrossier me sert une tasse de café et lui me conduit à la gare. J'ai cinq minutes avant l'arrivée du train, ce train fameux et ancestral, le Béziers Paris par Neussargues, un train par jour, le temps d'appeler Elisabeth pour lui dire que j'arrive ce soir et non demain vendredi comme c'était prévu.

– Ah, super, qu'est-ce que je suis contente, tu as pu te libérer ?
– Libéré, ce n'est pas vraiment le mot, disons que j'ai abrégé.

A Clamart, on me trouve une côte cassée. C'est douloureux, très douloureux même quand on tousse ou quand on éternue. Mais ce n'est est encore que la carcasse et ça n'empêche pas de conduire et de travailler.

Je téléphone le vendredi à Monsieur Lambert avec qui je suis en excellents rapports, ayant bâti un grand projet de ferme éolienne sur le territoire de sa commune, et l'informe que je prépare une déclaration à l'attention de mon assureur pour la réparation des barrières. Il me répond que je n’ai pas à me faire de souci pour les barrières mais que lui s’en faisait pour Monsieur Guyot dont les chevaux avaient pu s'échapper du pré et n’étaient pas encore tous retrouvés.

Je repars en Cézallier dès la semaine suivante.


Echange


Des murs noirs, et puis gris, puis qui deviennent blancs,
A force de se battre, on finit par gagner.
Les semaines ont passé. La vie fait espérer
Des forces, des progrès, des gains, de nouveaux plans.

Je redresse mais patine, et droit vers la clôture,
J’essaie de m’arrêter. ça veut encore glisser.
Tant pis, laisser aller, finir dans le fossé.
Et le ciel se retourne, et blanche est la pâture.

Le fossé est franchi avec soudaineté.
Que faire ? Est-ce la fin ? Ah non ! Me mettre en boule
Comme un paquet de neige pour que le ciel m’enroule ?
Alors vient le silence, et sans rapidité

Je sors, comme l’on sort d’un étrange voyage
Entre ciel et montagne. Et sans toucher le sol,
Juste un pied dans la neige qui recouvre le col,
Je regarde devant, les yeux remplis d’images.

BLS.

__

Extrait de Carcasses. (Cliquez sur le livre, dans le bandeau à gauche)