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Sébastien et Alain s'étant mis au rangement, Odile les quitte pour se rapprocher de Maurice et lui glisser à l'oreille :

– Tu sais, mon chéri, son camion, Fernand l'a laissé dans un garage de Lorient pour révision.

– Alors y a pas d'blème ma puce. Laisse les enfants ranger et viens avec nous accueillir le pacha du Kéraban.

Avant même d'avoir touché le ponton, Fernand saute du bateau et gueule :

– Alors, les marins d'eau douce, vous attendez quoi pour m'lancer les amarres ?

Le p'tit Prince et le Singe s'exécutent avec maladresse.

Fernand fixe les amarres sur les taquets et crie vers Maurice :

– Eh, Maurice, c'est pas un cadeau tes deux tafs ! Tu vas t'les garder, moi j'ai ma dose !

Et Fernand gueule de nouveau après ses deux apprentis matelots :

– Alors bon Dieu, c'est quoi k'vous attendez pour m'les descendre, ces caisses de poisson. Et toi, le Singe, t'iras m'chercher l'diable qu'est dans la cabane.

Declain, Maradec et les autres fonctionnaires assistent béatement au déchargement assez drôlatique d'un bateau de pêche somme toute banal. Les baveux aussi. Tout se passe en plein jour mais sous les phares puissants du Kéraban, une lumière à laquelle s'ajoutent les flashs incessants des preneurs d'images.

Une fois le déchargement terminé et le jet d'eau passé sur le pont, Fernand saute sur le ponton et reserre les amarres. Declain peut enfin essayer de l'aborder mais il est doublé par son chef, le Commandant Maradec, qui accompagne Fernand vers le hangar..

– Monsieur Plouferrat permettez-moi de...

– Attendez M'sieur, c'est-y pour moi k'vous avez fait v'nir tout s'monde là ? Vous pouvez leur dire d'rentrer chez eux, moi j'ai à faire. Faut k'j'mette le poisson au frais et j'rent' me coucher. Pass'que d'main, j'ai d'la route. Y a l'marché d'mercredi qui m'attend, à Paname.

– C'est une simple question, Monsieur Plouferrat, et je vous laisse.

Fernand s'aperçoit que le hangar est vide et, se tournant vers Maurice :

– Merde, Maurice, où k'c'est qu'elle est passée ta deuche ?

– T'inquiète, Fernand, on l'a garée à l'hôtel. On avait b'soin d'la place pour jouer.

– T'as bien fait, j'avais oublié de t'le dire, k'la cabane elle était cubée.

– Tu veux k'j't'amène à Lorient, au garage où t'as fait réviser ton camion ?

Maradec est cloué. Il a les réponses à ses questions. Pour les papiers, il verra une autre fois. Il ne lui reste qu'à mettre fin à la cérémonie. Il se tourne vers le groupe de spectateurs :

– Messieurs, nous sommes en Bretagne, et ce n'est pas notre habitude de gêner un patron pêcheur dans son travail. Je vous propose de clore notre réunion en félicitant encore une fois la famille Le Menech.

S'ensuit une série de poignées de main et d'embrassades et tous prennent le chemin du retour. Personne ne saura ce que contient l'enveloppe que Maurice tient encore dans sa main.

Lui, Odile, les enfants et Fernand sont maintenant seuls. Le p'tit Prince et le Singe sont encore à bord, probablement en train de se changer.

– Tiens ma puce, tu l'ouvres ce truc ?

Odile décolle avec soin le ruban tricolore et ouvre l'enveloppe. Voici la lettre qu'elle lit à voix haute :

Au nom de Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, moi, Préfet du Finistère, suis heureux de confier à Monsieur et Madame Le Menech les moyens d'assurer la subsistance et l'éducation du jeune Sébastien Bouchetar jusqu'à sa majorité. En tant que représentant de la République dans ce Département, j'ajoute à cela la somme nécessaire pour permettre à Sébastien d'acquérir une formation professionnelle dans ce même Département, à l'Université ou dans l'une de ses nombreuses Ecoles.
Recevez, Madame, Monsieur, l'assurance de mes plus vives félicitations.
Le Préfet du Finistère

Et, pliés dans la lettre, elle trouve deux chèques, un du Trésor Public de 50.000 euros, un autre du Préfet en personne, de 25.000 euros, sur la Banque de Bretagne.

Fernand suffoque. Maurice le soutient et lui explique :

– Cherch' pas, Fernand, c'est not' nouveau taf, à Odile et moi, attendre.