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Les keufs ont décliné l'invitation et sont partis.

– Ma puce, j'tadore. J'peux t'dire k'là t'as eu du pif. Tu vois ça, qu'y mate la deuche et qu'y découvre que c'est la même que celle de la station service ?

– Oh oui, je vois très bien, mais je me demande bien pourquoi c'est ici qu'il est venu pour la voir, cette deuche comme tu dis. Tu as une idée, mon chéri ?

– Moi jen vois qu'une de clé, ma puce. C'est k'le lieut'nant Demesdeux'' il est déjà v'nu pour voir Fernand, suite à s'contrôle qu'on a eu à Lorient l'aut' nuit. Le Fernand y avait dit, au keuf, k'ses papiers y z'étaient ici, sur son barlu, dans l'port d'Brigneau. Et comme le barlu y s'était déjà fait la malle, le keuf il est allé s'renseigner.

– Au Bar du Port, je parie.

– Ben où k'c'est k'tu veux qu'y s'renseigne ?

– Ecoute mon chéri, je vais aller la voir, la patronne. Elle sait bien que nous sommes des amis de Fernand. Elle me dira bien si la police est venu et ce qu'elle cherche.

– OK ma puce, j't'attends. Moi j'reprends ma place cont' Sébastien. Faudra bien k'je gagne !

Pendant ce temps, Declain et son acolyte sont rentrés à Lorient pour faire leur rapport au Commandand Maradec. Celui-ci a commencé par leur dire qu'il avait déjà appelé le cabinet du Préfet du Finistère pour qu'on le prévienne de l'arrestation probable et prochaine de l'homme à la 2 CV. Il s'est mis dans une colère noire quand Declain a dû lui confesser que, dans la surprise, il avait complètement oublié de rechercher le camion dont avait parlé la patronne du Bar du Port.

– C'était pourtant dans votre mission, Declain. Je vais avoir l'air de quoi, chez le Préfet ? Et ce patron pêcheur, ce Plouferrat comme vous l'appelez, vous n'avez même pas attendu qu'il revienne ? Je vous dis pas, Declain, mais si ça se passe mal, vous pourrez dire adieu à la Bretagne et à la Police. Parce que moi, c'est la retraite anticipée qui me pend au nez, et sans indemnité qui plus est. Et je vais pas plonger tout seul, çà, vous pouvez me faire confiance.

Declain, en reprenant ses esprit pendant le retour de Brigneau à Lorient, avait prévu ce coup de semonce. Il s'était arrêté un instant à la Maison de la Presse, quelques centaines de mètres avant le commissariat, et s'était fait faire une photocopie de l'article du Figaro de samedi à partir d'un invendu non encore repris par le NMPP. En quelques instants, il avait préparé sa réponse.

– Chef, ce qu'on n'vous a pas dit, c'est qu'on est tombé sur ces gens là, la famille Le Menech, ceux qui sont dans le journal et qui sont félicités par Madame le Garde des Sceaux. Ce sont des amis de Monsieur Plouferrat et ils ont avec eux le petit Bouchetar, ce garçon dont les parents se sont suicidés en prison.

– Et vous avez attendu tout ce temps pour m'annoncer ça ? On vous l'a pas expliqué, que la radio, dans les voitures, c'est fait pour s'en servir ? Mais c'est un scoop, cette histoire. Tout le Finistère doit le savoir, que c'est notre département qui accueille ce garçon et sa famille d'adoption. J'appelle le cabinet !

Vers six heures du soir, les Le Menech, qui n'en finissent pas de se livrer bataille sur une plage de cinq mètres de long, voient arriver dans leur dos, devant le hangar, deux motards de la Gendarmerie et, immédiatement après eux, une voiture avec girophare allumé et deux autres berlines noires. Le Commandand Maradec et le Lieutenant Declain accompagnent le Directeur de cabinet du Préfet, le Directeur de la DDASS du Finistère et plusieurs sbires de la préfecture. Une voiture de France 3 les suit et s'arrête trois minutes après. Puis ce sont une dizaine de journaleux et photographes, les uns en voiture, les autres en moto.

Declain fait les présentations. Deux caméras de France 3 et les preneurs de son se mettent en place. Les micros se tendent de partout et les flashs crépitent. Les habitués du Bar du Port descendent en courant, certains d'entre eux pouvant être comparés, question blindage, aux Panzers de Sébastien. On entend mal ce que ces messieurs disent aux parents Le Menech et à leurs enfants – on pourra mieux l'entendre le soir à la télévision –, mais on se rend compte que c'est toute une cérémonie qui se déroule au bout du ponton vide du port de Brigneau, une cérémonie comme jamais ce petit coin de Bretagne n'en a sans doute connue. A un moment, on aperçoit le Directeur de cabinet faisant l'accolade à Maurice et deux bises à Odile puis embrassant Sébastien et Alain. Et, chacun à leur tour, les autres fonctionnaires font de même. Et c'est au moment où l'on voit le représentant du Préfet remettre à Maurice une grande enveloppe fermée par un ruban tricolore qu'on entend aussi le long coup de sirène d'un bateau signalant son entrée dans le port.

Tout le monde se retourne et regarde le Kéraban s'approcher du ponton. Declain se précipite pour être le premier à parler au capitaine. Maurice, calmement et d'une voix forte, dit, à la cantonade :

– Ben v'la not' ami Fernand qui r'vient d'la pêche ! Va falloir qu'on range tout, y va avoir b'soin d'place pour le poiscaille.

– Alain et Sébastien, vous m'aidez à ranger ? demande Odile.