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Attendre, c'est une activité qui lui est totalement étrangère à Fernand.

– C'est ça, fous-toi d'ma gueule ! Ben moi, voilà s'que j'propose : vous m'conduisez à Lorient, j'reprends mon bahut et j'vous invite tous au resto. Et là, faudra k'tu m'expliques. Attendre... attendre, c'est la r'traite qui faudra k't'attendes, pass'que pou' l'moment y a du taf pour tout l'monde et t'es pas désigné pour faire la touche !

– C'est pas s'que j'ai dit mon Fernand, mais on va pas au resto d'Lorient. Y a d'la volaille partout et j'pourrai pas t'affranchir. J'te drive à Lorient s'tu veux, et tu r'viens à l'Hôtel de la Poste. C'est moi qui régale.

Ils font comme ça. Maurice raccompagne Odile, Sébastien et Alain à l'hôtel et Fernand s'avance à pied jusqu'à Poulvez où Fernand repassera le prendre. C'est au fond de la ria, à un kilomètre au nord du port. Le p'tit Prince et le Singe sont invités à rester sur le bateau, ou à prendre un sandwich au Bar du Port.

A l'hôtel, Odile fait dîner Alain et Sébastien qui remontent dans leur chambre et se remettent au Kill or Miss aussitôt après. Puis elle fait ses comptes en attendant le retour des deux autres. Ils reviennent vers 20 heures 30 avec le camion et la Blue Star et tous les trois passent à table.

– Mon chéri, j'ai compté qu'avec les sous du préfet, on avait à peu près 6.000 euros par an pour Sébastien. Ça n'fait pas beaucoup !

– Pass'que tu crois k'Sébastien y va s'les rouler pendant k'nous on fait d'la perruque ? Y va turbiner comme tout l'monde, le chiard, et faudra pas qu'y perd'la main, pass'qu'à sa majorité, si y faut qu'y soit chez les armoriques, c'est pas Astérix qu'y jouera. Y z'auront bien gardé kek' coffiots par ici. Et les papelards de la Gueuse, on les r'mettra sur les comptes d'assurance vie k'tu m'as fait ouvrir, à la Sok' Gé.

– Tu n'vas pas retourner rue de Rennes ?

– Non, j'vais tout y r'met' à la mère Girardin, à Clichy les bécasses.

– Mais mon chéri, tu n'peux tout de même pas faire ça ! C'est du suicide !

– Non ma puce, c'est d'la promotion. Faudra bien qu'elle en sorte, de s'trou à rats, si on veut qu'el' s'mette à turbiner pour nous, pour de vrai !

Fernand ne comprend rien aux échanges entre ses amis.

– Maurice, excuses, tu disais k'ton nouveau taf c'était attendre. Mais t'as pas l'air de raccrocher, c'est panard !

– Qui t'a parlé d'raccrocher ? Attendre, c'est comme aux cartes, c'est l'mort inversé. Si t'es pas l'plus fort, alors tu mont' pas ton jeu, tu laisses les aut' à la d'vine. Y finissent tous par tomber. Y ferment les coffiots, alors c'est les bourres qui t'l'apportent, le pognon. Et pas k'les bourres, t'as vu, même le préfet. Mais raconte-nous ta pêche, Fernand.

– Pas d'lézard. Tout su' du v'lours. Méme ta quincaille, y m'lont r'prise. Pour 325.000.

– Faut toujours k'j'multiplie par deux, c'est ça ?

– Maurice, tu m'connais. On joue dans l'même jardin.

Fernand finit de raconter son périple et tous partent se coucher.

Mardi matin, Maurice, comme d'habitude, est debout avant tout le monde et descend prendre son petit déjeuner. Il apporte à sa table les journaux du matin, les canards locaux et les quotidiens nationaux. Les premiers montrent tous, à la une, des photos des Le Menech recevant la grande enveloppe des mains du représentant du Préfet mais disent autant d'âneries sur le contenu de cette enveloppe que sur les raisons de la manifestation dans le port de Brigneau. Par contre, dans les nationaux, Maurice découvre quelques nouvelles surprenantes :

Monsieur V. Billorais, le patron du groupe du même nom, est mis en examen pour blanchiment d'argent sale. La Brigade Financière aurait établi que l'homme d'affaires entretenait des relations étroites – et sans rapport avec les activités de son groupe –, avec un réseau d'établissements financiers installés dans divers paradis fiscaux, en particulier dans les Îles Anglo-Normandes. La BF a en effet découvert, dans la caisse du siège parisien, un grand nombre de billets de 50 dollars qui proviennent de la même série que ceux qui ont été saisis en Colombie et dont on a aussi retrouvé des coupures dans une banque de Saint Helier, à Jersey.

Le juge Bringuier s'attaque au Palais de l'Elysée, annonçant qu'il possède des éléments suffisants pour démontrer l'implication du Président dans une affaire de trafic d'influence, à propos de la sortie de la Blue Star par le Groupe Billorais. En effet, contre toute attente, ce modèle a pu être présenté au Salon Automobile de Genève avant d'avoir reçu les certificats exigés par l'Union Européenne dans le cadre du PERC (1), et ceci pendant la présidence de la France. Le Président, de son côté, n'a encore fait aucune déclaration.

Et le clou de la journée, c'est la prise en otage du député Isoult. Un message transmis à l'AFP par inconnu – ou un groupe –, et signé Le Gall, menace de liquider l'élu girondin si la loi PEBEP, ou Loi Isoult, n'est pas abrogée dans un délai d'un mois. « Merde, ces cons là, y vont fout' mon plan par terre ! » pense Maurice.

A cet instant, un homme entre dans la salle à manger et s'approche de la table où Maurice déjeune.

– Monsieur Le Menech, c'est pour l' « Armorique libre », vous pouvez me dire ce qu'il y avait dans l'enveloppe ?

– Ah, heuh... oui, un jeu de cartes.

– Un jeu de cartes ? Vous dites bien un jeu de cartes ?

– Non, deux.

– Le journaleux allume son Nagra et approche le micro.

– Alors Monsieur Le Menech, quelle est votre impression ?

– Ben, le p'tit y va pouvoir apprendre à jouer au bridge.

– Merveilleux, quel talent, jouer au bridge si jeune !

– Vous savez, M'sieur, pour l'mort inversé, y a pas d'âge.

Une semaine plus tard, le mardi 1er août. L'Assemblée Nationale est réunie en séance exceptionnelle. Un amendement à la Loi Isoult est voté, qui abroge les décrets d'application de la loi dans la Région Bretagne. Le débat sur l'abrogation de la loi elle-même, sur tout le territoire, est fixé pour la rentrée. Le député Isoult est relâché le soir même. Il est attendu par sa famille à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où elle passe ses vacances. Le Président l'y attend aussi.

En lisant le journal, Maurice se fait cette reflexion : « Décidemment, y en a k'pour les gamins dans cette putain d'Région ! »

(1) Programme Européen contre le Réchauffement Climatique

FIN de l'épisode.


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