Page 42

Il est presque minuit quand la Blue Star arrive devant la station Starélec, à l'entrée de Lorient, avec ses trois passagers. Il s'agit d'une station automatique avec paiement par carte bancaire. Il n'est donc pas question de se débarrasser de quelque devise que ce soit, et Maurice n'a pas d'autre choix que d'emprunter la carte VISA d'Odile. Une fois la carte enfoncée, on appuie sur la touche correspondant au modèle de voiture et tout se passe un peu comme dans les tunnels de lavage des stations-service : on approche la voiture jusqu'à une première butée ; là, des sortes de bras avec pinces sortent du bas du tunnel, trois de chaque côté ; les pinces attrappent les poignées des batteries, les dévérouillent et les retirent ; un feu vert s'allume indiquant qu'il faut avancer jusqu'à une seconde butée – en utilisant les batteries de réserve – et des bras, comme les autres, poussent des batteries pleines dans les espaces laissés vides et les vérouillent ; on peut alors récupérer la carte, le ticket de paiement et repartir.

Maurice démarre et s'arrête sur la première aire de stationnement.

– Je m'arête une minute, Fernand, il me reste des bricoles à te confier comme j'tavais dit su'l'Keraban.

– Alors M'dame Odile, on m'fait des cachotteries, on m'apporte pas tout, le samedi ?

– Hélas Fernand, je ne pouvais pas savoir. C'est arrivé après.

– Eh ben, on peut voir ? Tous les trois sortent de leur voiture. Au moment précis où Maurice s'apprète à ouvrir le coffre avant, une voiture de police vient s'arrêter derrière la Blue Star. Maurice relâche la poignée. Deux bleus sont déjà près de lui

– Bonsoir Messieurs Dame. Contrôle de Police. Qui est le conducteur de cette voiture ?

– C'est moi Messieurs, répond Maurice.

– Montrez-moi les papiers de la voiture et votre carte d'identité.

– Et vous, Monsieur, Madame, vous avez vos papiers ?

– Mais nous on conduisait pas M'sieur, rétorque Fernand.

– Ça ne fait rien, montrez nous vos papiers.

Odile présente sa carte d'identité. Fernand s'excuse.

– C'est que mes papiers, M'sieur, y sont sur mon bateau. Je f'sait qu'accompagner mes amis pour leur montrer l'chemin. – Et où est-il, votre bateau ? demande le gradé.

– C'est le Keraban, le châlutier dans l'port d'Brigneau.

– Bon, nous verrons ça. Et, s'adressant de nouveau à Maurice : pouvez vous ouvrir votre coffre ?

Maurice pense, tout-à-coup, en s'approchant du coffre arrière : « c'est bien la première fois qu'des keufs me d'mandent d'ouvrir un coffre, mais y sont p'tet pas au courant d'la loi Ysoult ». Il ouvre le coffre.

– Qu'est-ce qu'il y a dans ce sac ? demande le bleu.

– Ah, ces affaires, Monsieur, ça doit être des jouets que les enfants ont laissés.

– Vous pouvez l'ouvrir ?

– Comme vous voulez, Monsieur l'agent.

Odile ouvre le sac et commence à en sortir quelques pièces : des soldats en costumes de marines américains, de péniches de débarquement, des boîtes marquées Omaha-Beach...

– C'est bon, vous pouvez ranger votre coffre. Au revoir Messieurs Dames.

Les keufs repartis, Maurice éclate de rire.

– Encore heureux qu'y z'y connaissent k'les caisses qu'ont un moulin sous l'capot. On était marrons. Et maint'nant, Fernand, v'la la marchandise.

Maurice ouvre la valise et place dans un sac les liasses de dollars et le sachet de bijoux. Il remet tout entre les mains de Fernand.

– V'la l'bébé, Mon Fernand, t'auras qu'à r'mettre le gras sur not' compte joint, quand tu s'ras à Jersey.

– Pour le papelard vert, j'me fais pas d'mourron, mais c'est l'jaune, c'est pas dans mes habitudes.

– Allez, t'es pas une nave, tu sais faire que ça, fourguer d'la camelote.

– Bon, j'verrai ça. Mais faut qu'on rentre. J'ai plus k'deux heures pour dormir.

– Et Fernand, si les flics viennent te chercher demain, sur le bateau ?

– Ben y m'trouv'rons pas. Y z'auront qu'à d'mander qui j'suis, au p'tit bar, le Bar du Port, en face du barlu.