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Vendredi 1 heure 30. Maurice et Odile déposent Fernand au bout de la jetée, près de son bateau. Il fait nuit noire. La marée monte. Seuls le Keraban et deux ou trois voiliers, ancrés au milieu de la ria, sont encore éclairés. Probablement des visiteurs qui attendent la marée haute pour lever l'ancre. Sur l'un d'eux, un chien s'est mis à aboyer quand nos trois amis sont montés sur le ponton.

– Vous mont'rez bien boire un verre, propose Fernand.

– Tu voulais dormir, mais tes deux matafs y z'ont l'air d'pas dormir, alors d'accord pour un p'tit verre, mais vite fait.

Ils descendent dans le carré et trouvent le petit Prince et le Singe en train de jouer aux cartes. Les Le Menech s'installent à côté d'eux. Fernand sort une bouteille de vin rouge et trois verres, les deux autres ayant déjà leur canette de bière – et quelques cadavres.

Le petit Prince prend en premier la parole.

– M'sieur Maurice, vous avez bien dit k'c'était M'sieur Fernand qu'avait l'tam-tam. Alors not' allonge, y va nous la r'filer ?

– Ici, c'est Fernand l'capistron, c'est lui qu'est l'maître à bord. Y fait s'qu'y veut. Mettez-vous ça dans l'citron tous les deux. Pas vrai Fernand ?

– Oh que oui ! Et d'toutes façons, l'tam-tam il est placardé jusqu'à Jersey. Après, c'est selon comment ça s'passe. Et c'est pas en prom'nade que j'vous emmène, y a du taf qui vous attend.

– Pour le moteur ? demande le petit Prince, avec un sourire jusqu'aux oreilles.

– Aux moteurs, en bas, ça s'ra avec plaisir, si t'y connais kek chose, répond Fernand, et toi alors tu s'ras à la barre.

Maurice intervient.

– Pour les moteurs, c'est bonnard, tu peux y faire confiance au p'tit Prince, mais si tu veux pas t'retrouver aux Kerguelen, tu f'rais mieux d'tenir la barre toi-même. C'est juste un conseil d'ami.

– Bon, alors santé bonheur ! lâche Fernand en levant son verre.

– A toi aussi Fernand, et on te souhaite bonne route et bonne chance, qu'on te retrouve mercredi au marché, ajoute Odile.

– Ah Fernand, un truc que j'oubliais. Tu peux nous la prêter, ta r'mise, deux ou trois jours, pass'qu'avec les enfants, on a un jeu qu'y prend beaucoup d'place et qu'on sait pas où on peut l'installer ?

– Tant k'tu voudras Maurice, c'est toujours ouvert.

Sur ce, les Le Menech quittent le bateau et rentrent à l'hôtel.

Le Keraban appareille à 6 heures. La marée est encore haute. Destination Granville, avec escale à Jersey. Il faut bien que Fernand, s'il veut rester poissonnier, ait quelques poissons à vendre, sur les marchés. Il y a toujours des patrons pêcheurs, des amis, prêts à se débarrasser d'une partie de leur pêche avant d'entrer dans le port de Granville, avant le passage à la criée.

A huit heures, une voiture de police s'arrête dans le port de Brigneau, entre la jetée et le Bar du Port. Ne voyant aucun bateau amarré au ponton, deux bleus entrent dans le bar.

– Bonjour Madame, vous connaissez un bateau dont le nom est Keraban ?

– Bien sûr Monsieur. C'est même le seul bateau ici, dans notre port. Et heureusement pour nous qu'il en reste encore un !

– Savez-vous où il se trouve ?

– C'est que à cette heure, il a dû déjà partir. Il devrait rentrer mardi prochain.

– Et il reste en mer tout ce temps là ?

– En principe, il va jusqu'à Granville et il revient. Il décharge son poisson dans sa remise, là-bas, et il charge son camion avant de filer sur Paris. – Merci. Au revoir Madame.