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Tous les bagages sont maintenant chargés dans la Blue Star dont les batteries sont gonflées à bloc, suffisamment pour ne pas avoir à en changer en route. Maurice est au volant, Odile à côté de lui et Alain à l'arrière, avec Sébastien. Odile avait ressorti le GPS des affaires de Sébastien et l'avait gardé avec elle afin de le poser sur le tableau de bord, ce qu'elle fait maintenant.

– Mais c'est mon GPS, vous avez pas l'droit M'dame Odile !

– On te le rendra, Sébastien, mais pour la route, on en a besoin, on ne prend pas l'autoroute.

– Ben justement, vous saurez pas vous en servir. Y a des fonctions spéciales pour la route que j'suis l'seul à savoir m'en servir. Vous avez qu'à m'le donner et j'vous f'rai la navigation.

Le mot navigation avait tinté aux oreilles de Maurice. Il se souvient des heures passées à la barre des bateaux de la Royale, réagissant aux indications d'un homme de passerelle, officier ou pas : « Dix à droite ! » et il répétait « dix à droite », ou « sans venir à gauche ! » alors c'était « sans venir à gauche. » ou encore « comme ça ! » « comme ça. »

– Dis ma puce, tu veux bien laisser ta place à Sébastien, y f'ra navigateur.

– Oué M'sieur Maurice, et j'vous préviendrai quand y aura des keufs.

Odile et Sébastien changent de place.

– Maint'nant Sébastien tu me trouves Brigneau

Sébastien tapote quelques secondes sur son écran.

– Lequel que vous voulez, Brigneau Moëlan ou...

– Stop, va pas plus loin, c'est ça, Brigneau Moëlan.

– OK, M'sieur Maurice, c'est tout droit, comme ça.

– Comme ça, répète Maurice le marin.

Il est 9 heures 50. A 15 heures 10, ils sont au Mans où ils s'arrêtent pour manger dans une Courte Paille ; à 20 heures 15, ils dînent à celle de Pontivy et à 22 heures, ils sont à Moëlan-sur-Mer, devant l'Hôtel de la Poste. Le tableau de bord indique que six batteries sont dans la zone orange, à moins de 20%, les deux autres étant encore à 100%. Maurice sort de la voiture, entre dans l'hôtel et en ressort deux minutes plus tard.

– C'est bon, Yvonne a encore deux chambres. Ma puce, tu peux m'attendre à l'hôtel ? Les gamins prendront une chambre. Y a qu'à décharger l'coffre arrière. J'apport'rai la valoche mais j'pousse d'abord jusqu'à Brigneau.

– Mon chéri, je viens avec toi. Laisse-moi le temps d'installer les gamins et j'arrive.

– Comme tu voudras ma puce.

Alain et Sébastien sont dans leur chambre. Les bagages sont entreposés dans l'autre. Maurice et Odile repartent vers le petit port de Brigneau.

– J'suis obligé passer d'laut côté d'la rivière, c'est là qu'il est, le rafiot à Fernand, le Keraban. C'est l'seul bâteau d'pêche du port. Y a pas à s'tromper.

– Et tes deux lascars, tu crois qu'ils sont aussi de ce côté ?

– Ben y z'ont pas l'choix, y a qu'un seul troquet qu'est just'en face du bateau. Et si y z'ont trouvé une place pour leur barnum, c'est forcément d'ce côté, le camping de l'Ile Percée, près d'la plage de Trénez.

Arrivé au bout de la jetée du petit port, Maurice aperçoit en effet le Keraban, un joli petit chalutier fraîchement repeint en blanc. Les lumières du bord sont allumées. Par contre, le Bar du Port est éteint.

– Merde, où qu'y sont mes deux zouaves ?

– Tu sais, ne nous voyant pas arriver, ils ont dû repartir. C'est pas grave, on les trouvera demain. Allons voir Fernand.

Ils laissent la voiture, montent sur la jetée, passent sur le pont du bateau et s'approchent de la cabine. Des vitres latérales, on peut voir une partie du carré, situé sur le pont inférieur. Ils ne voient personne mais entendent tout, et peuvent parfaitement reconnaître les voix de Fernand, de Georges et de René. Ils frappent, entrent et commencent à descendre vers le carré.

– Salut Maurice, on t'attendais plus.

– Salut Fernand, alors comme ça tu dévergondes mes rombiers.

– On f'sait k'jouer à la belote, M'sieur, interjette le petit Prince.

– Dis donc, p'tit Prince, question perf, c'est pas un cadeau ta chignole ! 50 à l'heure de moyenne qu'on a fait.

– Oué, mais vous avez rien mis d'dans, faut voir ça aussi.

– Bon, mais comment qu'on r'part, avec les batteries au rouge.

– Tu trouv'ras des stations à Lorient ou à Concarneau, répond Fernand.

– Bon alors toi Fernand, quand est-ce tu r'pars, à la baille.

– On est paré pour d'main matin 5 heures, à la marée.

– Et tu pars tout seul, où c'est qu'y sont tes mocos ?

– Tu parles de Jean et Patrick ? Y z'ont quitté l'rafiot hier. Y z'en avaient marre d'attendre. Alors j'ai r'pris tes deux crapauds qu'y sont à bord d'puis s'matin.

– Ben j'vais t'dire un truc Fernand, k'tu vas êt' content. Mes crapauds comme tu dis, tu vas t'les garder. Pass'que moi, j'm'en suis trouvé un qu'a pas peur du taf. Et si tu pars d'main matin, tu vas y v'nir avec moi, à Lorient, que j'fasse le plein d'la chignole et k'jen rajoute un peu dans ta besace.

– Ma puce, tu viens avec nous ? Le p'tit Prince et le Singe, y peuvent garder l'barlu tous seuls, eux qu'y z'ont jamais vu la mer.