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Rentré chez lui, Maurice donne les journaux à sa femme, allume la télé, s'allonge sur le canapé et s'endort. Odile chuchote à son fils de ne pas faire de bruit, de laisser son papa se reposer en attendant le dîner puis se plonge dans la lecture des articles importants. Ce qui, finalement, la tracasse le plus, c'est cette invitation des clients à venir au commissariat de Police pour visionner les vues prises par la caméra. En même temps, elle a hâte de préparer leur départ en Bretagne. Et puis il reste aussi à planquer les dollars, et il en reste beaucoup. Elle aimerait résoudre au moins un de ces problèmes avant que Maurice ne se réveille, et avoir une proposition à lui faire avant le dîner, ou après s'il préfère.

Pour le départ en Bretagne, elle ne se fait pas de souci. Elle peut prendre sur elle de faire les valises dans la soirée.

Sur la caméra, elle imagine volontiers qu'on puisse apercevoir le Singe ou le petit Prince. Surtout le petit Prince, avec son cabas, le Singe étant sans doute moins voyant, malgré sa tête de clown inoubliable, car il est très petit, si petit qu'on ne le verrait pas derrière les épaules des autres. Mais quel motif invoquer pour entrer au commissariat et voir le film, elle qui n'était pas dans le coup et qui, en plus, est l'épouse de Maurice, bien connu de la chef d'agence ? Par contre, elle se dit que Maurice, lui, aurait plus de facilité pour s'y rendre, au poste de la place Saint-Sulpice, lui qui connaît bien Madame Girardin et qui était dans l'agence cinq minutes avant la fusillade. Il pourrait expliquer sa visite en disant que peut-être il reconnaîtrait certains clients ou certaines clientes qui pourraient être déjà entrées avant qu'il ne sorte. Elle décide de parler de cette idée à Maurice.

Quant aux dollars, elle hésite à les mettre dans les bagages et à les confier à Fernand à l'arrivée. Elle laissera Maurice décider.

Il est vingt heures. Elle appelle Alain dans sa chambre et secoue Maurice par l'épaule.

- Maurice, le dîner est prêt !

- Bon, tu as lu les journaux ?

- Oui, et je voulais t'en parler.

- Ecoute, ma puce, on dîne et tu m'racont'ras ça ce soir.

Pendant le dîner, Alain ne fait que poser des questions à son père à propos de la Blue Star, et Maurice ne sait répondre que « j'sais pas, fiston, la titine on verra ça quand on s'ra d'dans, sur la route. »

Après le dîner, Odile entreprend son mari à propos de la visite au commissariat. Maurice fait un peu la moue, considérant que cela retardera leur départ. Il ne voudrait pas faire attendre Fernand. Il veut aussi lui apporter les dollars, dont lui ne sait que faire. Mais finalement il accepte de revoir Madame Girardin le lendemain matin et de lui demander de l'introduire au commissariat. Un simple coup de téléphone devrait suffire. Par contre, comme ce sera mercredi, il serait préférable d'apporter du poisson.

Mercredi, Maurice décolle à huit heures trente. Il passe au marché et achète un beau morceau de raie. Il arrive à l'agence de la Société Générale peu après neuf heures.

Peu après neuf heures aussi, on sonne chez les Le Menech. Odile referme le couvercle de la valise qu'elle est en train de remplir et va ouvrir.

Un homme en complet veston se présente en montrant une carte barrée d'une bande tricolore.

- Bonjour Madame. Charles Marchand, substitut du Procureur de la République.

- Bonjour Monsieur, donnez-vous la peine d'entrer.

- Etes-vous seule Madame Le Menech ?

- Non, il y a aussi mon fils Alain, dans sa chambre. C'est pourquoi ?

- Et votre mari, il n'est pas là ?

- Ah non, mon mari est sorti il y a une demi-heure environ. Vous vouliez le voir ?

- Ce n'est pas grave. J'aurais préféré en effet vous parler à tous les deux, mais ça ne fait rien. Pouvons-nous nous asseoir ?

- Mais je vous en prie. Si vous voulez, je peux appeler mon mari sur son portable, il n'en aurait pas pour longtemps à nous rejoindre.

- Eh bien c'est ça, appelez-le. Nous patienterons quelques minutes.

Odile appelle son Mari.

- Mon chéri, où te trouves-tu ?

Silence

- Ecoute, ça serait bien que tu reviennes. Il y a Monsieur le Procureur à la maison et il aimerait nous parler à tous les deux.

Silence

- Bon, dix minutes, alors nous t'attendons.

S'adressant au substitut.

- Il sera là dans dix minutes.

- Merci, j'ai bien entendu. Nous allons l'attendre. Je vois que vous préparez vos bagages.

- Oui, nous nous apprêtons à partir en vacances.

- Vous avez de la chance, mais je crains de devoir vous imposer un petit retard. Où est-ce que vous comptez aller ?

- En Bretagne, dans le Finistère.

- En effet, il y a de biens jolis endroits par là-bas.

On entend une clef dans la serrure. Maurice entre et se présente.

- Maurice Le Menech. Excusez-moi, M'sieur, d'vous avoir fait attendre.

- Je vous en prie. Je ne vais pas vous retenir longtemps. Je n'ai qu'une question à vous poser.

- C'est quoi, vot'question ?

- Oui, enfin, ce n'est pas seulement une question. Il s'agit du petit garçon dont les parents sont décédés avant hier, en prison. Monsieur le Procureur souhaite que vous acceptiez de prendre cet enfant dans votre famille en attendant une décision de justice.

- Ben, c'est que... et après cette décision ?

- Après ? Eh bien il y a toute chance pour que le juge décide d'une adoption, si tout c'est bien passé. Et si vous en exprimez le désir, bien entendu.