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Le petit Alain ne marchant pas bien vite, les Le Menech comptent une demi-heure pour se rendre à pied au garage Pajot. Il occupe un assez grand espace, entre l'avenue du Général Leclerc et l'avenue Jean Moulin, tout près de la place Victor Basch en face de l'église Saint-Pierre de Montrouge. Sitôt arrivé avenue du Maine, Maurice traverse pour acheter d'autres quotidiens au kiosque qui se trouve en face du D'Artagnan. Il aperçoit Jacques en train de faire le service en terrasse et, ses journaux payés, il se rapproche de lui pour le saluer.

- Salut Jacques, alors, ta collec de timbres, ça avance ?

- Bonjour Monsieur Maurice. Non, j'm'y suis pas encore remis. Mais j'vous croyais partis en vacances ?

- C'est qu'on voudrait bien y partir, en vacances, mais j'ai plus d'bagnole qui peut faire d'la route, alors on va en chercher une que j'ai commandée s'matin. Dis-moi, t'as vu, Jacques, ce drame, pour les braqueurs de la rue d'Rennes ?

- Oui, j'ai vu ça Monsieur Maurice, mais c'est pas tellement les parents que j'plains. Après tout, y se s'raient pas punis eux-mêmes si ils étaient vraiment innocents. C'est l'poignon qu'à disparu et qu'on r'trouve pas. Y paraît qu'y en avait pour plus de trois plaques. Ça fout les boules, vous trouvez pas ?

- Tu sais, Jacques, ça va faire une semaine qu'y s'est envolé, l'poignon. J'sais pas pour qui y bossaient, ces deux là, mais s'qu'est sûr, c'est k'le poignon y s'est fait la malle.

- ça j'sais pas, mais s'qu'est sûr, c'est k'les flics y z'y sont d'sus. Vous aurez qu'à lire les journaux, vous verrez. Excusez-moi Monsieur Maurice, mais comme y dit l'patron, « les clients d'abord ».

- OK, j't'emmerde pas plus Jacques. Et y a ma bergère et l'lardon qu'attendent de l'aut' côté d'la rue. Alors à plus.

- A plus, Monsieur Maurice.

« Les flics y z'y sont d'sus, les flics y z'y sont d'sus », se répète Maurice en retraversant l'avenue du Maine pour retrouver Odile et Alain qui l'attendent depuis cinq minutes. « J'voudrais bien l'savoir, sur quoi y z'y sont, les keufs. Ou sur qui. »

- Il avait des choses à te raconter, ton Jacques ?

- Y m'a surtout parlé d'moutarde.

- Ecoute mon chéri, si tu veux, on peut passer par le bureau de change, boulevard Montparnasse, tu sais, en face de La Coupole.

- C'est ça, et le gras d'la culbutte, t'en fais quoi ma puce ?

- Je te dis ça par prudence, c'est tout. Ne te faches pas !

- Tu sais, les keufs y savent faire la différence entre une carte d'Europe, les colonnes du Parthénon et la trombine à Washington. Non ma puce, y a pas d'lézard, on va la chercher cette caisse. Et j'relirai les journaux à la maison.

La petite famille entre dans le hall d'exposition du garage Pajot. Il est deux heures dix.

- Oh Papa, la Blue Star ! Dis Papa, t'achètes une Blue Star ?

- Ben fiston, comment k't'as d'viné ?

- Il n'a pas deviné, mon chéri, ils ont les mêmes pour jouer, à la maternelle.

- Ah, Monsieur Le Menech, vous venez avec toute la famille. On parlait justement de vous avec Monsieur Pajot.

- Pass'qu'y s'intéresse tellement à moi, vot' patron ?

- C'est pas tellement ça, mais avec cette histoire de la rue de Rennes, la police interroge tous les commerçants du coin. Ils ont la certitude que l'argent ne s'est pas envolé.

- Y z'ont sans doute raison, mais y a quand même une différence entre des euros et des dollars.

- C'est vrai. Et c'est pour ça qu'ils ont aussi vérifié dans toutes les agences de change du quartier, au cas où.

- Ça c'est pas l'plus dur. Y en a qu'une à s'que j'sais, en face de La Coupole.

- En effet, c'est là qu'ils ont cherché.

- Et y z'y ont trouvé quoi, si c'est pas indiscret ?

- Finalement rien qui corresponde à l'affaire de la rue de Rennes, seulement quelques bricoles. C'est pour ça que Monsieur Pajot était tout à fait rassuré avant votre arrivée.

- Y sont quand même rigolos, les keufs. Y a trois gaziers dézingués et deux qu'y s'cordent pass'qu'y z'ont rien fait, et maint'nant leur môme qu'est orphelin, et sur quoi y s'acharnent ? Sur le poignon. Enfin, y chang'ront pas ! Et si on f'zait plaisir à not' p'tit Alain qu'y voudrait une Blue Star ?

- Eh bien, Alain, tu vois, on a pensé à toi. Elle est toute prête la Blue Star de ton papa. Regarde.

En effet, la Blue Star est bleue. Et étincelante.

Le jeune vendeur accompagne les Le Menech dans le bureau du caissier. Ce monsieur recompte soigneusement les billets. Tout étant vérifié, ils ressortent et passent dans le bureau du vendeur pour se voir remettre deux cartes à code, deux prises de rechargement, une carte de France des stations service disposant de stocks de batteries et enfin la carte grise. Ils s'installent ensuite dans la voiture pour les explications d'usage. (Ne pas oublier d'appuyer sur le bouton rouge coupe batteries de la carte, quand on s'éloigne de la voiture.)

Un technicien sort la voiture sur le trottoir. Maurice se met au volant. Odile et Alain s'installent à l'arrière. Tous bouclent la ceinture de sécurité et Maurice démarre.

- Maurice, tu t'en vas sans démarrer ?

- C'est ça l'progrès ma puce.

Et, se retournant vers Alain :

- Tu vois Alain, y suffit d'demander !

- Là, mon chéri, t'aurais mieux fait de te taire.