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Maurice reprend son souffle et après quelques secondes :

- Tu crois pas que j'vais lui r'vendre ma plus belle tire, à c'gazier k'j'ai vu qu'une seule fois, merde !

- Je te répète qu'elle est plus à toi cette voiture, elle est à lui. Il faut qu'on se débrouille avec ça.

- T'es drôle, ma puce. C'est pas un bleu l'bonhomme, il est pas miro, y va bien voir la carte grise.

- Mon chéri, on dirait que t'es plus le même. C'est toi qui avait les idées et maintenant tu t'en souviens même plus. On peut bien la lui revendre, cette voiture, ça fera qu'on sera remboursé.

Maurice se sent revivre. « Encore le coup du mort inversé ! Elle a tout compris ma puce adorée. Y a même pas besoin d'lui donner des l'çons. Oh, j'sens qu'elle l'aura, sa récompense, et dès c'te nuit. » A elle seule, cette pensée l'excite déjà. « Remboursé, qu'elle a dit, j'adore ce mot là, remboursé. »

- Tu viens t'coucher ma puce ? Demain y f'ra jour.

- Attends, c'est qu'il vaudrait mieux qu'on l'appelle tout de suite, ce monsieur. Tu sais bien que c'est un courant d'air. Si on veut traiter l'affaire, il n'y a pas de temps à perdre.

- Ok, ma puce, mais c'est toi qui t'en occupes, j'te sens bien sur c'coup là. Mais tu mets l'ampli su' l'bigo.

Odile compose le numéro. On entend un répondeur : « Bonjour, vous avez appelé le 01... Nous ne pouvons pas vous répondre pour le moment. Merci de laisser votre message après le bip. »

- Qu'est-ce que je fais, je laisse un message ?

- Ben essaye toujours, qu'est-ce qu'on risque ?

- Bonsoir, ici Madame Le Menech, ce message est pour Monsieur Vanderloch, à propos de sa visite de ce soir au Grand Garage. Vous pouvez me rappeler au...

- Raoul Vanderloch au téléphone. Excusez-moi Madame, il y a tellement de gens qui appellent pour n'importe quoi. Je laisse toujours le répondeur. Mais oui, je suis passé au garage tout à l'heure et j'ai vu votre voiture. Je vois que le gardien a bien fait son travail en vous appelant tout de suite, car je repars demain. Mais vraiment, je ne voulais pas rater une si belle occasion. J'en avais trouvé une semblable par E-Bay, mais je suis arrivé trop tard. L'enchère était déjà bouclée. En plus, d'après la photo, la votre semble être en bien meilleur état. Mais excusez-moi encore, je ne vous ai même pas demandé si vous étiez vendeur, pardon, vendeuse.

- Je vous en prie, il n'y a pas de mal, d'autant que c'est la voiture de mon mari. Vous savez, il est toujours vendeur. Qui n'est pas vendeur de nos jours, Monsieur Vanderloch ? Je peux passer vous voir, nous ne sommes sans doute pas bien loin, vous habitez où si c'est pas indiscret ?

- Non, non, ne vous dérangez pas, je vais vous dire, je suis prêt à mettre cent mille euros, mais avec une garantie de trois mois. Celle que j'avais voulu acheter s'est vendue quatre vingt quinze mille. Alors je trouve que cinq mille de plus...

- Ecoutez, je vais réveiller mon mari, mais je crains qu'il en veuille un peu plus. Vous avez une minute ?

- Bien sûr Madame, faites.

Maurice, de peur d'éclater de rire, est parti dans le couloir. Odile ne lui pose pas la question. Elle fait tourner le combiné une dizaine de fois entre ses mains et reprend la ligne.

- Cent vingt mille. Mon mari dit que c'est une affaire. Il venait juste de la faire réviser entièrement.

- En effet, c'est ce que m'a dit ce garçon, là haut, avec son collègue. Bon, cent dix mille. Mais demain matin au plus tard. Voyez, je ne cherche pas à vous faire tourner en rond.

- Bon, écoutez, je me charge de convaincre mon mari. D'accord comme ça. Je passerai à la Préfecture de Police demain à la première heure et je vous apporterai la carte grise et tous les papiers. Il me faudrait votre adresse exacte, c'est tout. Ah non, puis-je savoir comment vous paierez ?

- C'est très aimable à vous de vous en occuper. L'adresse c'est 223 boulevard Raspail. Raoul Vanderloch, avec c h à la fin. Pour payer, ça sera en dollars, c'est tout ce que j'ai.

- Mon Dieu !

- Un malaise Madame ?

- Non, pas du tout, mais le dollar, en ce moment, c'est pas très excitant.

- Ecoutez, si je vous donne un dollar soixante pour un euro, vous n'allez pas pleurer.

- Non, bon, on fera avec, nous n'en sommes quand même pas à jouer aux marchands de tapis, et vous non plus n'est-ce pas ? Alors un rendez-vous chez vous à 10 heures, par exemple, cela vous conviendrait-il ?

- 10 heures, c'est parfait, mais faisons ça au garage si vous voulez bien. Je prendrai la voiture tout de suite.

- C'est entendu, à 10 heures au garage. Je vous souhaite une bonne nuit.

- A vous de même, bonsoir Madame.