Page 28

Le p'tit Prince est parti depuis une bonne demi-heure. Maurice a refait surface. Mieux réveillé, il retrouve peu à peu ses esprits.

- Ma puce, ça s'rait bien qu'on fasse le point. Qu'on voie si on a rien oublié. Tu veux bien m'faire un café ?

Odile prépare deux tasses de café et les pose sur la table, devant le canapé.

- Je n'sais pas si on a oublié quelque chose, mais il reste à acheter une voiture. Tu as sans doute une idée.

- Ben pas tant k'ça. A part les vieilles caisses, j'y connais rien aux taxis d'en c'moment. C'que j'sais, c'est que j'voudrais pas y met' des tonnes de gazoil, au prix qu'y l'font maint'nant.

- Pourquoi t'en parlerais pas à Georges ? Il s'y connaît mieux que nous.

- T'as raison, ma puce, j'vais r'tourner l'voir. Et j'pense à un truc, c'est qu'y faut la changer d'place, la Dora Adenauer.

- Tu vois, mon chéri, ça te fais du bien de faire la sieste. Tu retrouves toutes tes idées.

Maurice finit sa tasse de café et part au Grand Garage. Arrivé rue Campagne Première, il monte dans les étages et ne trouve personne. Il redescend au rez-de-chaussée, chez Vérifauto, la station de « contrôle technique auto » qu'il avait créée en franchise peu après le rachat du garage. Il y a mis un gérant, Michel, avec qui il fait le point sur les affaires une fois par mois, un ouvrier qualifié et une secrétaire. D'habitude, il ne les dérange pas. Ils font leur travail. Un cabinet comptable s'occupe des fiches de paie. Maurice n'a conservé la gestion que des étages de parking, avec l'aide de ses deux gaziers. Cette organisation permet de ne jamais fermer le garage, Verifauto restant ouvert tout l'été. Les clients du parking ont une carte à code qui leur permet de rentrer ou de sortir leur voiture à toute heure du jour ou de la nuit. Et entre 8 heures et 20 heures, Georges ou René, et tous les deux le plus souvent, sont supposés être là : entretien des voitures, réparer les roues crevées, vérifier les batteries, faire tourner les moteurs des clients qui ne viennent que rarement (Monsieur Vanderloch par exemple), et toutes les bricoles possibles et imaginables.

- Michel, vous n'auriez pas vu mes deux gaziers par hasard ?

- Ah si, M'sieur Maurice, on les a vu sortir tous les deux avec la 2 CV, il y a une heure environ.

- Bon, merci Michel. J'vais les attendre là-haut.

Maurice remonte au troisième étage. Il lui revient l'idée que ses deux employés puissent être repartis chez Go Sport, pour la super-promotion. Qu'à cela ne tienne, ça lui laisse le temps de changer la Mercedes de place.

« Démarrage au quart de tour, moteur hyper-silencieux, un bijou c'te caisse », se dit Maurice avec tristesse. Le regret de s'être déssaisi d'une de ses favorites. Maurice descend la voiture d'un étage et la gare à la place restée vide, à côté des deux voitures de Monsieur Raoul Vanderloch, une autre Mercedes - une 600 SLX - et un vieux Land-Cruiser Toyota des années 80 avec le traditionnel hard-top. Il éteint le moteur, reprend la clef, ferme la voiture et remonte au troisième. La 2 CV y arrive en même temps que lui, avec les deux compères. Le p'tit Prince, au volant, gare la voiture à sa place et tous les deux sortent, tout souriants.

- Ah, M'sieur Maurice, vous êtes là ! Vous savez pas ? Ils lui ont fait cadeau d'la guitoune au p'tit Prince, fait le Singe.

- Ben mon salaud, tu pourras lui offrir des fleurs à c't'OPJ. Et pas des fleurs de macchab' ! Ah, j'vais bien m'fendre la poire quand j'vais vous l'voir monter, c'te barnum ! Et si vous m'faites ça comme pour l'emprunter, j'crois que j's'rai pas tout seul à m'la fendre !

- Vous verrez, M'sieur Maurice, qu'on va s'en démerder du montage. Le caïd à Go Sport y nous a tout expliqué. Mais M'sieur Maurice, où k'c'est qu'elle est partie la Dora qu'était là ?

- T'inquiètes, le Singe, j'lai changé d'place. J'voulais garder c'te place là pour une aut' caisse que j'ai maté.

- Ah bon, et où k'cest k'vous l'avez mise ?

- Au deuxième, à côté du Land à M'sieur Van d'mes deux.

- Alors, M'sieur Maurice, nous on est prêt pour partir, dit le p'tit Prince. Y nous reste à vérifier deux ou trois bricoles sur la deuche et on s'tire.

- Ça il en est pas question les guignols ! Vous allez pas rouler d'nuit avec cette guimbarde. Vous attendrez d'main. Et moi, j'men vais r'trouver ma bergère qu'elle m'attend pour souper.

- Vous lui direz bien l'bonsoir à M'dame Odile. Et pis à bientôt ! On se r'trouve là-bas comme vous l'avez dit.

- C'est ça, on se r'trouve là-bas. Ciao.

Maurice s'en va, s'arrête brusquement et revient sur ses pas.

- Dis donc, p'tit Prince, t'as une idée pour une tire où qu'y a pas d'sauce à y mettre ?

- Si M'sieur. Y a la nouvelle Blue Star, qu'elle est entièrement électrique. Y z'en ont chez Pajot, près d'la Porte d'Orléans.

- Merci p'tit Prince. Cette fois j'men vais.

Maurice est à peine arrivé chez lui que son portable sonne. Il le tend à sa femme.

- Tu veux pas répondre pour moi, ma puce ?

- Bien sûr mon chéri, donne !

Après dix minutes, Odile rend le portable à son mari et lui raconte.

- C'était ton p'tit Prince. Tu devineras pas ce qui arrive.

- Non, mais tu vas m'raconter.

- Ton client Monsieur Van de machin qui a ses voitures au garage...

- Oui, et ben quoi, qu'est-ce qu'il a ?

- Il est monté voir tes gars, tout étonné de trouver une Dora à côté de ses voitures. Et il leur a demandé si elle était à vendre, disant que ça faisait longtemps qu'il en cherchait une comme ça, qu'il voudrait bien que tu le mettes en rapport avec le propriétaire.

- Eh alors ?

- Alors Van de truc demande que tu l'appelles chez lui. Il a donné son numéro.

- Ben j'vais l'appeler, y a pas d'lézard.

- T'oublies seulement que c'est déjà lui qui en est le propriétaire, depuis ce matin.

- Putain !