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Il se fait tard. Alain dort déjà, sans même avoir dîné. Maurice et Odile n'ont pas faim non plus. L'alerte était chaude. Ils entrent dans leur chambre et se couchent.

- Si j'ai bien compris, ils vont relacher notre Georges dès demain, tu ne crois pas mon chéri.

- Demain, j'crois pas, mais lundi sûrement. Pour le convoquer plus tard en correctionnelle.

- Ils pourront partir alors, c'est une chance.

- Ça, tu peux l'dire, une chance, mais pas méritée.

- T'as encore l'air déçu, j'te comprends pas ?

- Ecoute ma puce, y z'arrêtent pas d'copier mon plan. Qu'y r'lâchent le p'tit Prince, c'est bien, mais qu'y m'rapportent la chignole, c'est pas leur jeu à eux. C'est comme s'ils l'avaient d'viné, qu'maint'nant, c'est les bourres qui f'raient not' travail. Y m'laissent même pas l'temps d'appliquer mon plan. Faudrait qu'y m'lâchent la grappe et qu'y m'piquent pas mes idées.

- Mon chéri, n'y pense plus et dors, t'en auras d'autres des idées.

- Note bien k'si y veulent tout faire eux-mêmes, j'y vois pas d'mal, on s'rait peinard, mais y préviennent pas. C'est ça qu'est grave.

- T'en fais pas et dors. Demain c'est dimanche. T'auras tout le temps d'y penser.

Ils s'endorment comme des bébés.

Une bonne partie de la journée de dimanche est passée à faire les papiers nécessaires pour le changement de propriétaire de la Dodge Viper. L'acheteur ? Un des clients du Grand Garage, celui qui a déjà deux belles voitures en gardiennage et qui ne s'en sert jamais, vu qu'il ne revient en France qu'une fois par an, et encore. On connaît son nom, Raoul Vanderloch et son adresse, boulevard Raspail. C'est tout ce dont on a besoin. Le non gage vient par internet et le contrôle technique, par le Grand Garage. Il reste la prefecture pour la carte grise. A faire demain lundi, à la première heure.

- Et l'assurance mon chéri, on oublie l'assurance !

- Attends ma puce, qu'est ce qu'on a besoin d'une assurance. Elle bougera pas la caisse, elle reste au garage. Pas b'soin d'lassurer. D'ailleurs, ça fait d'puis l'début qu'elle est pas assurée celle-là. Par contre, t'as raison, faudra qu'on la change de place, qu'on la mette à côté des tires à M'sieur Vanderloch.

Dimanche après-midi, Luxembourg, bridge et bateau à voile. Les parisiens ont déserté la capitale pendant ce week-end prolongé mais on dirait que ceux qui sont restés sont tous au Luxembourg.

La soirée se passe devant la télévision, avec un DVD pour Alain, La guerre de boutons.

Lundi matin, Odile part à la préfecture de police. Elle est de retour à 10 heures. Maurice a le temps d'aller rue de Rennes, à la Société Générale. Il hésite à téléphoner. Finalement il décide d'y aller sans rendez-vous. « Un 17 juillet, y doit pas y avoir foule. » Il part, avec la sacoche en bandoulière.

Dès qu'il passe dans le champ de la caméra, dans le sas d'entrée de l'agence, il aperçoit Madame Girardin qui sort de son bureau et s'approche de lui. C'est même elle qui appuie sur le bouton pour ouvrir la seconde porte du sas de sécurité.

- Monsieur Le Menech, vous ici un lundi matin ! Ça peut pas être pour le poisson, c'est pas jour de marché. Alors, quel bon vent vous amène ? Mais je vois que vous êtes chargé, entrez donc dans mon bureau et posez votre sac.

- Bonjour Madame. Oui, j'ai deux surprises pour vous, et j'voulais pas vous faire attendre. Ou plutôt, j'ai une surprise, et un service à vous d'mander.

- Comme vous voulez. On commence par quoi ? Mais asseyez-vous donc !

- Par le service si vous voulez.

Maurice s'assied.

- C'est à propos du môme de l'aut' jour, ma femme et moi...

- Attendez, Monsieur Le Menech, sur cette affaire, moi aussi, avec mon mari on avait une question à vous poser. Ça tombe bien que vous en parliez.

- Ç'était quoi vot' question ?

- C'est peut-être un peu indiscret, mais vous comprenez, ce garçon qui a à peine neuf ans, on pouvait pas se résoudre à le voir trimballé de famille d'accueil en famille d'accueil. On sait trop bien ce que ça donne plus tard. La plupart tournent mal, pour ne pas dire tous. Alors on s'était dit que peut-être, enfin que votre famille pourrait peut-être... mais j'vous sens pas bien Monsieur Le Menech, je peux vous apporter un verre d'eau, quelque chose ? Tenez, prenez déjà un bonbon dans ce bocal.

« De famille d'accueil en famille d'accueil... et qui tournent mal... », c'était la phrase à ne pas dire. Dure à avaler pour le Maurice, qui doit absolument reprendre ses esprits.

- Oui, j'veux bien un verre d'eau, mais ça ira. C'est qu'on a passé des moments pénibles avec ma femme, à r'penser à cette triste histoire. Mais oui, j'devine que vous aviez pensé à nous pour le garder, cet enfant. J'suis bien sûr qu'Odile, pardon, ma femme, elle s'ra d'accord, et not'fiston, Alain, y s'rait ravi d'avoir un grand frère. J'suis sûr que si j'l'appelle maint'nant, Odile, elle dira oui sans hésiter. Vous permettez ?

Maurice tire son téléphone portable de sa poche.

- Ne vous gênez pas, Monsieur Le Menech, prenez donc mon téléphone.

- Merci Madame, oh, j'suis sûr que ça s'ra pas long.

- Odile ? C'est Maurice. Dis ma puce, j'suis à la Société Générale où k'c'est qu'y a eu l'braquage. J'suis avec Madame Girardin qu'est la chef d'agence. Justement, elle me parle de ce petit garçon que les parents y z'ont mis en prison. Pour savoir si on s'rait d'accord pour le prendre avec nous. Tu s'rais d'accord ?

Silence

- J'en était sûr. Bon, j't'embrasse ma puce, à tout-à-l'heure.

- Vous voyez, çà a pas été long. J'savais qu'elle s'rait d'accord. Mais on sait pas du tout c'qu'y faut faire. Vous pourrez nous aider, Madame Girardin ?

- Ne vous inquiétez pas, mon mari va s'en occuper, à la mairie. Mais vraiment je vous remercie, vous pouvez pas savoir comme il sera content, lui aussi. Alors parlons de votre surprise maintenant, si vous voulez. C'est quoi encore, votre surprise ?

- Vous m'croirez p't'être pas, mais c'est pour ouvrir un compte. Pardon, trois comptes. Des assurances vie, c'est possible ?