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Ayant passé une paire d'heures sur la toile et n'ayant abouti à rien, Maurice décide de laisser tomber. Il ira demander conseil à la mère Girardin. Dès lundi, même si c'est pas le jour du poisson. Et si c'est pas vraiment dans ses cordes, elle pourra en parler à son mari. Elle lui avait dit qu'il travaillait à la mairie, donc assez bien placé pour avoir des renseignements. En attendant, Maurice et sa femme décident de commencer à préparer leurs affaires pour partir en Bretagne dès que possible.

- Et puis lundi, j'en profiterai pour lui dire, à Madame Girardin, qu'on sera en vacances jusqu'au 15 août. Il faudra qu'elle se démerde pour son poisson.

- T'as prévu quoi, mon chéri, pour partir ?

- On prendra la Chevrolet, c'est la seule qui peut faire un peu de route, à part la dedeuche. Mais celle-là, j'l'ai prêtée aux deux rombiers, Georges et René. Y s'sont mis dans la tête d'aller camper à Brigneau.

- Mais on n'arrivera jamais au bout avec cette gimbarde, mon chéri. Il aurait fallu la revoir complètement, et puis si tu sais compter, à 20 litres aux 100 minimum, on va casser la tirelire !

- Mais j'ai demandé au p'tit Prince de s'en occuper, de m'la bichonner. J'suppose qu'il est d'sus en c'moment. J'm'en vais y faire un tour et vérifier qu'y pense aux réglages. T'inquiète pas ma puce.

Arrivant au garage, au troisième étage, Maurice du bruit, comme un bruit d'aspirateur, et il aperçoit une paire de pieds qui dépassent d'une portière arrière de la Chevrolet, dont les quatre portières sont ouvertes. Il s'approche et trouve le Singe allongé sur la banquette arrière, passant l'aspirateur dans tous les coins de la voiture. Il lui secoue un pied. René se retourne, éteint l'aspirateur et ressort de la voiture.

- 'jour M'sieur Maurice, vous v'nez voir où on en est ?

- Tu l'as dit, c'est ça, où k'vous en êtes, et k'c'est pas avec trois coups d'aspirateur qu'vous allez m'l'arranger aux p'tits oignes, ce moulin. Mais où k'c'est qu'il est ton caïd ? Et la deuche ?

- C'est pour la guitoune, M'sieur Maurice. Y vont l'déboucler vu qu'y leur a rendu à Go-Sport.

Maurice devient rouge de colère.

- Ah nom de Dieu vous les accumulez les cagades ! Et tu vas m'la décliner par le détail vot' couillonnade. Et pourquoi k't'es là, toi, à rien glander ?

- C'est k'pour la guitoune, on a fait comme vous l'avez d'mandé au p'tit Prince. D'l'emprunter, c'est tout. On voulait pas y perd' du temps et on a pensé qu'à Go-Sport, avenue du Maine, y avait l'choix. On a pris ladeuche et moi, le p'tit Prince y m'a d'mandé d'rester près d'la tire qu'était sur les clous, des fois qu'une gonzesse elle y mette un ticket. Et le p'tit Prince il est r'sorti cinq minutes après, sauf qu'au moment où qu'y posait l'paquet à l'arrière, y a quat' keufs qu'ont déboulé. C'est tout M'sieur Maurice.

- Et toi, j'parie qu'tu t'en roulais une pendant c'temps là, à la papa, comme dab.

- Heuh..., j'pouvais rien faire. C'est le p'tit Prince qu'a rendu la guitoune, mais y z'ont fait embarquer la deuche, et lui, il est parti avec les keufs.

- Quelle bande de brêles, j'te les entraîne au braquage de banque, tout c'qu'y a d'plus prop', et y sont pas foutus d'taxer un barnum à une casingue, ces guignols. Et vu k'c'est mes brêmes qu'y sont, dans la deuche, y vont pas tarder à rappliquer, les barbouzes. Tu t'y r'mets, à ton aspirateur, et tu continues d'faire le Singe, et rien d'aut', t'as compris ? T'as rien vu, t'as rien fait, que d'laver des caisses, et d'puis c'matin. Mets-y toi bien ça dans la cervelle, même si elle est trop p'tite !

Maurice craque. Il rentre chez lui et, effondré sur le canapé du salon, il raconte tout à Odile.

- Mais ne te mets pas dans cet état, mon chéri, tu en as vu d'autres. Toi, t'as rien fait, t'es tranquille. Le seul problème, ça va être pour partir. La Chevrolet ne sera pas en état.

- Faudra bien qu'on parte, ma puce, Fernand y va pas nous attend' des s'maines. Y aura qu'à prend' le train, qu'est que tu veux.

- Tu sais bien que j'aime pas le train. Tu peux bien acheter une vraie voiture. Pour une fois !

- Ah, ça, j'me d'mande bien avec quoi ? J'vais quand même pas taxer une tire toute neuve à un collègue !

- Mais je t'ai pas dit « taxer « , j'ai dit « acheter ». Avec des sous, comme tout le monde.

- Des sous, des sous, mais on a tout fourgué à Fernand.

- Chéri, tu m'a toujours dit que Fernand, il voulait des comptes ronds.

- Donc, t'y a mis cinq tickets de not' poche ?

- Ah ça, jamais ! J'y ai mis quatre cent mille, dans le sac. Ça te laisse assez pour choisir, non ?