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Et Maurice de poursuivre :

- Moi vous savez, y a qu'les mammifères marins que j'connais, les dauphins, les baleines, les phoques. Mais avant de vous asseoir, venez donc par ici, c'est-y pas génial d'avoir les trains en miniature sous sa fenêtre ? Regardez, là, entre les jardins et les tennis, les trains qui arrivent et qui partent. Et j'peux vous dire que l'dimanche soir, on les entend les supporters, ceux qui reviennent de Bretagne, de Vannes, de Brest, de Lorient, et qui gueulent « On a gagné, les doigts dans l'nez ».

Et le condé, juste au moment où Alain et sa bande de petits amis, auxquels Odile vient d'ouvrir, entrent dans la salle de séjour, de reprendre, avec la voix d'un supporter entraîné: « Y z'ont perdu, les doigts dans l'cul ».

- Les enfants, je vous sers un verre d'orangeade et vous irez jouer dans la chambre d'Alain. Ces messieurs prennent l'apéritif avec Papa et nous vous appellerons, commande Odile, toute à son affaire de maîtresse de maison.

- Les habillés et le condé ont pris place dans les fauteuils.

- Whisky ou Ricard ? leur demande Maurice.

- On est plutôt côté gendarme, fait le condé.

- Ah, là j'vous suis plus, c'est nouveau alors. Non, j'vous d'mandais, comme apéro, c'est quoi vot'préférence.

- Le gendarme, c'est kir au vin rouge, précise le brigadier chef, celui qui avait surveillé le caddie de Madame.

- Ah bon, pass'que la police et les gendarmes, j'avais toujours cru que...

- On fait chacun not'métier, mais dans Paris, c'est plutôt nous, précise le condé.

- Oh, y a pas d'mal, il en faut bien pour tout l'monde. Ma puce, t'apportes le cassis et une bouteille de rouge s'il te plaît ?

Maurice s'impatiente. Qui va mettre les pieds dans le plat ? Odile ? Un keuf ? Le téléphone sonne. Odile décroche, écoute et répond :.

- J'vous passe mon mari.

et, s'adressant à Maurice

- Mon chéri, tiens, c'est Georges, ils ont ramené la voiture au garage.

Maurice prend le combiné :

- Alors, c'était quoi, cette panne ?

Silence

- La batterie, c'est tout ? Bon, y a qu'à la laisser en charge cette nuit, tu veux ? Et dans la voiture, y a plus rien ?

Silence

- Ah bon. Alors à plus Georges, et merci.

Maurice raccroche et pâlit de nouveau. Il s'en rend compte et se sert un verre de whisky, sec, pendant qu'Odile sert les autres. Et sans attendre, il lève son verre. Santé bonheur ! Et il avale son verre d'une traite.

- Ma puce, c'est pas que j'm'inquiète, mais t'avais rien laissé dans l'auto ?

- Tu parles du cabas mon chéri ? Oh non, même que ce monsieur, avec sa collègue, ils ont eu du mal à le verser dans le sac blanc, un de ces deux là.

- Vous savez Madame, c'est pas tant pour le mal, c'est qu'on aurait pas voulu casser quelque chose, dit le chef brigadier. C'est tout dans l'fond d'un d'ces grands sacs.

- C'était pas qu'ça craint, c'est que d'la ferraille emballéee, avec du papier.

- Vous faites dans la ferraille, Monsieur Le Menech ? demande le condé.

- Disons qu'c'est dans les ferrailles. C'est pour les bagnoles, au garage où j'suis associé. Des pièces, pour les rechanges.

Maurice a retrouvé son teint coloré, un teint de vieux loup de mer, mais pas si vieux quand même. Et il commence à le sentir venir, le coup en mort inversé, mais pas qu'un seul coup, le tir à répétition.

- Bon, les gars, vous récupérez les sacs, ordonne le condé. Faut qu'on s'casse. On est pas du village, nous. Y a du taf à l'Opéra.

- Où c'est qu'vous voulez qu'on les vide, M'sieur, demande le jeune bleu en montrant les sacs.

Aïe, aïe, pense Maurice, qui n'avait pas prévu cette étape délicate.

- Laissez donc, j'm'en vais les vider dans la chambre des enfants.

- Ah non, mon chéri, tu n'y penses pas, c'est leurs cadeaux et tous les enfants sont dans la chambre. Faut leur garder la surprise !

- Bon, ma chérie, alors la salle de bains.

A mille à l'heure, Maurice réfléchit : Merde, merde, mais lequel c'est, le sac, le mien ? J'peux pas l'demander à Odile qu'en saura rien, et sûrement pas aux keufs. J'vais les soulever tous les deux et j'prendrai l'plus lourd d'abord. Maurice rapproche les poignées des sacs, se baisse, et, tel un haltérophile, soulève les deux énormes sacs. Mais c'est peu dire que l'un des deux, celui qu'il a en main droite, est plus lourd que l'autre.

- Vous y aurez du mal, M'sieur Le Menech, mon collègue et moi on va vous l'porter s'te sac là.

Pas plus d'une seconde et les bleus, qui sont pas plus balaises que Maurice mais qui sont deux , t'attrapent le sac et te l'emportent vers le couloir.

- Attendez, laissez-moi vous ouvrir la porte, fait Maurice en se précipitant devant eux.

Et à l'entrée de la salle de bains, dont il laisse la porte à demi fermée :

- Tenez, vous n'avez qu'à l'poser là, et si vous voulez bien m'apporter l'autre.

- Avec plaisir M'sieur Le Menech.

En moins de temps qu'il faut pour un arraché, Maurice a soulevé le lourd sac et l'a appuyé contre le bord de la baignoire. Il renverse tout, et rassemble tous les paquets de jouets sur les liasses et les rouleaux de monnaie. C'est à peine si une ou deux liasses de billets de 50 euros dépassent mais ils se fondent aisément dans ce fouillis bigarré.

- Y a qu'à l'verser par dessus, dit Maurice au jeune, qui est déjà dans son dos avec l'autre sac.

- Ah, j'vois qu'y a même du Monopoly, fait le jeune. Alors y vendent aussi les billets sans la boîte ?

- Ah ça, c'est pas pour les enfants, c'est pour quand on a des amis. La boîte, on l'a déjà, mais y faut toujours plus de billets. Y veulent tous ach'ter la rue d'la Paix et construire des hôtels.