– Faites, dit Willy un peu hésitant mais immédiatement approu­vé par Muriel Girardin. Oui, faisons comme ça si Maurice veut bien, surenchérit le banquier. Maurice, en s'approchant, rentre le pan de son polo noir dans son jean – noir aussi, comme toujours –, en descend les manches qu'il avait repoussées jusqu'aux coudes, déchausse ses lunettes noires qu'il accroche à son col roulé, passe sa main dans ses che­veux comme pour en faire tomber la sueur – ou de la poussière – et vient s'asseoir à côté de sa femme, entre elle et Muriel Girardin, en face de Willy.
– Mes amis, il est pas loin d'qua'heures maint'nant, et j'ai un p'tit creux. Pas vous ?

À l'allure qu'avait son mari en arrivant, à ce « petit creux » déclaré, Odile comprend que le chargement devait être important, et le transport – deux fois –à bras d'homme, fatiguant. Elle en sourit.
– Mon chéri, commande-toi quelque chose, une galette, un croque-monsieur, enfin ce que tu veux, c'est bien normal, tu n'as rien pris à déjeuner. Et nous nous sommes dit, avec nos amis, que nous pourrions dîner ensemble ce soir, à l'Hôtel de la Poste. Monsieur Vandenlood a encore plein de choses à nous dire et j'ai pensé que...
– T'as très bien pensé ma puce. Mais faudrait k't'appelles Gwenaelle pour la prév'nir, pendant que j'vais commander un croque.

Les deux voitures arrivent en même temps à l'Hôtel de la Poste, Willy Vandenlood ayant pris Muriel Girardin avec lui, dans sa Mercedes – vide. Maurice, avec la Blue Star – vidée, elle, à l'occasion se son dernier aller-retour –, ouvrait la route. Il n'est même pas 19 heures. Odile conduit Alain dans sa chambre après avoir laissé les autres s'installer dans le salon, un salon pour eux tout seuls, les vacanciers aoûtiens étant déjà partis.

Gwenaelle arrive aussitôt, poussant une table roulante chargée d'apéritifs et d'amuse-gueule, canapés au crabe, chouquettes, croustilles au fromage, olives...
– Madame, désirez-vous un apéritif ? demande-t-elle à Muriel Girardin.

Madame Girardin cherche une étiquette ou une forme de bou­teille qui lui soit familière quand on entend Odile, de l'escalier, appeler son mari :
– Maurice, tu veux-bien monter un instant ? Alain veux te par­ler !
« Quelle meuf ! Se plaît à penser Maurice tout en s'excusant auprès de ses hôtes. Comme celle-là, y en a pas une dans toute la Bretagne ! » Arrivé à l'étage, il entre dans sa chambre où l'attend Odile.
– Mon chéri, c'est seulement pour te dire que Willy, quand il est revenu de son entrevue avec Boris, ça n'avait pas l'air d'aller bien. Il s'est sûrement passé quelque chose d'assez grave. Il a cherché à le cacher bien sûr, mais attends-toi à une surprise. C'est d'ailleurs le mot qu'il a employé, il a dit « une bonne surprise ».
– Ben ça t'étonne ma puce ? C'est-y pas ça la vie pour nous, d'puis l'mois dernier, les bonnes surprises ? Ça f'ra qu'une de plus. Mais la question qu'elle est pas dégauchie, c'est l'môme Sébastien k'les keufs y z'ont embarqué s'matin. Ça, c'est l'taf à la mère Muriel que j'pense. Faut pas qu'elle parte demain. T'y caus'ras s'soir, OK ma puce ? Allez, viens, on descend, faut pas les laisser causer trop longtemps sans nous.

Gwenaelle a fini par convaincre Madame Girardin de goûter un cocktail maison peu alcoolisé. Willy Vandenlood n'est pas en­core servi.
– Ah, Willy, vous êtes pas servi ! Alors Gwenaelle, vous f'rez goûter vot'Brutmacchich à mon ami Willy.
– Bruichladdich, mon chéri, Bruichladdich. Et pour moi aussi, s'il vous plaît Gwenaelle, juste un doigt, avec un glaçon.
– Vous m'direz s'que vous en pensez, Willy, s't'un ami pêcheur qui m'l'a fait goûter.
– Oh mais je connais ! C'est le patron pêcheur dont je vous ai parlé, Boris, qui me l'a fait connaître. Il en rapporte souvent des îles écossaises.
– Ah, s't'homme charmant comme vous disiez ?
– Heuh, oui, heuh, c'était lui que je voulais vous présenter. Mais entre temps, j'ai eu une mauvaise nouvelle. Le père Boris a décidé de ne plus travailler avec moi. Il prétend avoir trouvé un armateur qui lui offrirait une situation... en or massif, comme il dit.
– Ah ça, s't'un coup dur, faut bien dire. Mais j'vous connais un peu, Willy, vous êtes pas du genre à vous laisser bigorner par un moco, pas vrai ? Et l'or massif, faudrait déjà qu'y soit jaune ! Vous savez mieux k'lui.
– Je n'vous le fait pas dire, Maurice. Et c'est bien pour ça que j'ai pensé à vous.
– Ah, pour une surprise, c'est une surprise ! lance Odile. Mon chéri, tu te rends compte ? Le Guilvinec, patron du Guilvinec, toi qui adore la mer !
– La baille, ma puce, ce cimetière où k'tous mes vieux y sont restés, et les vieux d'mes vieux, mais j'la renarde, la baille, j'la gerbe ! Foi d'marin !
– Monsieur Le Menech, je vous connais assez, moi aussi, pour penser que vous avez assez le sens du service pour ne pas refuser l'offre de Monsieur Vandenlood.

« Ah, elle s'y croit déjà à la Wiva, la Muriel, pense Maurice, eh bien c'est dans l'sac : moi su'l'Guilvinec et elle sur Sébastien.. Faut k'ça passe ou k'ça casse ».

– Vous avez raison, Madame Girardin, et j'suivrai vot'conseil. Et service pour service, j'crois bien k'ma puce elle a aussi kek'chose à vous d'mander. Mais c'est p'tet l'heure d'se met'à table, non ? Alors, Willy, une gobette au Guilvinec ?
– C'est parfait Maurice, santé à tous !