Fernand et Maurice sont passés chez Hertz rendre la camion­nette et sont revenus sur le Keraban avec les casiers à poisson vides. Le Marie Prigent n'est plus là.
– Merde, comment j'vais faire pour ram'ner du poisson ? Il est est parti mon pote du Marie Prigent.
– T'inquiète, Fernand, on f'ra une escale d'main matin. On verra où on s'trouve vers les 7 heures, du côté d'Douarnenez ou d'Guilvinec. Maint'nant faut met' les bouts. Y a l'courant avec nous et faut en profiter.

Fernand réveille ses deux matelots et leur confie la navigation.
– Vous v'nez m'réveiller quand on s'ra par le travers de Batz. Gilbert, tu gardes le 225. Quand t'auras l'phare de Bréhat à 10 milles, tu mettras à 250 jusqu'à Batz. Et toi Eric, tu fermes pas l'œil.
– Tu m'réveilleras aussi, Eric, ajoute Maurice.

Les deux amis sont réveillés à minuit. Fernand prend la barre et Maurice reste à côté de lui et surveille.
– Eric, avant d'aller t'recoucher, prépare nous donc du café.
– Bien patron.
– Ça va Maurice, tu t'endors pas ?
– Ça va. Avec le café ça ira encore mieux.
– C'est qu'y a faudra êt' vigilant.quand on s'rapproch'ra d'Ouessant. Mais c'est pas pour tout d'suite.
– Là t'en as un qui vient sur tribord.
– Oué, j'ai vu. C'est la régulière de Roscoff. Y vient d'Plymouth, la Cornouaille, les rossbif. Y en a tout l'temps qu'y viennent nous attriquer toutes nos baraques. D'puis des berges déjà.
– Et alors ? L'pognon qu'y claquent chez nous on l'récupère dans les tirelires ! C'est panard.
– C'est bien Maurice, c'est bien. Mais fais gaffe, voilà l'phare d'Molène.
La Jument, ah, il est fini l'bon temps k'c'étaient des potes qu'étaient là-haut !
– Si on continue comme ça, on s'ra à 7 heures à Guilvinec. T'y connais du monde à Guilvinec ?
– Ben y a souvent l'barlu à Nedelec, ou celui à Morvan. Et les autres, j'sais plus bien. Y k'le Bugaled Breizh qu'est plus là malheureusement, d'puis 2004. Y nous aurait filé un coup d'paluche lui aussi. Mais t'inquiète pas Fernand. On trouve tout dans s'port. Tu m'croiras pas, mais c'est not' troisième plus grand port de pêche. – Maurice, tu m'racont'ras ça plus tard. Y l'raz d'Sein main'tnant qu'avec le courant d'marée il est chaud.


Il est 6 heures 50. Le Keraban vient s'amarrer au quai d'Estienne d'Orves. La criée est déjà ouverte. Fernand et Maurice ressortent de la cale les trois casiers déjà utilisés pour l'autre forme de pêche et, ne voyant aucun des bateaux amis, ils vont faire leur marché. Merlu, cabillaud, langoustine, trois produits pour trois casiers. De quoi assurer le marché de lundi si Fernand fait la route dimanche jusqu'à Paris. Sinon, ce sera pour les hôtels et les restaurants de Moëlan et des environs.

Les réserves faites, Fernand reprend la barre et Maurice la veille.
Il reste encore quelques 30 milles avant l'arrivée à Brigneau. Une affaire de trois petites heures. En fait, le flot (1) aidant, ils entrent dans le port un peu avant 11 heures, croisant les nombreux plaisanciers qui sortent, ce samedi de grand beau temps, pour tirer quelques bordées avant l'heure du déjeuner.

Maurice a sorti les pare-battage et saute sur le ponton avant même que le bateau l'ait touché. Le bateau est vite amarré, le pont copieusement arrosé au jet et les casiers de poisson immédiatement mis au frais dans le hangar. Maurice et Fernand montent jusqu'au Bar du Port, saluent Madame Yvonne, s'asseyent à une table et enfilent une bouteille. Maurice sort son portable et appelle sa femme.
– C'est toi ma puce ?
silence
– Oui, on vient d'arriver. On est au Bar du Port. Tu peux v'nir nous chercher
silence
– Oui, si tu veux ma puce, t'à qu'à v'nir avec Alain. J'préviens Yvonne.
silence
– Moi aussi. À tout d'suite ma puce.
Et s'adressant à Fernand :
– Tu rest'ras bien manger avec nous ?
– C'est pas d'refus. Et ça s'ra pour moi.
– Ah non, pas toi Fernand, quand c'est moi qui régale. J'préviens Yvonne, qu'elle nous soigne.

La Blue Star arrive quelques minutes après. Odile et Alain en descendent. Alain court vers son père pour l'embrasser et embrasse aussi Fernand. Odile, à son tour, embrasse très tendrement son mari et fait deux bises à Fernand.
– Alors raconte mon chéri. Comment ça s'est passé là-bas ?
– Et bien on a rembourré l'matelas, pas mal même, et j'ai fait la connaissance du boss, et tu l'connais déjà ma puce.
– Mais j'y suis jamais allée à Jersey.
– Non, mais au Grand Garage, oui.
– Oui, et plus d'une fois. Pourquoi ?
– Pass'que là-bas, c'est à lui k'tas fourgué la Dora Adenauer et j'te dis pas l'business qu'on va faire avec ce carambouilleur.
– Attends mon chéri, j'ai jamais vu un client aussi clean, qui paie cash et même plus cher que le prix qu'on lui demande.
– Ben c'est pour ça ma puce. Y va continuer d'payer cash et plus cher. Mais j't'en caus'rai plus tard. Maint'nant c'est l'heure d'l'apéro.
– Je veux bien. Un Martini blanc s'il te plaît.
– Ça elle doit avoir la mère Yvonne. Mais j'ai peur qu'elle ait pas d'Brutmacchich. C'est con, j'aurai dû en garder une bouteille, du Guilvinec de mes fesses.
– De Bruichladdich, Maurice, Bruich-lad-dich, mais c'est une caisse que t'avais qu'à souffler. T'avais qu'à t'faire servir. Allez, prends donc un gendarme avec moi.
– M'dame Yvonne ! Un Martini blanc et deux gendarmes siou plaît. Et toi fiston, tu veux une grenadine ?
(1) Courant de marée montante
Pour lire l'histoire depuis le début, cliquer sur l' annexe ci-dessous : Coffiots dans "la Ville Close" (en entier)