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Avant de repartir, les deux policiers se dirigent vers le hangar de Fernand. Tenant une lampe torche à la main et se hissant sur la pointe de pieds, le gradé fait, de l'extérieur, une rapide inspection visuelle de l'intérieur du hangar. Il y voit des caisses à poissons rangées sur le côté, des paquets de filets accrochés aux murs et, au milieu, une 2 CV. Il dit à son collègue :

– Rien de suspect là-dedans, allez, on rentre !

Quand la voiture de police quitte Brigneau, le Keraban est déjà en vue de l'Ile de Sein. Quand il sera au large d'Ouessant, vers midi, il restera une traversée d'environ 150 miles pour atteindre Jersey. Le courant aidant, il faudra encore compter une dizaine d'heure avant l'entrée dans le port de Saint Helier. Fernand sait déjà qu'il sera trop tard pour traiter ses affaires et qu'il devra passer une nuit à quai et ne repartir que le lendemain, samedi, dans la matinée.

A l'Hôtel de la Poste de Moëlan-sur-Mer, les parents Le Menech font la grasse matinée tandis que Sébastien et Alain s'acharnent au Kill or Miss. Ce sont les 12 coups de midi émis par le carillon de l'église toute proche qui réveillent Maurice. Il quitte sa chambre sans faire de bruit et descend dans le hall d'entrée où quelques journaux du jour sont mis à la disposition des clients.

Voici, en résumé, les contenus des articles sur lesquels Maurice s'attarde, et on le comprend :

Dans un article, il est dit que suite au suicide des parents Bouchetar et à leur lettre, Madame le Garde des Seaux demande qu'un jugement posthume soit effectué très rapidement en vue de leur réhabilitation. Elle se félicite qu'une solution « humaine » ait été trouvée pour la garde de leur enfant et indique que tout sera fait au plus vite pour que son adoption par la famille Le Menech soit prononcée, en lieu et place du tutorat. Elle donne pour arguments les excellents témoignages qui lui ont été fournis quant à la moralité et à la bonne conduite des parents Le Menech. Elle évoque en particulier les dires de la directrice de l'Agence de la Société Générale de la rue de Rennes, ceux du directeur de l'agence de BNP-PARIBAS – de la rue de Rennes aussi –, l'ancien banquier de Maurice, ceux des voisins des Le Menech rue du Commandant Mouchotte et ceux de divers commerçants du quartier, en particulier les marchands forains du marché Edgar Quinet où une enquête approfondie a été diligentée à la demande du ministre par les services des Renseignements Généraux.

Dans un autre article, le PDG du Groupe Billorais félicite l'acheteur de la première Blue Star de série, vendue par un garage du 14ème à Paris. Il dit attendre son retour de vacances afin de le remercier en l'invitant avec sa sa famille, Monsieur Pineau – le patron du Garage – et son jeune vendeur, pour une croisière sur son yacht, entre Malte et l'Italie.

Dans un troisième papier, c'est la directrice d'agence de la Société Générale de la rue de Rennes qui en prend pour son grade : elle aurait fait enlever par les convoyeurs de fonds un sac contenant une forte somme et provenant du dépôt d'un de ses clients. Malheureusement pour elle, le nom figurant sur l'étiquette attachée au sac et écrit de sa main ne correspond à aucun client de l'agence, ni même de la banque. Ceci est d'autant plus fâcheux que les billets contenus dans ce sac sont ceux qui proviennent du braquage récent de l'agence. Ceci soulève une question bien délicate : comment un tel butin peut-il avoir été déposé à l'endroit précis où les casseurs s'en sont emparés, et ceci alors que les auteurs présumés du braquage étaient déjà sous les verrous. Par contre, la PJ a été alertée par une station service bretonne qui a remis à sa banque un billet de 50 euros en provenance du même lot. Mais il lui est impossible de savoir, compte tenu de la date de remise en circulation de ce lot de billets, si ce billet de 50 euros faisait ou non partie du dépôt effectué par le vrai faux-client de la banque. Elle ne connaît que le signalement de la voiture, une 2 CV d'un modèle ancien. La directrice d'agence a été mutée à un grade de simple attachée de clientèle dans une agence secondaire de Clichy-sous-Bois.

Enfin, dans un dernier article, il est rappelé que les personnes s'étant trouvées au voisinage de l'agence bancaire au moment du braquage sont invitées à se rendre ou à téléphoner au Commissariat de Police du 6ème arrondissement, l'enquête étant au point mort à ce jour.

Maurice reste songeur, un long moment. Madame Girardin va lui manquer. L'histoire de la 2 CV et du billet de 50 euros le taquine : « J'espère que c'est pas Odile qu'à r'filé un des tickets au p'tit Prince. Mais, bordel, y m'a pas dit ce con où s'qu'y l'avait laissée, la deuche ! » Par contre, la décision de Madame le Garde des Sceaux ainsi que le projet de croisière, au contraire, le remettent tel que lui-même : « Encore des primes que j'les avais pas d'mandées, c'est bien ça l'bon plan ! » Quant à l'enquête du Commissaire, ça le laisse froid.

Quand il revient dans sa chambre, il trouve Odile en train de finir de s'habiller.

– Ma puce, j'propose qu'on bouffe une crêpe vite fait à côté, et on ira installer l'débarquement d'Normandie dans l'local à Fernand, qu'est-ce t'en penses ?

– Comme tu veux mon chéri, on est en vacances. Préviens les enfants et je descends.