Page 16

Le défilé se termine. N'étant pas invité pour la garden partie du président dans les jardins du palais de l'Elysée, Maurice se contente du buffet froid préparé par Odile, et Alain aussi. Après le repas, tous les deux entreprennent l'installation du débarquement de Normandie. Ils commencent à installer la plage, qui avec les falaises, vient en une seule pièce, à dérouler par terre. Elle occupe toute la longueur de la salle de séjour dont Maurice a enlevé la table, le canapé et les fauteuils pour les entreposer dans la chambre, à côté. Il reste environ un mètre cinquante, en largeur, pour installer la mer : insuffisant. Ce sera pour une autre fois, en Bretagne, dans l'atelier d'un de leurs amis pècheurs. Alain se replie sur les jeux électroniques reçus pour son anniversaire. Maurice est désoeuvré.

- Tu n'as rien à faire mon chéri ? lui demande Odile.

- Non, mais ça fait rien, j'vais faire un tour au Luxembourg.

- On peut y aller ensemble, tu veux bien ?

- Bien sûr ma puce, mais avec Alain alors, on va pas l'laisser tout seul.

- Evidemment. Je l'appelle.

En cette belle journée ensoleillée de Fête Nationale, voilà la famille Le Menech partie en promenade, mari et femme bras dessus bras dessous, le gamin donnant la main à son père. Entrés dans le jardin, la direction obligatoire est connue : les joueurs de bridge, avec, pour Maurice, le secret espoir d'y revoir le joueur en complet veston. Mais ça n'est pas du goût d'Alain qui préfère les bateaux à voiles. Ils se séparent donc. Odile et Alain obliquent vers le bassin et la carriole du loueur de bateaux à voiles.

Déception ! Tous les bateaux sont loués. Il faut attendre une demi-heure. Odile prend Alain par la main :

- On attendra mon chérubin, une demi-heure, c'est pas long. En attendant, viens, je vais te montrer un autre bassin, magique.

Odile entraîne son fils vers la fontaine Médicis et qui n'aperçoit-elle pas, assis côte à côte sur des fauteuils au seul endroit ensoleillé, les pieds posés en éventail sur le muret du bassin ? Les deux compères Georges et René, cigarette au bec, devisant tranquillement.

- Ecoute Alain, j'ai une autre idée, on va retrouver Papa.

Ayant retrouvé Maurice le regard fixé sur le jeu tenu par son favori, Odile s'approche derrière lui et lui tape sur l'épaule. Il se retourne.

- Qu'est-ce k'y vous arrive ?

- Viens, mon chéri, j'ai un truc à te dire.

Ils font quelques pas pour s'éloigner de la grappe de spectateurs.

- Georges et René sont là-bas, au bord de ta fontaine, en train de bavarder joyeusement. Tu pourrais en profiter.

- Ils t'ont vue ?

- Oh non, nous étions encore trop loin. En plus, ils nous tournaient le dos.

- Bon, écoute ma puce. Je garde Alain avec moi quelques minutes. Va voir Georges et demande lui de me rejoindre dans cinq minutes dans le petit square, là-bas, l'allée du séminaire, en haut de la rue Bonaparte. Il n'a que la rue de Vaugirard à traverser. Et tu reviens reprendre Alain.

- Bien mon chéri, d'ailleurs ça va être l'heure, on a réservé un bateau. Dans dix minutes.

Maurice rejoint le p'tit Prince qui attend, assis sur un banc.

- Alors mon gaillard, y va falloir k'tu t'déboulonnes. Y au moins deux trucs que j'veux k'tu m'expliques : un, qu'est'ce que vous foutiez tous les deux au garage quand ma bergère elle t'a téléphoné, hier vers cinq heures.

- Ben c'est que...

- Attends, quand j'cause, tu la fermes. Deux, qu'est-ce qui t'a pris d'téléphoner hier soir à la maison. T'a pus rien dans l'citron ou quoi ? Et encore une chose, que ça fera trois : tu t'figures que c'est les mains vides qui't'attend, demain, l'poissonnier ? Maint'nant tu peux causer, mais j'veux du net, pas ta carabistouille.

- M'sieur Maurice, avec le Singe, on avait cherché un coin pour camper en Bretagne, où c'est qu'vous nous aviez dit qu'on pourrait vous r'joindre. Alors on s'était donné rencart au garage, à cause qu'y a des cartes.

- Et vous y avez trouvé quoi, sur cette carte ?

- On s'est dit comme ça qu'peut-être un joli coin ça pourrait être près du port de Brigneau, dans l'Finistère sur s'te carte. Pass'k'y a une plage pas loin et un terrain d'camping, et k'peut-être vous connaissez l'coin, par là-bas.

- Eh dis p'tit Prince, ta vieille, c'est pas avec un pif qu'elle t'a fait, c'est avec un GPS !

- Pourquoi vous dites ça, M'sieur ? Nous, c'est au hasard qu'on a cherché.

- Bon, laisse béton, tu pigeras plus tard. Et les coups d'bigo, tu dis quoi ?

- Là, c'est vrai, René et moi, on a glissé.

- Ben faudra vous mettre des chaussures à clous maint'nant. Et pour le poissonnier, t'as sauté ton tour. Allez, file, et tu m'prépareras la Chevrolet pour lundi.

- C'est k'lundi, le Singe et moi, on s'ra tiré, si on part à Brigneau.

- C'est ça, partez-y, à Brigneau, et j'vous y r'touv'rai sur le port, le soir en s'maine; Et la tire, t'auras qu'à la bichonner d'main et dimanche. Et clean hein p'tit Prince ! J'veux pas avoir à m'faire aider par les cognes !

- D'accord, M'sieur. Et nous, M'sieur, quelle tire on prend ?

- La deuche, ça t'suffit pas ?