J'ai toujours eu un faible pour les films qui sont des adaptations de livres, dont les héros sont des écrivains ayant réellement existé, ou bien encore des films réalisés par des écrivains eux-mêmes ; je pense notamment au "Facteur" avec le regretté Philippe Noiret, à "Smoke" ou "Lulu on the Bridge" de Paul Auster, aux "Légendes d'Automne" ou "Wolf" tirés de romans de Jim Harrison.

De plus, il est toujours intéressant de réfléchir aux rapports parfois idylliques, souvent difficiles entre la littérature et le cinéma (les écrivains sont rarement satisfaits des adaptations cinématographiques qui sont réalisées de leur livre).

Je souhaiterais parler ici d'un film qui m'a particulièrement interpelé, pour ne pas dire troublé : "Truman Capote", qui a valu à Philip Seymour Hoffman l'Oscar du meilleur acteur 2006. Il est vrai qu'il incarne un Capote plus vrai que nature, avec sa voix haut-perchée, ses manières éfféminées, son côté beau-parleur genre jet-set associé à une sensibilité hors du commun. Tout y est.

Voici comment est présenté le film sur la jaquette de l'édition collector parue il y a quelque temps : "1959. Une famille de fermiers est froidement assassinée au Kansas. L'Amérique est sous le choc. Truman Capote se rend sur place pour enquêter. Il assiste à l'arrestation des deux meurtriers, se lie avec eux et les harcèle de questions sur leur parcours, leur histoire. 10 ans plus tard naît "De sang froid", véritable chef-d'oeuvre de la littérature."

L'intérêt (tout en subtilité) de ce film est de nous montrer la genèse du roman "De sang froid", la nécessité intérieure qui en est à l'origine, et les capacités d'auto-destruction de l'auteur pour arriver à produire ce qu'il doit produire, comme s'il fallait tout sacrifier à l'art. A l'origine, il y a une identification de Capote à l'un des deux meurtriers : il aurait pu devenir lui aussi ce meurtrier. Ensuite, l'idée d'un sujet : "Le choc des deux Amériques : le monde structuré que connaissent les victimes, et l'univers sans morale ni valeur des tueurs." A cela se mêle sans doute un sentiment particulier, pour ne pas dire amoureux, avec le meurtrier en question (Capote était homosexuel). Enfin, une incroyable complexité psychologique de l'écrivain, d'où mon trouble : d'un côté l'attachement dont j'ai parlé, et de l'autre l'exécution par pendaison qu'il souhaite pour pouvoir mener à bien son livre, pour pouvoir le terminer. D'un côté il se prend d'affection pour le meurtrier, de l'autre il le manipule pour obtenir des renseignements sur le crime, au point de lui mentir parfois ; par exemple, Perry Smith (tel est le nom du tueur) apprend dans un article de journal que le livre s'appellerait "De sang froid", titre qu'il n'aime pas ; Capote lui dit qu'il s'agit d'un titre provisoire choisi à la légère par son éditeur, alors que nous savons que c'est bien lui-même qui l'a choisi ! Au bout du compte, Perry sera pendu, sous les yeux de Capote qui assiste à l'éxécution. Les deux hommes avaient discuté pour la dernière fois quelques minutes auparavant, avec un Capote en larmes et Perry qui le réconforte !

"De sang froid" est écrit dans les années qui suivent. Capote ne se remettra jamais des troubles psychiques que cette affaire aura provoqués chez lui, au point de le faire sombrer encore davantage dans l'alcoolisme qui le tuera des années plus tard. Faut-il tout sacrifier à l'art, à commencer par soi-même ? Les chefs-d'oeuvre sont-ils toujours la conséquence d'une crise intérieure insoluble ?