Comme beaucoup, je m'interroge sur l'un des grands succès de la dernière rentrée littéraire : "Voyage dans le passé", nouvelle posthume de Stefan Sweig (publiée 60 ans après sa mort !). Je m'émerveille seulement de voir les commentateurs se casser la tête à essayer d'expliquer ce succès ; je précise que Grasset publie la nouvelle en édition bilingue (traduction d'abord, suivie de la version originale en allemand) !

Des arguments sont avancés : Sweig est un classique, et le lecteur est sûr de la valeur de ce qu'il achète ; Sweig, en ces temps d'incertitude et d'angoisse, a eu une vie en phase avec nos problèmes identitaires ; "le suicide de l'Europe", etc. Bref, rien de bien percutant.

Pour ma part, je n'en sais pas davantage, évidemment. Le fait que Sweig soit un classique (déjà beaucoup lu par ailleurs), doit contribuer au succès, c'est certain, d'autant plus que les ventes s'élèvent à 60000 exemplaires (c'est-à-dire qu'en fin de compte les livres ne se vendent pas considérablement ces derniers temps, me semble-t-il). Mais, une autre raison ne pourrait-elle pas être celle-ci : que le rythme des longues nouvelles ("Voyage dans le passé" compte environ 100 pages avec peu de mots sur chaque page) correspondrait à une certaine vérité ontologique de l'acte de lecture ? Peut-être que cette forme est un compromis excellent entre les nouvelles actuelles (trop courtes pour être véritablement attachantes, à peu d'exceptions près) et le genre proprement romanesque (trop long, souvent inintéressant, inadapté à l'époque) ? Si les éditeurs avaient un peu de jugeotte, ils pourraient en tous les cas réfléchir à la question. Une chose est sûre : les nouvelles longues n'existent plus depuis longtemps, du moins en France, alors que si je me prends en exemple (et il n'y a pas de raison que je sois le seul), il s'agit là certainement de la forme qui m'attire le plus comme lecteur. Je prêche donc d'abord pour ma paroisse.