Résumé : "Comme deux oiseaux migrateurs enfermés dans des cages séparées... Gourov et la dame au petit chien sont faits l'un pour l'autre. Leur amour est violent, brûlant. Et pourtant si douloureux...Pourquoi a-t-elle déjà un mari ? Et lui une femme ? Pourquoi doivent-ils se cacher, vivre comme des voleurs ? Comme la vie dont ils se contentaient naguère leur semble aujourd'hui médiocre, étriquée ! Et comme ils voudraient pouvoir s'en affranchir ! Mais pourront-ils briser ces chaînes qui les retiennent ? Assumer leur bonheur ? Vivre enfin ?" (Source : "La dame au petit chien" suivi de "Récit d'un inconnu" ; Editeur : Librio).

Cette nouvelle d'à peine 20 pages met en scènes deux personnages inoubliables ; elle a été largement commentée, elle est remarquable, écrite par un nouvelliste de génie.

J'aimerais seulement m'arrêter sur le passage où les amants écoutent la mer : "Ce bruit-là avait résonné en bas quand il n'y avait encore ni Yalta ni Oréanda, il résonnait encore, et il résonnera toujours, aussi indifférent et sourd, quand nous ne serons plus là. Dans cette constance, dans cette indifférence complète à la vie et à la mort de chacun d'entre nous, se dissimule peut-être le gage de notre salut éternel, du mouvement continu de la vie sur terre, de la perfection continue. Assis près d'une jeune femme qui, à l'aube, semblait si belle, apaisé et ensorcelé par ce décor fantastique : la mer, la montagne , les nuages, le ciel immense, Gourov pensait que, en somme, si l'on y prête attention, tout est sublime dans ce monde, tout sauf ce que nous pensons et ce que nous faisons quand nous oublions les buts suprêmes de l'être et notre propre dignité d'hommes".

On y a perçu évidemment une image de l'absurdité de la vie, mais surtout, selon moi, Gourov ressent la poésie de l'instant comme une authenticité qui s'oppose à l'artificialité des conventions dans lesquelles l'être humain a la capacité de s'enfermer. Car là réside le malheur, évidemment, de Gourov et de la dame au petit chien : ils vivent un amour authentique et doivent se cacher pour le faire, à cause de la société qui les rejetteraient sinon comme des pestiférés et en ferait des parias, alors que c'est elle qui a tort, et eux raison. Il me semble qu'il s'agit là d'une contradiction de la condition humaine : un individu est obligé (et souhaite, par de nombreux côtés !) vivre en société, mais toujours avec plus ou moins la conséquence que la société (fondée sur des valeurs culturelles, des lois, des codes, etc.) l'inhibe et l'empêche de s'individualiser vraiment. Bien sûr, il s'agit dans la nouvelle d'une critique de la société russe de l'époque ; mais tous les écrivains, de tout temps, n'importe où, ont toujours lutté contre le manque de liberté ou l'artificialité de la société dans laquelle ils vivaient. Voilà pourquoi il y aura toujours des écrivains : parce qu'il y aura toujours des sociétés, tant que l'homme n'aura pas disparu.