J'ai étudié ce texte, je me souviens, lorsque j'étais à la fac. Le prof y voyait beaucoup de passages hilarants, et la plupart du temps, nous, les étudiants, nous trouvions cet humour moins efficace. Je me l'explique aujourd'hui par le trouble que l'on ressent en lisant "Le journal d'un fou", et les nouvelles de Gogol en général.

"Le journal d'un fou" répertorie les pensées d'un petit fonctionnaire, Poprichtchine, vivant sous le régime tsariste. Nous y découvrons une peinture acerbe de l'administration russe de cette époque, avec réalisme (types assez balzaciens, d'une grande vérité), et un personnage (le narrateur, donc) frustré, jaloux, qui voudrait bien s'élever beaucoup dans la hiérarchie sociale, replié sur lui-même, un peu méchant et plutôt antipathique, aspirant à un Idéal inaccessible.

"Le journal d'un fou", c'est donc d'abord une nouvelle sociologique, psychologique : c'est du moins la première impression que l'on a quand on débute la lecture. Mais très vite, la narration bascule dans le loufoque, l'absurde. Il est question de chiens qui parlent, qui s'écrivent des lettres ; le narrateur devient roi d'Espagne (dans son imagination délirante, bien sûr) ; un événement doit bientôt se produire : la Terre va s'asseoir sur la lune ! A la fin, les autorités sont obligées de lui verser de l'eau froide sur la tête pour le calmer.

L'originalité de Gogol, et ce qui déconcerte le lecteur, c'est toujours ce côté hybride, mélangeant cadre réaliste et imagination débridée, fantastique aussi quelquefois. Il faut y voir, sans doute, une réponse "romantique" à l'écrasement d'une vie trop piètre, et finalement, Gogol est un conteur hors pair. Il faut le lire dans un esprit de non sérieux, comme un vrai raconteur d'histoires qui peut aussi avoir un effet cathartique sur le lecteur.