Borges, dans son petit essai sur Chesterton, nous dit : "Edgar Allan Poe a écrit des contes d'horreur fantastique ou de bizarrerie pures ; Edgar Allan Poe a inventé le conte policier. Autre fait, non moins incontestable : il n'a jamais combiné les deux genres ... Par contre, Chesterton a prodigué, avec passion et bonheur, ce genre de tours de force".

Le Père Brown est l'un des avatars les plus réussis de l'Auguste Dupin de Poe ; pas aussi célèbre dans la durée que Sherlock Holmes, mais très connu tout de même. Il appartient, non pas au polar (que j'apprécie moyennement), mais à la littérature de détection, dont l'une des caractéristiques principales est de ne pas faire dans le vraisemblable : un prêtre qui joue au détective dans de très nombreuses histoires, c'est impossible dans la réalité (tout comme Hercule Poirot ou Sherlock Holmes, d'ailleurs). Les intrigues sont toutes construites sur un schéma identique : le Père Brown se trouve toujours par hasard à un endroit ou quelque chose de surnaturel se passe, dont tout le monde a peur et qui est plutôt démoniaque ; à la fin, le Père Brown mène l'enquête et apporte la solution, bien plus raisonnable qu'on l'imaginait au départ.

En un mot, le Père Brown est un personnage haut en couleur qui permet à Chesterton de nous faire part de ses démons intérieurs, d'une manière schématique, symbolique et divertissante, au lieu d'entrer dans les complications lourdes du réalisme. J'aime ces procédés plus que tout autres, qui nous rendent la vie plus colorée, plus simple, l'homme plus clair, quand la littérature réaliste, psychologique, passe son temps à nous montrer l'homme et le monde dans leur chaos indéchiffrable. Il s'agit pour moi de l'art "vrai", celui qui fait intrinsèquement partie d'un besoin humain : poétiser et schématiser le monde, pour en apporter une compréhension plus facile (tout en n'étant pas faux, évidemment !).

Quand la littérature devient précise comme un jeu de société (on sait où on va, et comment y parvenir), avec des personnages typiques, hauts en couleur, comme dans une aventure de Tintin et Milou, et courte, comme le conte qu'on lit le soir, intégralement, avant de s'endormir.

Comme "L'absence de M. Glass", ou "Le duel du docteur Hirsch", deux histoires, entre autres, recueillies dans "La sagesse du Père Brown".