Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Thomas H. Cook

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vendredi, juillet 20 2012

Les Liens du Sang - Thomas H. Cook (USA)

The Cloud of Unknowing Traduction : Clément Baude

Extrait Personnages

Il était une fois deux enfants très bien élevés et très intelligents dont le père, lui-même esprit particulièrement brillant, sombra dans la folie. Les médecins, qui ont une étiquette pour tout, le déclarèrent schizophrène paranoïaque mais, les Services de protection de l'Enfance n'ayant pas eu vent de la chose ou s'en désintéressant complètement (ça s'est déjà vu, vous savez, et pas qu'aux Etats-Unis ), les deux petits continuèrent à vivre avec leur père. Celui-ci s'enfonça de plus en plus dans ce qui lui apportait une certaine paix, les livres, et ses enfants suivirent le mouvement.

Hélas ! Le père, "le Vieux" comme l'appelaient ses enfants, considérait avant tout les livres comme une source de travail. Ensuite seulement venait le plaisir. Et, à vrai dire, avec le Vieux, il fallait tant travailler sur les livres qu'on finissait par oublier qu'ils étaient là aussi pour faire rêver. Comme de juste, le Vieux contraignait ses enfants, tous deux doués semble-t-il d'une mémoire photographique, à mémoriser des pages entières de Shakespeare et de bien d'autres. Et quand ils les lui avaient récitées sans rater une virgule, il les interrogeait sur la signification de telle expression, sur l'idée cachée derrière les mots, et ainsi de suite ... Dans une telle optique, on en arrive rarement à s'esclaffer de bon coeur des "Joyeuses Commères de Windsor" ...

Sa fille, Diana, eut tôt fait de comprendre que la meilleure manière d'apaiser les troubles paternels était de jouer vraiment le jeu, de réciter sans se lasser et de discuter à n'en plus finir. Ce fut ainsi que, jusqu'au bout, elle assura à son père la paix terrestre.

Le fils, David, pour des raisons non explicitées par l'auteur, était mal vu de son père qui le tenait pour un incapable et, en prime, avait même tenté de le tuer. Au lieu de se rebeller, cette andouil ... pardon, ce bon fils qu'était David se coucha et fit de son mieux pour justifier les a priori paternels : il se fit une petite vie bien pépère, dans un cabinet d'avocats médiocres, dans une petite ville qui l'était tout autant, et il n'en bougea plus.

... Jusqu'à ce que le mariage de sa soeur vole en éclat après la mort de son fils unique, Jason.

Pour la jeune femme, il ne fait pas de doute que Mark, son mari dont elle s'empresse de divorcer, est responsable de cette mort. Jason avait été diagnostiqué schizophrène et le comportement de Mark à son égard n'était pas des plus chaleureux. Il était même tout disposé à placer l'enfant dans une institution spécialisée, véritable chiffon rouge sur lequel foncera toujours l'amour maternel. Diana part donc en guerre contre son ex-mari et cherche à lui faire avouer l'infanticide qu'elle lui prête.

Exposés comme ça, ces "Liens du Sang" ont l'air assez simples à comprendre. Pourtant, la seule chose que j'ai vraiment comprise au sortir de ce livre, c'est que Mark est bien l'assassin de son fils, soit qu'il l'ait laissé s'approcher de l'étang où il devait se noyer, soit qu'il lui ait carrément enfoncé la tête sous l'eau. Le personnage dégage une telle froideur qu'il en est bien capable, croyez-moi.

Mais à part ça ... Une intrigue embrouillée, un discours "off" où David, le narrateur, se parle à lui-même avant chaque chapitre (à ce propos, David est-il, lui aussi, schizophrène ?), l'hystérie qui monte chez la fille de David comme une courbe de température et sans que, au final, on comprenne pourquoi elle a adopté un tel comportement envers son père, des personnages faussement inquiétants et dans le fond peu crédibles, qui tiennent des propos ou bateau, ou outranciers et qui agissent comme si l'auteur leur indiquait une certaine direction au début de l'histoire et, en cours de route, les redirigeait vers le point opposé, aucune trace d'humour, fût-il noir, bref rien, absolument rien de ce que, jusqu'ici, j'avais eu le plaisir de découvrir chez Thomas H. Cook.

Pour moi, "Les Liens du Sang" constitue un raté de l'auteur - ou alors, il avait la brigade polyvalente sur le dos et il lui fallait écrire n'importe quelle ânerie pour la régler.

mercredi, juillet 4 2012

Les Feuilles Mortes - Thomas H. Cook (USA)

Red Leaves Traduction : Laetitia Devaux

Extraits Personnages

Les interrogations sur le passé, le passé qui vient détruire le présent et bloquer à jamais les perspectives d'avenir, la perte du petit monde stable et heureux que l'on croyait s'être bâti à jamais, tels sont les thèmes principaux de ce polar qui, à mon sens, sans être désagréable à lire, reste inférieur aux "Leçons du Mal."

Vous connaissez la chanson : un homme sympathique, en général professeur ou commerçant dans une petite ville provinciale mais de toutes façons membre de la bonne société du lieu, se voit projeté, avec sa famille, dans l'ouragan d'un meurtre dont on le suspecte, lui ou l'un de ses proches. A partir de là, l'auteur a en général deux options : ou bien les soupçons pèsent sur la bonne personne, à qui l'on donnerait pourtant le Bon Dieu sans confession, ou bien l'on se trouve en face d'une poignante erreur judiciaire. Parfois, la personne suspectée se contente d'être complice mais, que sa complicité soit le fait de mauvais instincts péniblement refoulés, ou que l'assassin l'ait contrainte à l'aider, cela suffit à la déconsidérer aux yeux de tous. L'homme sympathique ne résiste ni à la honte, ni au chagrin, sa famille implose et un exil loin de la petite ville tranquille est à prévoir en tant que fin inéluctable et programmée.

A quelques petits détails près, c'est ce qu'il se passe dans la famille Moore où je vous donne le père (Eric, qui tient un magasin de photographies d'art et d'encadrement plutôt prospère), la mère (Meredith, professeur de littérature anglaise au lycée du coin, une femme de tête), le fils unique (Keith, un ado grognon, renfermé, qui n'aurait aucun ami et encore moins d'amiEs), l'oncle (Warren, une espèce de "nounours" qu'une enfance difficile auprès d'un père qui l'humiliait sans cesse, a privé de toute confiance en lui et a rendu alcoolique) et le grand-père (le Grand Humiliateur, un sale type dont on est bien content d'apprendre qu'il n'a les moyens de s'offrir qu'une minable maison de retraite où, d'ailleurs, il doit empoisonner avec délectation la vie de tous, personnes âgées aussi bien que membres du personnel).

En ombres chinoises parce que depuis longtemps réunies au cimetière : la grand-mère (la mère d'Eric et de Warren et la malheureuse épouse de l'Abominable Retraité, qui a choisi de se suicider il y a déjà pas mal d'années parce qu'elle n'en pouvait vraiment plus) et la tante qui n'a jamais pu le devenir (Jenny, la soeur d'Eric et de Warren, décédée vers ses dix ans d'une tumeur au cerveau, la "petite fille adorable" qui reste à jamais dans le coeur de ses frères et tout spécialement dans celui de Warren).

Côté personnages secondaires, le confident de Keith (Delmot Price, fleuriste de son état, chez qui l'ado a un jour cherché à dérober la caisse), quelques collègues de Meredith au lycée, le psychologue de l'établissement (Stuart Rodenderry), l'avocat de la famille Moore (Leo) et le duo bon-flic, méchant-flic (Peak & Kraus__ ou vice versa).

Dans le rôle des parents éplorés, Vince et Kate Giordano. Dans celui de la victime, leur petite Amy - huit ans - elle aussi une "petite fille adorable."

Cook est trop bon conteur pour ne pas avoir cherché à mettre en valeur tout ce potentiel - et peut-être aurait-il fait mieux si le récit avait été plus long. Il n'y a rien à redire au suspense : la tension monte, monte ... et même si l'on sait que ça va mal se terminer, on s'intéresse tout de même à la manière dont ça va se passer. Malheureusement, côté personnages, ça pêche un peu : il y a trop d'incohérences, trop de zones floues aussi.

Par exemple, on n'acquiert jamais vraiment la preuve que Meredith trompe son mari. On la soupçonne, comme le fait Eric. Mais ce pourrait être un effet d'une sorte de "paranoïa du lecteur", devenu solidaire du personnage principal. La "réconciliation" entre Eric et son fils vient aussi de manière beaucoup trop abrupte, un peu comme si l'auteur la plaçait là uniquement pour lui permettre d'amener la solution de l'énigme - et de terminer son roman. Enfin, désagréablement plus visible à moins que j'ai loupé quelque chose au détour d'un paragraphe, que devient la fameuse voiture qui aurait accompagné Keith à la maison, la fameuse nuit durant laquelle Amy a disparu ?

Mais évidemment, un auteur ne peut écrire de chef-d'oeuvre chaque fois qu'il prend sa plume ou son clavier. (Sauf s'il s'appelle Marc Lévy, Guillaume Musso ou encore BHL. ) Thomas H. Cook se contentant, en toute humilité, d'être un sacré raconteur d'histoires noires et mélancoliques, il est donc tout excusé et on lira tout de même avec plaisir ces "Feuilles Mortes" couleur de sang.

lundi, juillet 2 2012

Les Leçons du Mal - Thomas H. Cook (USA)

Master of the Delta Traduction : Philippe Loubat-Delranc

Extraits Personnages

Le polar a aussi ses conteurs. On évoquera bien sûr James Ellroy, capable de récits classiques tel "Un Tueur Sur La Route" aussi bien que d'oeuvres plus spécifiquement "ellroyesques" comme l'admirable "Grand Nulle Part", et Ed McBain, plus direct, plus cinématographique dans sa conception du roman et certainement l'un des meilleurs dialoguistes qui soit. Il y a aussi, dans un style bien à lui, Jo Lansdale dans ses meilleures performances comme "Les Marécages" ou "Du Sang Dans La Sciure" - nous y reviendrons.

Comme Lansdale, Thomas H. Cook vient du sud des Etats-Unis et par delà la traduction, on sent bien, chez lui, l'influence de ce poète graphomane de génie que fut Thomas C. Wolfe. Mais Cook sait les barrières que lui impose le polar et il les respecte. Mieux : il s'en sert. Ce mélange d'un style qu'on peut, sans exagération, qualifier de raffiné avec la violence inhérente à toute intrigue de polar, aboutit à un résultat pour le moins étonnant et, dans ce cas précis, éblouissant. D'autant que l'auteur nous a préparé une "chute" qu'on ne voit pas arriver avant qu'elle ne nous dégringole sur la nuque. C'est du grand art.__

Le décor et l'intrigue se mettent lentement en place - on prend son temps, dans les Etats du Sud. Les personnages sont extrêmement fouillés et complexes. Souvent, le lecteur se dit : "Ah ! ça y est, je vois où l'auteur nous mène !" Et tout aussi souvent, il finit par se retrouver en train de patauger dans la mauvaise direction. Le principe du retour en arrière est, lui aussi, utilisé avec une subtilité extrême. Bref, à moins d'être un fanatique du gore, des personnages creux et du premier degré (mais si, il y en a qui adorent ! ) on ne peut que succomber à l'atmosphère de ce roman profondément noir qui se fonde sur l'une des règles que la vie nous apprend souvent trop tard : à savoir que certains jouent leur destin avec des dés pipés et qu'il n'y a malheureusement personne pour les mettre en garde.

Un excellent roman, vraiment - un roman qui vous donne envie de découvrir d'autres oeuvres de son auteur - et aussi un roman qui confirme une fois encore, s'il le fallait, que le polar est un genre à part entière de la littérature.