Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Littérature chinoise.

Fil des billets

lundi, août 9 2010

Quatre Générations Sous Le Même Toit - Lao She (Chine) ( III )

Avec un talent rare, Lao She mêle la fiction à l'Histoire. Mais "Quatre Générations Sous Le Même Toit" ne se contente pas d'être une fresque historique, ce roman constitue aussi une analyse minutieuse des diverses réactions que peut provoquer l'occupation de troupes ennemies sur le citoyen le plus banal.

Jamais Lao She ne se pose en juge. Il n'est pas de ceux qui, même s'ils n'ont pas vécu la période concernée, affirment de toute leur hauteur que non, jamais, au grand jamais, ils n'auraient collaboré. Bien au contraire, lui qui, pour l'avoir traversée en long et en large, connaît bien l'occupation japonaise à Pékin, dissèque les motivations les plus profondes des ses héros sans blâmer ceux qui n'ont pas officiellement pris parti pour la Résistance.

Si l'on excepte des personnages comme les Japonais ou Lan Dongyiang, que l'on peut qualifier d'irrécupérablement mauvais, les protagonistes de l'intrigue, qu'ils collaborent, résistent ou se contentent de subir, faute de moyens de se battre, sont présentés sans aucun manichéisme. Parmi eux, la Grosse Courge Rouge pour les collaborateurs et Qian Moyin pour la Résistance se révèlent d'une complexité remarquable, chacun se donnant en quelque sorte la réplique au coeur des mutations engendrées par la guerre et l'occupation.

Plus que la méchanceté pure, Lao She dénoncent avant tout l'égoïsme, la peur et la volonté de préserver son petit confort moral comme les principaux responsables du comportement de ses semblables. S'il s'attarde évidemment à analyser l'attitude de ses compatriotes, il n'en réfléchit pas moins à celle des Japonais. Les militaires sont pour lui sans pitié. Mais, si puissante que soit sa rancoeur personnelle envers l'empire du Soleil-Levant, le romancier laisse néanmoins une petite ouverture, un tout petit espoir à l'avenir du Japon en la personne du vieille Japonaise, devenue voisine de M. Qi, et qui, peut-être parce qu'elle est femme, mère et grand-mère, ne semble nourrir aucune illusion sur l'issue du conflit.

Ecrit avec une passion et une sincérité dont on ne saurait douter, "Quatre Générations Sous Un Même Toit", en dépit d'une fin un peu trop convenue (le Japon a capitulé, le Petit-Bercail accueille ses résistants survivants, le tout manquant de la flamme habituelle peut-être parce que son auteur la rédigea en anglais, pendant sa période d'exil), est l'une des oeuvres-clefs de la littérature chinoise moderne. Pour l'amateur, elle représente également un excellent moyen pour appréhender la deuxième guerre sino-japonaise, sujet rarement traité en Occident - ce qui est d'autant plus à regretter que ce conflit et la tentative d'expansionnisme effréné du Japon en Asie ne sont en fait que l'autre face de la montée du fascisme et du nazisme en Europe. ;o)

Quatre Générations Sous Le Même Toit - Lao She (Chine) ( II )

Pour présenter les effets de la guerre et de l'Occupation, Lao She choisit trois familles principales :

1) la famille Qi dont l'aïeul est fier de pouvoir compter "quatre générations sous un même toit" dans cette ruelle du Petit-Bercail qu'il avait jadis choisie avec tant de soin pour y installer sa famille. Parmi ses trois petits-fils, un seul, Ruifeng, choisira la collaboration. Les deux autres, qu'il s'agisse de Ruixian, l'aîné, qui demeurera au foyer comme soutien de famille, ou de Ruiquan, le cadet, qui s'en ira combattre dans la Résistance, s'opposeront, chacun à sa manière, à l'Occupant.

2) la famille Qian : famille de lettrés, elle sera la plus touchée par la guerre. Quian Moyin, le grand-père poète, sera arrêté et torturé par les Japonais. Relâché, il perdra sa femme et ses deux fils et confiera sa belle-fille enceinte à un parent afin de pouvoir entrer lui aussi en résistance. Pourtant, au début du roman, M. Qian est un pacifiste convaincu, hostile à la guerre et partisan du dialogue.

3) la famille Guan : à l'exception de la concubine You Tongfang, tous ses membres serviront l'Occupant. Mais curieusement, à l'inverse du personnage de Qi Ruifeng, pour qui le lecteur n'éprouve jamais le moindre atome de sympathie, les Guan ne laissent pas indifférent. Force de la nature et pilier de la famille, "la Grosse Courge Rouge", en d'autres termes Mme Guan, dont on ne connaîtra jamais le prénom. Egoïste, hautaine, opportuniste au dernier degré, rusée mais intelligente, dotée d'un réel sens tactique, dévouée à sa fille cadette, souvent pleine de haine et de mépris pour plus faible qu'elle, elle ne cesse de fasciner le lecteur qui vit sa triste fin de manière très ambiguë, avec à la fois une forme de soulagement moral et de très vifs regrets.

Autour d'eux, gravitent différents personnages secondaires, de Petit Cui, le tireur de pousse qui sera fusillé pour l'exemple dès le premier tome, au répugnant Lang Dongyiang, type-même du collaborateur-né, en passant par Mr Goodrich, le résident anglais qui fait son possible pour aider ses amis chinois, et M. et Mme Li, voisins fidèles en toutes circonstances. ;o)

Quatre Générations Sous Le Même Toit - Lao She (Chine) ( I )

Si Shi Tong Tang Traduction : Jing-Ji-Xiao (T. 1), Chantal Chen-Andro (T. 2 & 3)

Extraits Personnages

A eux trois, ces volumes de longueur inégale totalisent mille-sept-cent-soixante-quinze pages en édition de poche. C'est dire qu'il faut se sentir en mal de fresque pour se lancer dans leur lecture. Mais Lao She est un si grand romancier que, très vite, le lecteur n'a plus qu'une idée en tête : connaître jusqu'au bout l'histoire des familles vivant au Petit-Bercail.

Le Petit-Bercail, c'est une ruelle du Vieux Pékin, située au nord-ouest de la ville et dont la forme évoque celle d'une gourde. Y habitent toutes sortes de familles, des plus aisées au plus pauvres. Lao She va s'attacher à quelques unes d'entre elles et faire de ses membres les héros, bons ou mauvais, de cette douloureuse période que fut, pour les Pékinois, l'occupation de leur ville et de leur pays par les Japonais, de 1937 jusqu'à Hiroshima.

Entre la Chine, le Japon et la Corée, a toujours régné une sorte de fraternité contrariée. La première a beaucoup donné, au point de vue culture et civilisation, aux deux autres et, tout particulièrement, au Japon. Elle a été admirée en conséquence par ceux qu'elle considérait pourtant, non sans mépris, comme des "nains." Mais elle a soulevé en parallèle beaucoup de rancoeur chez les Japonais nationalistes qui cherchèrent non seulement à s'émanciper de cette tutelle culturelle mais aussi à inverser le processus et à rendre le Japon "supérieur" à la Chine - et, de manière générale, à tous les autres pays d'Asie.

La confrontation devait culminer dans l'horreur lors de ce qu'il est convenu d'appeler la seconde guerre sino-japonaise, laquelle éclata six ans après l'invasion de la Mandchourie par les troupes impériales et dura huit autres longues années, en tous cas dans la partie orientale de la Chine. Symbole de cette époque plus que troublée : le "Viol de Nankin", que Lao She n'évoque pratiquement pas puisqu'il concentre son récit sur Pékin et ses alentours immédiats, mais que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer dans une autre rubrique avec une fiche sur le remarquable ouvrage consacré par Iris Chang à ce crime contre l'humanité.

Pékin, c'est en effet la ville natale de Lao She, une ville où il grandit en enfant pauvre, où il fit ses études, où il commença à enseigner et aussi à écrire - la ville enfin où il mourut, énième victime de la Révolution culturelle. Dans "Quatre Générations Sous Un Même Toit", Pékin est d'ailleurs un personnage à part entière en même temps qu'elle sert de décor à l'existence comme à la mort des autres protagonistes. On la sent vivre, on respire ses parfums, on voit ses avenues et ses ruelles, ses cerisiers en fleurs et ses sophoras, ses nouveaux riches et ses mendiants - on entend battre son coeur, qui survivra à l'Occupant. ;o)

jeudi, août 5 2010

La Mendiante de Shigatze - Ma Jian

Liangchu nide Shitai Traduction : Isabelle Bijon

Extraits

Ce mince recueil paru chez Actes Sud comporte cinq nouvelles ayant toutes pour thème la civilisation tibétaine, que Ma Jian examine d'un oeil fasciné mais impartial.

La première nouvelle, "La Femme en Bleu", évoque le destin de Mima, jeune Tibétaine morte à dix-sept ans sans avoir pu donner naissance à l'enfant qu'elle attendait. Si bref qu'il ait été, son destin aura été marqué au sceau du tragique : troquée tout enfant contre neuf peaux de mouton, donnée en mariage à deux frères brutaux et alcooliques, elle n'aura connu que de très rares instants de bonheur aux côtés d'un soldat chinois en garnison à Langkatze. Instants volés et tenus secrets que le soldat anonyme, interrogé par le narrateur, considère comme autant de pierres précieuses. La nouvelle s'achève par la vision des vautours s'abattant sur le cadavre qui, selon l'usage, leur est offert, pièce par pièce, par les plus proches parents de la défunte, à savoir ses maris.

Moins intense et plus bref, "Le Sourire du Lac du Col de Dolm" relate le retour parmi les siens d'un jeune Tibétain parti faire des études à la ville. A la fois heureux et gêné de retrouver sa famille si semblable et pourtant si différente, il se remémore son enfance et prend peu à peu conscience que, en dépit de ses racines, beaucoup de choses se sont transformées en lui.

La troisième nouvelle, "Le Chörten d'Or", est une histoire d'adultère entre un apprenti et la femme de son maître. L'époux, maître Sangboutza, a été chargé par un monastère de construire un chörten, c'est-à-dire une sorte de pagode destinée à abriter les cendres d'un saint, et de le recouvrir d'or. Au sommet, une flèche tout en or qui scellera le destin de Koula Djouli, l'épouse adultère et avide.

La quatrième nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, est peut-être la plus horrifiante. La pauvreté morale et sociale engendrée par l'ignorance, l'alcool et la tradition y va jusqu'au bout de l'extrême et, une fois de plus, le lecteur constate que le statut de la femme tibétaine est loin d'être enviable même si l'on en parle peu.

"L'Ultime Aspersion" enfin, sur lequel se clôt l'ouvrage, tire à boulets rouges sur certains rites à connotation fortement sexuelle imposés par la religion. Ici aussi, c'est la femme qui en fait les frais, bien évidemment.

On s'étonnera peut-être de découvrir autant de puissance et de violence dans des textes si courts. On s'étonnera plus sûrement de découvrir un Tibet glauque, pétri de traditions sanglantes et arriérées, en totale contradiction avec l'éternel sourire du Dalaï-Lama. Certes, on peut toujours prétendre que Ma Jian est chinois. Mais, vu son parcours, on ne saurait guère le suspecter de propagande envers le régime de la République populaire de Chine. La vision du Tibet qu'il donne ici est bien une vision personnelle et acquise sur le vif, dans un mélange d'étonnement, de dégoût, d'horreur et, répétons-le, de fascination.

Pour vous faire votre avis, lisez ce petit livre mais attention : avec ses passages "bruts de décoffrage", il risque de choquer les âmes sensibles. Quoi qu'il en soit, il ne laissera personne indifférent. ;o)

vendredi, août 24 2007

Epouses & Concubines - Su Tong.

Qiqie Chengqun Traduction : Anne Au Yeung & Françoise Lemoine

Ce roman réjouira avant tout les amateurs de textes courts. Il dépasse en effet de très peu les cent-vingt pages. Mais attention : sous un style faussement dépouillé, se dissimulent bien des chausse-trappes, des non-dits et des silences qui laissent libre cours à l'imagination du lecteur.

Nous est racontée l'histoire de Songlian qui, à dix-neuf ans, se voit contrainte d'abandonner ses études universitaires pour épouser un riche quinquagénaire, Chen Zuoqian. Nous sommes dans la Chine des années vingt et les concubines sont encore à l'honneur. D'ailleurs, c'est en qualité de quatrième épouse que Songlian fait son entrée chez les Chen.

Elle est appelée à co-habiter avec trois autres épouses : Yuru, l'aînée, qui a la responsabilité pleine et entière de la maisonnée ; Zhuoyun, tout sucre, tout miel et l'altière Meishan, ancienne chanteuse d'opéra. Peu à peu, les rivalités, les sympathies et les antipathies vont se révéler, enfler ... avant un dénouement aussi tragique que celui du film.

Un texte purement asiatique, c'est-à-dire qu'il nécessite peut-être un effort de la part du lecteur occidental désireux d'en saisir toute la réelle profondeur. ;o)