Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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A La Découverte de Saint-Simon.

Fil des billets

vendredi, février 29 2008

Les Subtilités de l'Etiquette ( I )

Lors des mariages princiers, l'étiquette voulait que la princesse qui allait devenir française fut remise à sa nouvelle famille selon un rituel très particulier qui comportait presque toujours le passage d'un pont et la rupture totale avec son ancienne "maison", c'est-à-dire avec les gens, nobles ou pas, qui l'avaient servie jusque là. Ainsi en avait-il été pour Anne d'Autriche ou sa nièce, l'infante Marie-Thérèse. Ainsi en fut-il pour Marie-Adélaïde de Savoie :

"... ... La maison de la Princesse s'était arrêtée près de trois semaines à Lyon, en attendant que (la Princesse) fût à portée du Pont-Beauvoisin, où elle la fut recevoir. Elle y arriva de bonne heure, le mardi 16 octobre (1696), accompagnée de la princesse de la Cisterne et de Mme de Noyers ; le marquis de Dronero (représentant le duc de Savoie) était chargé de toute la conduite : auxquels, ainsi qu'aux officiers et aux femmes de sa suite, il fut distribué beaucoup de beaux présents de la part du Roi. (La Princesse) se reposa dans une maison qui lui avait été préparée du côté de Savoie, et s'y para. Elle vint ensuite au pont, qui tout entier est de France, à l'entrée duquel elle fut reçue par sa nouvelle maison et conduite au logis du côté de France qui lui avait été préparé. Elle y coucha et, le surlendemain, elle se sépara de toute sa maison italienne sans verser une larme, et ne fut suivie d'aucun que d'une seule femme de chambre et d'un médecin qui ne devaient point demeurer en France, et qui, en effet, furent bientôt renvoyés. ... ..."

NB : lorsque le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, montera sur le trône d'Espagne, une cérémonie similaire aura lieu, elle aussi. Ce rituel symbolisait avant tout la renonciation du ou de la récipiendaire non seulement à son passé mais aussi à ses droits sur la terre de ses aïeux.

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( VI )

Après que M. Maisne eût posé pour le corps et l'attitude, Rigaud revint à Paris où il acheva sa toile :

  

Malgré les promesses de secret qu'il avait faites à Saint-Simon, la vanité d'avoir réussi un tel portrait de mémoire rendit Rigaud indiscret et, du coup, on lui demanda nombre de copies qui contribuèrent beaucoup à sa fortune. Saint-Simon s'en plaint un peu, évidemment mais conserve tout de même assez d'indulgence envers le peintre pour admettre que, compte tenu du résultat obtenu par Rigaud avec le portrait de M. de La Trappe, la chose était pratiquement inévitable. ;o)

dimanche, février 17 2008

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( V )

Evidemment, M. de La Trappe finit par trouver bizarre l'étonnante attitude du soi-disant bègue :

"... ... Quand (Rigaud) fut sorti, M. de La Trappe me témoigna sa surprise d'avoir été tant et tant et si longtemps regardé, et par une espèce de muet. Je lui dis que c'était l'homme du monde le plus curieux, et qui avait toujours eu le plus grand désir de le voir, qu'il en avait été si aise qu'il m'avait avoué qu'il n'avait pu ôter les yeux de dessus lui, et que de plus, étant aussi bègue qu'il l'était, la conversation, où il ne pouvait entrer de suite (1), ne l'ayant point détourné, il n'avait songé qu'à se satisfaire en le regardant tout à son aise. Je changeai de discours le plus promptement que je pus et, sous prétexte de le mettre sur des choses qui ne s'étaient pu dire devant Rigaud, je cherchai à le détourner des réflexions sur des regards qui, n'étant que pour ce que je les donnais, étaient en effet si peu ordinaires que je mourais toujours de peur que leur raison véritable ne leur vînt dans l'esprit ou du moins qu'il n'en eût des soupçons qui eussent rendu notre dessein ou inutile, ou fort embarrassant à achever. Le bonheur fut tel qu'il ne s'en douta jamais. ... ..."

(1) : d'une manière continue.

mercredi, février 13 2008

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( IV )

"... ... L'après-dîner," poursuit Saint-Simon, "je présentai mon officier à M. de La Trappe. Il s'assit avec nous dans la situation qu'il avait remarquée le matin, et demeura environ trois quarts-d'heure avec nous. Sa difficulté de parler lui fut une excuse de n'entrer guère dans la conversation : d'où il s'en alla jeter sur sa toile toute préparée les images et les idées dont il s'était bien rempli.M. de La Trappe, avec qui je demeurai encore longtemps, et que j'avais moins entretenu que songé à l'amuser, ne s'aperçut de rien, et plaignit seulement l'embarras de la langue de cet officier.

Le lendemain, la même chose fut répétée. M. de La Trappe trouva d'abord qu'un homme qu'il ne connaissait point, et qui pouvait si difficilement mettre dans la conversation, l'avait suffisamment vu, et ce ne fut que par complaisance qu'il ne voulut pas me refuser de le laisser venir. J'espérais qu'il n'en faudrait pas davantage, et ce que je vis du portrait me le confirma, tant il me parut bien pris et ressemblant ; mais Rigaud voulut absolument encore une séance pour le perfectionner à son gré. Il fallut donc l'obtenir de M. de La Trappe, qui s'en montra fatigué, et qui me refusa d'abord ; mais je fis tant que j'arrachai, plutôt que je n'obtins de lui, cette troisième visite.

Il me dit que, pour voir un homme qui ne méritait et ne désirait que d'être caché, et qui ne voyait plus personne, tant de visites étaient du temps perdu, et ridicules ; que, pour cette fois, il cédait à mon importunité et à la fantaisie que je protégeais d'un homme qu'il ne pouvait comprendre, et qui ne se connaissaient ni n'avaient rien à se dire, mais que c'était au moins à condition que ce serait la dernière fois et que je ne lui en parlerais plus. Je dis à Rigaud de faire en sorte de n'avoir plus à y revenir, parce qu'il n'y avait plus moyen de l'espérer. Il m'assura qu'en une demi-heure il aurait tout ce qu'il s'était proposé, et qu'il n'aurait pas besoin de le voir davantage. En effet, il me tint parole et ne fut pas la demi-heure entière. ... ..."

mardi, février 12 2008

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( III )

"... ... Revenant donc de Fontainebleau, je ne couchai qu'une nuit à Paris, où, en arrivant, j'avais pris mes mesures avec Rigaud, qui partit le lendemain de moi. J'avertis en arrivant mes complices, et je dis à M. de La Trappe qu'un officier de ma connaissance avait une telle passion de le voir, que je le suppliais d'y vouloir bien consentir (car il ne voyait plus presque personne) ; j'ajoutai que, sur l'espérance que je lui en avais donnée, il allait arriver, qu'il était fort bègue et ne l'importunerait pas de discours, mais qu'il comptait s'en dédommager par ses regards. M. de La Trappe sourit avec bonté, trouva cet officier curieux de bien peu de choses et me promit de le voir.

Rigaud arrivé, le nouvel abbé, M. Maisne et moi le menâmes dès le matin dans un (1) espèce de cabinet qui servait de jour à l'abbé pour travailler et où j'avais accoutumé de voir M. de La Trappe, qui y venait de son infirmerie. Ce cabinet était éclairé des deux côtés et n'avaient que des murailles blanches, avec quelques estampes de dévotion et des sièges de paille, avec le bureau sur lequel M. de La Trappe avait écrit tous ses ouvrages, et qui n'était encore changé en rien. Rigaud trouva le lieu à souhait pour la lumière ; le Père Abbé se mit au lieu où M. de La Trappe avait accoutumé de s'asseoir avec moi à un coin du cabinet, et heureusement Rigaud le trouva tout propre à le bien regarder à son point. De là, nous le conduisîmes à un autre endroit où nous étions bien sûrs qu'il ne serait vu ni interrompu de personne. Rigaud le trouva fort à propos pour le jour et la lumière, et il y apporta aussitôt tout ce qu'il lui fallait pour l'exécution. ... ..."

(1) : à l'époque, la tournure au masculin était admissible.

lundi, février 11 2008

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( II )

Ainsi parle Saint-Simon :

"... ... Rigaud était alors le premier peintre de l'Europe pour la ressemblance des hommes et pour une peinture forte et durable ; mais il fallait persuader à un homme aussi surchargé d'ouvrages de quitter Paris pour quelques jours, et voir encore avec lui si sa tête serait assez forte pour rendre une ressemblance de mémoire.

Cette dernière proposition, qui l'effraya d'abord, fut peut-être le véhicule de lui faire accepter l'autre. Un homme qui excelle sur tous ceux de son art est touché d'y exceller d'une manière unique ; il en voulut bien faire l'essai, et donner pour cela le temps nécessaire. L'argent, peut-être, lui plut aussi.

Je me cachais fort à mon âge de mes voyages de La Trappe (1) ; je voulais donc entièrement cacher aussi le voyage de Rigaud, et je mis pour condition de ma part qu'il ne travaillerait que pour moi, qu'il me garderait un secret entier et que, s'il en faisait une copie pour lui, comme il le voulait absolument, il la garderait dans une obscurité entière, jusqu'à ce que, avec les années, je lui permisse de la laisser voir. Du mien, il voulut mille écus comptant à son retour, être défrayé de tout, aller en poste en chaise, en un jour, et revenir de même. Je ne disputai (2) rien et le pris au mot de tout. ... ..."

(1) : Saint-Simon craignait les railleries de la Cour - et surtout de ses contemporains - sur cet aspect dévot de sa personnalité.

(2) : ici pris au sens de "discuter."

L'"Autoportrait au Ruban" (1698) de Hyacinthe Rigaud qui allait devenir le complice de Saint-Simon dans l'affaire du portrait de M. de La Trappe.

dimanche, février 3 2008

Le Portrait de Monsieur de La Trappe ( I )

Armand-Jean Le Boutillhier de Sancé, abbé de La Trappe, qui connaissait Saint-Simon depuis l'enfance de celui-ci, avait débuté comme prêtre mondain dans une société aristocratique où l'avait guidé la duchesse de Montbazon, laquelle, bien que de quatorze ans son aînée, devint sa maîtresse.

Marie d'Avaugour, seconde épouse de Hercule de Rohan, duc de Montbazon, de 52 ans son aîné - Bien que de dix ans plus jeune qu'elle, elle était donc la belle-mère de l'intrigante duchesse de Chevreuse.

Marie de Montbazon mourut en 1657 et ce décès marqua un tournant décisif dans la vie de Sancé. Il visita alors pour la première fois l'abbaye de Soligny-La Trappe d'où il tirait une partie de ses confortables revenus et décida de la réformer avec l'aide de religieux du nouveau courant cistercien.

  

L'abbaye de Soligny-La Trappe, dans l'Orne, en Basse-Normandie - On l'appelle aussi l'abbaye de la Grande Trappe.

Saint-Simon, qui vouait à l'abbé une vibrante affection, se mit en tête d'obtenir de lui un portrait ressemblant. Mais cet homme qui avait tant aimé la société brillante vivait depuis de longues années en reclus dans son abbaye et, devinant qu'il refuserait de se faire peindre, le mémorialiste eut recours à une ruse célèbre qui mérite d'être rapportée.

vendredi, février 1 2008

Louis XIV conclut la paix avec Victor-Amédée II de Savoie ( IV )

La désignation des deux pairs de France destinés à se rendre comme otages à la cour du duc de Savoie donne l'occasion à Saint-Simon de se lancer dans deux de ces portraits qu'il affectionne :

"... ... Ce fut pendant le cours de cette maladie (Louis XIV souffrait alors d'une anthraxe au cou) que la paix de Savoie devint publique et que le Roi régla tout ce qui regardait la princesse de Savoie et les deux otages jusqu'aux restitutions accomplies. M. de Savoie, qui n'ignorait rien, jusque des moindres choses, des principales cours de l'Europe, compta que les ducs de Foix (1) et de Choiseul (2) ne l'embarrasseraient pas.

Le premier n'avait jamais songé qu'à son plaisir et à se divertir en bonne compagnie ; l'autre était accablé sous le poids de sa pauvreté et de sa mauvaise fortune ; tous deux d'un esprit au-dessous du médiocre et parfaitement ignorants de ce qui leur était dû, très aisés à mener, à contenter, à amuser, tous deux sans rien qui tînt à la cour et sans considération particulière, tous deux enfin de la plus haute naissance et tous deux chevaliers de l'Ordre. ... ..."

(1) : Gabriel, Jean-Baptiste de Foix, duc de Randan.

(2) : César-Auguste, chevalier du Plessis-Praslin, duc de Choiseul à ne pas confondre avec César, comte du Plessis-Praslin et duc de Choiseul, mort en 1675 et qui défit Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, lors de la Fronde.

jeudi, janvier 17 2008

Louis XIV conclut la paix avec Victor-Amédée II de Savoie ( III )

La duchesse de Bourgogne était fille de :

            
                 Victor-Amédée II de Savoie, roi de Sardaigne et de Piémont

et de Anne-Marie d'Orléans, fille de Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV et d'Henriette d'Angleterre, sa première femme :

       
 Portrait présumé d'Anne-Marie, dite Mademoiselle d'Orléans, demi-soeur de Philippe, futur Régent.

mercredi, janvier 9 2008

Louis XIV conclut la paix avec Victor-Amédée II de Savoie ( II )

Marie-Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne et mère du futur Louis XV. Son mariage avec le petit-fils de Louis XIV était inclus dans la paix signée avec la Savoie.

lundi, janvier 7 2008

Louis XIV conclut la paix avec Victor-Amédée II de Savoie

Comme les armées de Catinat menaçaient Turin, le duc de Savoie se résolut à accepter le traité que lui proposait Louis XIV - et Nice devint française :

"... ... Les principaux articles furent : le mariage de Monseigneur le duc de Bourgogne avec (la fille aînée du duc de Savoie) dès qu'elle aurait douze ans, et, en attendant (qu'elle fût) envoyée à la cour de France ; que le comté de Nice serait sa dot, qui lui demeurerait et lui serait livré jusqu'à la célébration du mariage ; la restitution de tout ce qui (avait été pris au duc de Savoie), et même de Pignerol, rasé, et deux ducs et pairs en otage à sa cour jusqu'à leur accomplissement ; enfin, une grande somme d'argent en dédommagement de ses pertes, et d'autres moindres articles, entre lesquels il obtint pour ses ambassadeurs en France le traitement entier de ceux des rois, dont jusqu'alors ils n'avaient qu'une partie, et les offices du Roi à Rome pour leur faire obtenir la Salle Royale ( 1 ) qui est la même chose : toutes les autres cours lui avaient déjà accordé les mêmes honneurs. Il voulut aussi être l'un des médiateurs de la paix générale ( 2 ) quand elle se traiterait. Le Roi l'accorda ; mais l'Empereur n'y voulut jamais consentir quand il fut question de le faire. ... ..."

( 1 ) : la "Sala Regia" du Vatican.

( 2 ) : l'Europe était alors en pleine guerre avec Louis XIV et la France d'un côté et la coalition de l'Empire de l'autre.

vendredi, janvier 4 2008

Louis XIV & Ses Filles ( IV )

Saint-Simon ne nous dit pas si le Roi réagit à la suppression opérée par deux de ses filles dans leur signature. Avait-il une préférence pour la princesse de Conti - qui lui rappelait peut-être le temps de sa jeunesse ? Toujours est-il que, en 1696, il lui donna une nouvelle marque de faveur :

"... ... Le Roi à Trianon mangeait avec les dames (1) et donnait assez souvent aux Princesses l'agrément d'en nommer deux chacune. Il leur avait donné l'étrange distinction de faire manger leurs dames d'honneur, ce qui continua toujours à être refusé à celles des princesses du sang, c'est-à-dire aux dames de Mme la Princesse(2) et de madame la princesse de Conti, sa fille. (3)

A Trianon, Mme la princesse de Conti, fille du Roi, lui fit trouver bon qu'elle nommât ses deux filles d'honneur pour manger, et elles furent admises ; elle était la seule qui en eût ...__ ..."

(1) : c'est-à-dire qu'il autorisait les dames d'honneur à manger à sa table.

(2) : il s'agit d'Anne de Bavière, femme d'Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, ci-dessous :

   

(3) : il faut comprendre "la fille du Roi."

dimanche, décembre 30 2007

Louis XIV & Ses Filles ( III )

Si Louis XIV, que sa position de monarque plaçait au-dessus de tout, avait reconnu officiellement ses enfants, Mme de Montespan, toujours mariée à Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, n'avait pu en user aussi facilement. Mme la Duchesse et Mme la duchesse de Chartres passaient donc pour l'Etat-civil comme étant nées de "mère inconnue." Il n'en était pas de même pour la princesse de Conti car sa mère, Louise de La Vallière, étant célibataire, n'avait eu (presque) aucun problème pour la reconnaître.

Cette différence, sur un sujet si sensible, offrit bien plus tard à Mme la Princesse une nouvelle occasion d'écraser ses deux demi-soeurs :

"... ... (Les trois filles du Roi) ajoutaient à leur nom (quand elles signaient) : "Légitimée de France." Mme la Duchesse de Chartres et Mme la Duchesse supprimèrent cette addition, et par là signèrent en plein comme les princesses du sang légitime.

Cet appât ne tenta point Mme la princesse de Conti : elle ne perdait point d'occasion de faire sentir aux deux autres princesses qu'elle avait une mère connue et nommée, et qu'elles, n'en avaient point ; elle crut que cette addition la distinguait en cela d'autant plus que les deux autres la supprimaient et elle voulut la conserver. ... ..."

mercredi, décembre 26 2007

Louis XIV & Ses Filles ( II )

Et voici l'"épilogue" de cette querelle :

     
              La duchesse de Chartres.
       Madame la Duchesse, sa soeur aînée.

"... ... Mme la Duchesse de Chartres et Mme la Duchesse (les deux filles de Mme de Montespan), plus ralliées par l'aversion de Mme la princesse de Conti*, se mirent, au voyage suivant (à Marly) à un repas rompu (= imprévu), après le coucher du Roi, dans la chambre de Mme de Chartres au château. Monseigneur joua tard dans le salon. En se retirant chez lui, il monta chez ces princesses, et les trouva qui fumaient avec des pipes qu'elles avaient envoyé chercher au corps de garde suisse. Monseigneur, qui en vit les suites si cette odeur gagnait, leur fit quitter cette exercice ; mais la fumée les avait trahies.

    

Louis, le Grand Dauphin, Monseigneur, familièrement surnommé par certains "Gros-Giflard"

Le Roi leur fit le lendemain une rude correction, dont Mme la princesse de Conti triompha.

         
                           La princesse de Conti.

Cependant, ces brouilleries se multiplièrent, et le Roi, qui avait espéré qu'elles finiraient d'elles-mêmes, s'en ennuya, et, un soir à Versailles, qu'elles étaient dans son cabinet après son souper, il leur en parla très-fortement, et conclut par les assurer que, s'il en entendait parler davantage, elles avaient chacune des maisons de campagne où ils les enverrait pour longtemps, et où il les trouverait fort bien. La menace eut son effet, et le calme et la bienséance revinrent, et suppléèrent à l'amitié. ... ..."

* : il arrivait aussi aux deux filles de Mme de Montespan de se tirer allègrement dans les pattes. L'une ou l'autre s'alliait alors avec Mme la princesse de Conti. D'où la précision malicieuses de Saint-Simon. ;o)

dimanche, décembre 23 2007

Louis XIV & Ses Filles ( I )

Comme tous les parents un tant soit peu responsables, Louis XIV devait connaître pas mal de déboires avec ses rejetons, notamment avec ses bâtards à l'exception notoire du comte de Toulouse.

Ses trois bâtardes les plus célèbres, la princesse de Conti (fille de Melle de La Vallière), la duchesse de Bourbon-Condé (fille aînée de Mme de Montespan) et la duchesse de Chartres (fille cadette de "la grande Sultane"), étaient de vraies pestes. Mais elles ne se contentaient pas de se moquer des courtisans, elles se lançaient aussi pas mal de piques. Saint-Simon raconte :

"... ... Les Princesses n'étaient que très-légèrement racommodées, comme on l'a vu plus haut, et Mme la princesse de Conti intérieurement de fort mauvaise humeur du goût de Monseigneur (le Grand Dauphin, son demi-frère, qui l'écoutait fort) pour la Choin (favorite de Monseigneur), qu'elle ne pouvait ignorer, et dont elle n'osait donner aucun signe.

A un dîner pendant lequel Monseigneur était à la chasse, et où sa table était tenue par Mme la princesse de Conti, le Roi s'amusa à badiner avec Mme la Duchesse (de Condé, fille aînée de Mme de Montespan) et sortit de cette gravité qu'il ne quittait jamais, pour, à la surprise de la compagnie, jouer avec elle aux olives. Cela fit boire quelques coups à Mme la Duchesse ; le Roi fit semblant d'en boire un ou deux, et cet amusement dura jusqu'aux fruits et à la sortie de table. Le Roi, passant devant Mme la princesse de Conti pour aller chez Mme de Maintenon, choqué peut-être du sérieux qu'il lui remarqua, lui dit assez sèchement que sa gravité ne s'accommodait pas de leur ivrognerie. La princesse, piquée, laissa passer le Roi ; puis, se tournant à Mme de Châtillon, dans ce moment de chaos où chacun se lavait la bouche, lui dit qu'elle aimait mieux être grave que sac à vin, entendant quelques repas un peu allongés que ses soeurs (les deux filles de Mme de Montespan) avaient fait depuis peu ensemble.

Ce mot fut entendu de Mme la duchesse de Chartres, qui répondit assez haut, de sa voix lente et tremblante, qu'elle aimait mieux être sac à vin que sac à guenilles ; par où elle entendait Clermont (1) et des officiers des gardes du corps qui avaient été les uns chassés, les autres éloignés, à cause de (Mme la princesse de Conti.) Ce mot fut si cruel qu'il ne reçut point de repartie, et qu'il courut sur le champ par Marly, et de là à Paris et partout.

Mme la Duchesse qui, avec bien de la grâce et de l'esprit, a l'art des chansons salées, en fit d'étranges sur ce même ton. Mme la princesse de Conti, au désespoir et qui n'avait pas les mêmes armes, ne sut que devenir. Monsieur (Philippe d'Orléans, leur oncle à toutes trois), le roi des tracasseries, entra dans celle-ci qu'il trouva de part et d'autre trop fortes (2). Monseigneur s'en mêla aussi : il leur donna un dîner à Meudon, où Mme la princesse de Conti alla seule, et y arriva la première ; les deux autres y furent menées par Monsieur. Elles se parlèrent peu, tout fut aride, et elles revinrent de tous points comme elles étaient allées. ... ...

(1) : François, chevalier de Clermont, qui avait feint une passion pour Mme la princesse de Conti afin de se concilier les bonnes grâces de Monseigneur. En parallèle, il feignait de s'attacher également à Melle Choin, maîtresse de Monseigneur. Derrière eux, M. de Luxembourg qui espérait ainsi dominer le Grand Dauphin, héritier présomptif, dont nul ne soupçonnait alors qu'il ne deviendrait jamais roi. Il y eut toute une affaire de lettres échangées en secret et où Clermont et la Choin se moquaient de la crédule princesse. Quand le scandale éclata, Louis XIV ne put faire autrement que de renvoyer Clermont et de passer un fameux savon à Mme de Conti. Toute l'affaire, trop dense pour qu'on en cite un extrait révélateur, tient au chapitre XIII des "Mémoires" de Saint-Simon.

(2) : c'est-à-dire que, d'un côté comme de l'autre, les adversaires sont allées trop loin dans la méchanceté.

samedi, décembre 22 2007

La Victoire (Honteuse) du Duc de Montmorency-Luxembourg ( IV )

La conclusion fait preuve du même mépris envers les juges comme envers le duc de Montmorency :

"... ... Les juges eux-mêmes, honteux de leur jugement, s'excusèrent sur la compassion de l'état de M. de Luxembourg tombé de toutes ses pairies sans cet expédient (1), et sur l'impossibilité qu'il gagnât jamais la préséance de l'ancienne érection de 1581, dont ils lui avaient laissé la chimère : c'est-à-dire qu'après s'être déshonorés par le jugement, ils montrèrent par là la honte qu'ils en ressentaient.

M. de Luxembourg fut reçu au Parlement au rang de 1662 (2), le vendredi 4 mai suivant ; le duc de La Ferté et deux autres de la queue (3) seulement s'y trouvèrent. Il vint chez nous tous (4) ; mais aucun ne voulut avoir d'aucun commerce ni avec lui, ni avec ses juges. ... ..."

""(1) : s'il n'avait pas remporté l'affaire, M. de Luxembourg aurait en effet, par un mécanisme assez compliqué que Saint-Simon expose auparavant en long et en large et qui ravira les fanatiques de généalogie et de protocole, perdu son titre de pair. La chose était évidemment impossible.''

(2) : avec le rang qu'avait son père en 1662.

(3) : les pairs les moins "gradés", en somme.

(4) : tel était l'usage : après avoir été reçu au Parlement, le nouveau pair rendait une visite personnelle à chacun de ses nouveaux égaux.

vendredi, décembre 21 2007

La Victoire (Honteuse) du Duc de Montmorency-Luxembourg ( III )

Lorsqu'il reviendra de La Trappe, où il était allé se calmer un peu, Saint-Simon aura des échos de la réaction de Louis XIV à un jugement si indigne. C'est l'occasion pour lui de donner un nouveau et terrible coup de griffe au président de Harlay. Tant pis pour Achille III, tant mieux pour le lecteur :

"... ... En revenant, j'appris que le Roi, à son retour à Versailles, avait fort parlé de ce jugement à (Harlay) ; que ce magistrat l'avait fort blâmé*, et dit au Roi que notre cause était indubitable pour nous, et qu'il l'avait toujours et dans tous les temps estimée telle. C'était se jeter à lui-même la dernière pierre. Pensant ainsi, quel juge, après tout ce qu'il fit contre nous, jusqu'à nous forcer à le récuser, et, après, en faire plus ouvertement contre nous sa propre chose ! S'il ne le pensait pas, quel juge encore et quel prévaricateur de répondre au Roi avec cette flatterie sur ce qu'il voyait quel était son sentiment ! ... ..."

* : on lira bien sûr qu'il blâme le jugement et non pas Louis XIV. ;o)

jeudi, décembre 20 2007

La Victoire (Honteuse) du Duc de Montmorency-Luxembourg ( II )

Saint-Simon - on le comprend - bout de rage et décide d'écrire à la plus haute autorité du royaume : Louis XIV. Le problème, comme toujours dans ce genre de groupes, c'est que la volonté finit par manquer aux plus faibles.

C'est ainsi que la mollesse du duc de La Rochefoucauld (le fils du mémorialiste, lequel est décédé en 1680 alors que nous sommes en 1696) impressionne défavorablement le duc de La Trémoïlle qui, bien que convié à Marly, se dérobe devant la demande que lui fait Saint-Simon de remettre sa lettre au Roi. Même refus de la part du duc de Chaulnes.

Alors, Saint-Simon, encore plus en colère s'il se peut contre ses alliés que contre ses adversaires de Luxembourg et de Harlay, s'en revient chez lui.

mercredi, décembre 19 2007

La Victoire (Honteuse) du Duc de Montmorency-Luxembourg ( I )

Le Maréchal de Luxembourg étant mort, l'affaire qui l'avait opposé aux autres ducs et pairs ne s'en éteignit pas pour autant. (Cf. à ce propos nos billets "Vie, Orgueil et Mort du Maréchal de Luxembourg.") Son fils, Charles-François, duc de Montmorency-Luxembourg, la poursuivit devant le Parlement.

Bien que l'avocat général, Daguesseau (que l'on peut orthographier également d'Aguesseau) eût conclu entièrement en faveur des ducs et pairs, le Parlement prit l'avis contraire. Voici ce que nous en conte Saint-Simon :

"... ...Tout le monde sortit donc en même temps, et (les juges) demeurèrent seuls dans la grand chambre. Mme de La Trémoïlle, qui était dans une lanterne (1) haute, nous vint trouver. Le délibéré ne fut pas long ; mais notre impatience nous fit entrer dans le parquet des huissiers, d'où, un moment après, nous vîmes sortir de la grand chambre, qui était fermée et où il ne devait y avoir que les juges, Poupart, secrétaire du premier président (= Achille III de Harlay, qui avait tant aidé à la légitimation des bâtards du Roi.)

Bientôt après, on nous fit entrer pour entendre la prononciation de l'arrêt, qui donna gain de cause à M. de Luxembourg sur l'érection de 1662 et l'appointa (2) sur celle de 1581, tellement qu'il se trouva par là au même état qu'était son père. Nous eûmes peine à entendre un arrêt si injuste et si nouveau, et qui statuait ce qui ne pendait point en question. ... ..."

(1) : siège bas sur lequel les spectateurs pouvaient s'asseoir.

(2) : c'est à dire que le jugement fut ajourné, probablement sine die.

           
      Henri-François Daguesseau - Il sera Chancelier et Garde des Sceaux du Royaume de 1720 à 1722.

dimanche, décembre 16 2007

Sur Elisabeth d'Orléans, Duchesse de Guise - ( IV)

Saint-Simon nous dite encore :

"... ... Melle de Guise malgré ce grand contredit, entreprit cette grande affaire et elle en vint à bout. Tous les respects dus à une petite-fille de France furent conservés : M. de Guise n'eut qu'un ployant devant Madame sa femme ; il lui donnait la serviette, et, quand elle était dans son fauteuil et qu'elle avait déployé sa serviette, M. de Guise debout, elle ordonnait qu'on lui apportât un couvert, qui était toujours prêt au buffet ; ce couvert se mettait en retour au bout de la table ; puis, elle disait à M. de Guise de s'y mettre, et il s'y mettait.

Tout le reste était observé avec la même exactitude et cela se recommençait tous les jours, sans que le rang de la femme baissât en rien, ni que, pour ce grand mariage, celui de M. de Guise en ait augmenté de quoi que ce soit. ... ..."

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'épouse une petite-fille de France n'allait pas sans complications ménagères, même lorsqu'on appartenait soi-même à la haute aristocratie. ;o)

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