Je décline son offre en retirant vivement ma main. Mes empreintes étant fichées, informatisées et reconnaissables, je n'ai nulle envie de prendre l'objet. D'autant que les traces rougeâtres font courir sur mon dos un frisson de dégoût.
- Allez, tiens-moi la pince, Omar !
- Pose-la par terre, je touche pas à ça. T'as pas vu les traces rouges, ducon ? C'est du sang ! Tu ferais mieux de te débarrasser de cette merde le plus vite possible.
Il oscille, regarde fixement la pince pendant un temps interminable avant de tourner son visage porcin vers moi.
- Hé... Tiens-moi la pince Omar... elle est pas mal, non ?
- Te fatigue pas, je connais toutes les variantes, j'ai suivi un entraînement intensif depuis tout gosse.
- Moi je la trouve vraiment pas mal, ma blague.
- Ouais... ben moi je vais me doucher. Vomis pas partout s'il te plait.
Je me déshabille et entre dans la cabine. L'eau est tiède mais ça n'a pas d'importance. J'ai besoin de me laver, de sentir de l'eau ruisseler sur mon corps et faire glisser mes pensées les plus dégueulasses vers les égoûts.
- Quel est l'enculé qui laisse traîner ses fringues par terre ?
Madame Corroy et son langage châtié... Je passe la tête au-dessus de la porte et lui lance mon plus beau sourire.
- C'est moi, vous m'en voulez pas ?
- Tu peux pas les mettre sur le banc, dégueulasse ? Qui c'est qui lave tes merdes, hein ?
- Je le ferai plus, promis. En attendant, rejoignez-moi sous douche !
Elle rit, un rire clair qui contraste avec son langage ordurier.
- T'es un marrant, mon petit crabe, mais c'est pas avec ton tentacule de calamar que tu vas pouvoir me faire grand-chose. Allez, lave-toi au lieu de dire des conneries ! Quand t'auras fini tu viendras me voir, j'ai des cartons à ranger dans la réserve.
- Oui madame.
- Et te fous pas de ma gueule, tu seras gentil.
Je n'ajoute rien. Elle part en ricanant.
Papatte est assis sur le banc quand je sors. Sa tête est retombée sur son torse et il ronfle à faire vibrer les chassis grillagés de la salle de douches. A ses pieds, la pince trempe dans une petite flaque d'eau. Le sang ne se décolle pas, il semble déjà être sec. Précautionneusement, du bout de ma chaussure, je fais glisser la pince en direction d'une marre plus profonde formée par deux carreaux arrachés. Là, peut-être qu'en trempant un peu le sang finira par partir.
- Omaaaaar ! Tu viens, bordel ?
- J'arrive madame Corroy.
- Ouais ben magne-toi le derche !
Elle est debout sur un tabouret dans son bureau, un petit carton à la main.
- Ah ben te voilà quand même ! C'est si long que ça de se laver ? C'est pourtant pas ta queue qui doit te prendre trop de temps à laver, petit crabe ! Allez, prends ça et va le coller dans la réserve, à gauche en entrant. Et puis après tu reviens fissa, j'ai encore du boulot pour toi.
Je croise Aristide dans le couloir. Sa peau noire est luisante, comme huilée. Il me sourit de toutes ses dents, tellement blanches qu'on jurerait qu'il en a plus que les autres.
- Alors Omar, tu es réquisitionné ?
- Ca va pas durer.
Il continue sa route vers les douches, juste vêtu d'une serviette roulée autour de la taille.
- Ca vient, bordel ?
Quand j'entre à nouveau dans son bureau, madame Corroy est toujours juchée sur son tabouret. Elle me tend un autre carton, légèrement plus gros que le précédent.
- Tiens, fais gaffe, c'est fragile.
Radio France Bourgogne annonce le flash du matin. Je passe la porte et ne bouge plus, tendant l'oreille au maximum.
" Une femme retrouvée égorgée rue Jean-Jacques Rousseau, très tôt ce matin"... "la police recherche un sdf dont le signalement correspondrait à celui du meurtrier".
Le contenu du carton fait un sale bruit de verre brisé en touchant le sol.
- Mais c'est pas possible d'être con comme ça putain de bordel de chierie de bon Dieu de merde !!!