Et maintenant je fais quoi ? Je n'ai nulle part où aller et surtout pas de quoi me payer une nuit à l'hôtel. J'attends toujours l'accompte pour les travaux de placo que j'ai commencés chez Barazzi. A la limite, j'aurais dû rester au commissariat pour la nuit, je serais au chaud et peut-être m'auraient-ils payé un sandwich. J'ai la dalle, pas bouffé depuis hier. Mon ventre gargouille sans discontinuer.
- Hé, vous allez pas rester ici, faut partir.
Je me retourne, sur le point de lui expliquer qu'avec leurs conneries je vais passer la nuit dehors, et puis je me reprends. Je ne suis pas en situation de fanfaronner avec la police.
- J'y vais.
Il me souhaite une bonne nuit, ce à quoi je réponds de même. Ils sont pas trop méchants, les flics de Dijon, ou alors je suis tombé sur une soirée avec les bons numéros.
Je marche au hasard, sans direction précise. Je pourrais aller à la gare pour dormir mais cette perspective ne me plaît guère. Ca pue, la gare, ça sent la pisse, les vapeurs grasses de bouffe... pas envie de sentir le graillon toute la semaine.
Me voilà rue Berbisey. Quelques bars sont encore ouverts. Dans ma poche, les six euros restant ne m'encouragent pas à aller boire. Trop faim pour ça. Et l'autre qui ne m'a pas encore payé !
- La semaine prochaine, sans faute. Promis !
Des promesses de cet acabit, j'en vois souvent sur les trottoirs mais je fais de mon mieux pour les éviter. Je suis trop con, je fais trop confiance aux gens et ils en profitent. C'est mon défaut. Ca l'a toujours été. Pourtant la vie aurait pu m'apprendre qu'il faut se méfier mais non, je me fais encore piéger.
Je croise une femme sortant d'un porche, grande, enveloppée dans un imperméable à la mode des années cinquante. Totalement hors saison, l'imperméable. Elle marche lentement, les mains dans les poches. Il n'y a pas que l'imper qui soit décalé, le reste l'est aussi, la totalité à vrai dire. Des lunettes de soleil, un bandeau dans les cheveux, des talons aiguille. Dans le coin, c'est plutôt baskets-survêt ou gothique, au choix. Après l'avoir croisée, je me retourne pour admirer sa silhouette. Un truc cloche. La queue de panthère qui dépasse de l'imperméable, ce doit être ça. Je reste quelques secondes sans bouger, à observer le petit bout noir, orange et blanc qui tressaille, va de droite à gauche au gré de ses pas. Ce n'est qu'après l'avoir regardée passer le coin de la rue que je reprends ma marche, pensif.
Sous le halo d'un réverbère, une tache orange et noire. Un gant. Je me baisse pour le ramasser. Une patte de panthère, en fait. J'essaie de l'enfiler mais ça n'est pas du tout ma taille. Il me faut quelques secondes avant de prendre une décision. Je rebrousse chemin en courant, à la recherche de la panthère.
Au tournant de la rue, je l'aperçois sur le point d'entrer dans un immeuble. Je m'engoufre derrière elle.
- Madame, votre gant !
Elle est en train de discuter avec un type, le genre maître d'hôtel, costume queue de pie et gants blancs. A la question du majordome, elle répond :
- Panthère.
Le type consulte sa liste avant d'acquiescer. Je m'approche.
- Et vous ?
- Moi ? Je suis Omar.
Il m'observe un instant, regarde à nouveau son papier avant de lâcher, l'air fatigué :
- C'est bon, allez-y.
Il m'indique un couloir dans lequel vient de s'engager la dame. Je la rattrape au pied d'un escalier de pierre éclairé par des spots rouges dissimulés derrière des tentures de la même couleur.
- Madame, votre gant !
Elle le prend, enlève ses lunettes noires derrière lesquelles un masque de panthère apparaît.
- C'est très classique, comme approche... monsieur ?
- Omar.
Elle sourit.
- J'imagine que c'est votre prénom et non votre déguisement ?
J'acquiesce, muet. Malgré le masque, on devine sa beauté et l'imperméable laisse supposer des formes très agréables.
- Venez. Elle prend ma main en commençant à monter les escaliers.
- On va où, là ?
- Vous verrez, c'est une surprise.
Je la suivrais volontiers n'importe où mais une légère angoisse me prend tout de même à la gorge.
- Vous êtes sûre ?
- Faites-moi confiance
Elle pousse la lourde porte en bois qui surplombe les escaliers et me fait signe d'entrer, petit sourire amusé aux lèvres.
- N'ayez pas peur, tout va bien se passer...