Il était hagard et incapable de formuler une phrase cohérente. On l'interrogea sur la disparition de son troupeau mais il ne savait que dire " je les ai perdu, comment je vais faire ? Mes pauvres... ah mes pauvres !". Le maire fut appelé, puis le curé, puis un médecin et même les gendarmes. Toutes ces bonnes âmes réunies arrivèrent à la conclusion que le pauvre homme avait subi un fort traumatisme et qu'ils n'en sauraient pas plus en l'interrogeant. Il fut décidé qu'une délégation partirait dans la montagne à la recherche des moutons.

Les gendarmes firent de longues recherches aux endroits habituellement fréquentés par le berger mais ne parvinrent à aucun résultat. Il quadrillèrent la montagne de long en large et du lever au coucher sans trouver trace du troupeau. On commençait à accuser le coupable idéal, c'est à dire le loup, lorsqu'enfin on eut le fin mot de l'histoire.

Un vieux berger, lui-même revenant de l'alpage, raconta ce qu'il avait vu d'assez loin grace à la paire de jumelles dont il avait fait peu de temps plus tôt l'acquisition.

Banchette s'ennuyant prodigieusement jouait régulièrement avec son chien. Il gardait un bâton qu'il lui lançait et relançait, l'animal le rapportant invariablement à son maître. Or ce jour-là, ils étaient au bord d'un torrent de montagne qui, à cet emplacement, se transformait en une large cuvette du fond de laquel il alimentait une résurgence distante de quelques centaines de mètres. Au centre du plan d'eau, l'effet d'aspiration créé par le siphon faisait ondoyer la surface sans discontinuer. Les versants qui remontaient de cette cuvette étaient si abrupts que rare était la végétation apte à y accrocher ses racines. Le troupeau paîssait tranquillement à quelques mètres du goufre lorsque Banchette, pris par l'ivresse du jeu, lança son bâton trop loin, le faisant tomber dans le précipice. Aussitôt, Linda, la chienne, se jeta en avant pour le récupérer. Les moutons se trouvant entre la chienne et le trou se mirent à reculer, pris de peur à la vue de l'animal qui leur fonçait dessus. Les premiers tombèrent, poussés par les autres, et les seconds, poussés par leur instinct grégaire, suivirent rapidement avec force bêlements effrayés. Bientôt, il n'en resta aucun et Banchette se retrouva seul au bord du trou, pleurant toute l'eau de son corps tandis que Linda courait autour de lui en aboyant, inconsciente du drâme qu'elle avait provoqué.

Ainsi on avait la solution de l'énigme :

Linda, la chienne, avait fait tomber les moutons de Banchette dans le siphon et bien malin qui aurait pu les récupérer.