La fête de Noël organisée par l'Amicale de la Boîte, battait son plein...

Déjà tous les enfants rassemblés autour des paquets joliment enrubannés, tapaient des mains et des pieds, criaient, s'agitaient, s'enthousiasmaient, s'impatientaient...

L'on n'attendait plus que le Père Noël qui allait on l'espérait bien, entrer en scène d'une minute à l'autre.

Pour la troisième fois l'un des assistants du Président de l'Amicale repassait en poussant le son "Petit papa Noël" de Tino Rossi...

Les mamans minaudaient et se congratulaient, les papas levaient leur verre ; les notables confortablement installés autour de la grande table recouverte d'un tapis vert au fond de la salle, souriaient, béats, et leurs joues grasses et couperousées, leurs triples mentons, leur donnaient cet air bon enfant qu'ils arborent tout naturellement lors des festivités d'associations et d'amicales...

L'on apporta les gâteaux, les petits fours salés et sucrés, les mini-pizzas et les sandwiches, que l'on répartit avec des rangées de verres et de bouteilles sur les tables formant dans la salle un grand U.

L'on déboucha les bouteilles, faisant bruyamment sauter les bouchons de Champi et de vins mousseux...

Une guirlande électrique s'enflamma tout à coup sur le sapin, il y eut un instant de panique mais le Président habilement, maîtrisa le sinistre.

L'attente se prolongeait, les enfants piétinaient et chahutaient, l'on emplissait les verres, quelques papas "un peu éméchés déjà" tenaient des propos égrillards ; les notables, visiblement crispés, jetaient un coup d'oeil à leur montre ; le grand patron de la Boîte se levait sans repousser sa chaise, évacuant d'un revers de main quelques miettes sur son gilet, puis s'excusait auprès du Président, de son brusque départ, déclarant qu'il avait un rendez vous d'affaires important à deux cents kilomètres de là et craignant le verglas sur la route...

Enfin le Père Noël fit son apparition...

Il surgit tout en haut des escaliers, derrière la cime du sapin.

Mais tous les visages blêmirent et se figèrent d'effroi car le Père Noël brandissait une tronçonneuse qu'il mit en marche et agita devant lui...

Avec sa barbe toute ruisselante de sang, ses yeux noirs et brillants qui lançaient des éclairs, son rire sardonique et sa démarche menaçante, il sema une grande terreur dans l'assistance.

Les enfants se mirent à courir en tous sens, les mamans poussèrent des cris aigus, une panique monstre s'ensuivit...

D'un coup de pied rageur, le Père Noël disloqua la pile de paquets enrubannés, puis se jeta, la tronçonneuse en avant vers les enfants.

Horreur! La tronçonneuse s'acharna sur les petits dos, sauta d'un petit visage à l'autre, mordant au passage quelques bras et jambes, des flots rouges ruisselèrent le long des vêtements jusqu'au sol ; et dans une bousculade générale, dans un sauve qui peut vers la grande porte, parents, enfants, invités et notables, tous se précipitèrent les uns contre les autres et même se piétinèrent... Un gros type très excité à l'air mauvais, poussa violemment d'un coup de pied une petite fille dont le visage venait d'être écrasé...

Tout à coup, la voix du Président, grave et forte, s'éleva au dessus du tumulte : "écoutez moi tous, il n'y a personne de blessé en réalité, c'est une grosse farce, une affreuse plaisanterie de très mauvais goût, la tronçonneuse est truquée, la chaîne est en caoutchouc et le sang, de l'encre rouge projetée...

Il fallut néanmoins un certain temps pour que l'affolement général cesse... Mais la fête était gâchée, les sandwiches et les gâteaux écrasés, les verres brisés, les jolis paquets éventrés et leur contenu fracassé...

De l'un de ces paquets s'échappait un petit robot noir qui prenait son élan, virait à droite ou à gauche, cliquetant, foudroyant les bouchons de Champi de son rayon bleu vert...

L'on débarrassa, nettoya, et lorsque le Père Noël présenta sa facture TVA comprise, il se vit gratifié illico, de quatre coups de poing en plein visage et repartit en sang...

Une maman arriva tenant par la main son petit bout de chou de trois ans, juste au moment où le Père Noël se faisait durement castagner. Le bambin était tout déconcerté devant le désordre indescriptible qui régnait dans la salle, ouvrait des yeux tout ronds, pleurait parcequ'on battait le Père Noël...

La maman était une très jeune femme, court vêtue, avec de jolies jambes. Quelques messieurs "rassis" ou "crâne d'oeuf", encore présents dans la salle, foudroyèrent de leurs regards, figés de ravissement, cette jolie jeune femme qui portait un manteau chic et court rouge vif...

Personne ne s'intéréssa ni n'accueillit l'enfant qui pleurait et se dirigeait vers le petit robot noir... Quelques uns des messieurs discrètement se touchaient la braguette. Le Président, tout faraud et tout rouge sous sa tonsure à la Lionel Jospin, s'approcha de la jeune femme, prit son air des dimanches et balança quelques flatteries...

Un musicien ambulant, une sorte de clown aussi, se trouvant de passage ce jour là, fut convié par le Président pour relancer la fête...

Et la fête se refit, l'on oublia le Père Noël à la tronçonneuse, les enfants se jetèrent sur les cadeaux...

Le lendemain l'on apprit dans le journal, que le grand patron de la Boîte avait été victime du verglas sur la route, et que le Père Noël s'était pendu dans une grange abandonnée... Et qu'on avait tué avec un jet de gaz paralysant à bout portant à travers la clôture le toutou féroce du gros type qui avait bousculé la fillette...