Lumière ou miroir

Tu ne peux vraiment exister que par toi-même. Tu n'existes plus, par les autres... A moins que les autres ne t'existent.

Par l'autre, par la personne à laquelle tu t'es identifié, par la personne que tu as imitée, tu deviens un miroir qui réfléchit une lumière qui n'est pas la tienne. [juin 1983]

Les cimetières

Tous les cimetières se ressemblent. Ils sont tous une sorte de bibliothèque avec pour étagères des allées, et de part et d'autre des allées, des livres de pierre.

Les livres de pierre sont parfois des monuments orgueilleux et ciselés qui trônent dans quelque carré central ou le plus souvent, un grand lit de marbre familial qu'une fois l'an on fleurit de chrysantèmes.

Et je cherche dans la bibliothèque des livres de pierre, ces souvenirs de toi que la vie m'a caché, ces souvenirs de toi que je n'ai pas... Les apprêts mortuaires, les politesses et les regrets bienséants ont tout enseveli...

Ici aussi, tu es « de passage »... Car le livre de pierre, orgueilleux et ciselé, petit ou grand lit de marbre, ne sera plus, dans ces temps qui viendront où la « polaire » d'aujourd'hui ne dira plus le Nord...

Je ne me promène pas dans les cimetières avec des pensées en fleurs artificielles, je cherche les souvenirs de toi que je n'ai pas et dont je peux hériter en ligne directe...

Je m'arrête devant cette tombe sans nom, une tombe comme il en existe dans tous les cimetières, une tombe pauvre et abandonnée qui fut jadis un beau livre de pierre... ou qui est un livre de terre avec un marque-page en croix de bois, jamais fleuri de chrysanthèmes, jamais lu par les vivants... Je ne sais pas ce que l'on aurait pu dire ou écrire de toi avant que tu ne dormes sous ce livre. Il me semble que c'est une solitude, qui ressuscite. Et j'ai fait un rêve éveillé : j'étais un enfant qui courait les bras tendus vers un visage dont on n'avait pas vu la lumière...  [juin 1983, réédition juin 2008]