Le deuxième livre (présenté par yugcib) est celui de Bernard Rastacaire, un étudiant en Philosophie, né à Paris le 10 juin 1982, et qui présente aux éditions Albinos, son premier roman « Une vie de livre »…

     Résumé

     C’est un livre de Flaubert, qu’un jeune homme achète dans une brocante, et qui raconte, de sa voix aussi usée que ses pages jaunies, ses aventures, depuis le jour où il sortit de l’imprimerie…

      Dans l’épisode de la rencontre avec le jeune homme, un jour gris et pluvieux…

     … Oui, juste à ce moment là, au moment où mon jeune homme s’éloignait des étals de cette brocante qu’il venait de visiter, gagnant la sortie, indifférent je crois bien aux secrétaires Louis XV et aux belles armoires en chêne massif ; je me sentis vraiment très bien, blotti dans la poche douillette de son manteau, et, de toutes mes pages jaunies et usées, je tremblais doucement sous la pression de sa main chaude, je jouissais littéralement dans la chaleur humaine de cette main qui me semblait aussi caressante que la main d’une jeune fille…

Raskolnikov, cet assassin, mais pas ces petites vieilles qui jadis tournèrent mes pages et frémirent d’émotion à me lire, se souvenant peut-être de ces dimanche après midi de leur jeunesse en robe chic sur une piste de danse, ces petites vieilles d’aujourd’hui en robes noires et aux yeux si clairs, que je préfère aux jeunes filles en paillettes, tutus et peinturlus, ou pantalons moulants et petits blousons étroits et courts, qui ne lisent jamais de livres…

Je rêvais, je rêvais, heureux, à dire vrai fou de joie, dans la poche douillette du manteau de mon jeune homme. J’eus comme un orgasme de vieux livre…

 Un froissement brusque mais intense, aussi sec qu’une déchirure de feuille… Mais seulement voilà ! Il y eut très vite au dehors dans la rue, des cris, des bruits métalliques, un cliquetis de chaîne… Mon jeune homme perdit l’équilibre et je chutai brusquement, projeté sur le pavé mouillé car il pleuvait. J’avais mal, je saignais d’encre diluée, mon jeune homme enroulé dans son manteau, à terre, ne bougeait plus… Une voix s’éleva alors : « Ah, putain ! Ce con ! Il n’avait qu’un bouquin dans ses poches ! » S’ensuivit une galopade… et des pas qui s’éloignaient, les pas de quelques badauds indifférents.

 Et moi, de mes pages froissées, mouillées, je pleurais sur le pavé, comme un enfant qui a fait un beau rêve mais s’est réveillé tout seul dans la rue au milieu d’une foule bruyante…

     Dans l’épisode du rendez vous avec la jeune fille, chez le jeune homme, le même jour…

     … Elle vient, elle arrive, elle entre, la jeune fille… Je la vois, je la regarde, je la scrute… Mais elle n’a pas l’haleine de moi, l’haleine d’entre mes pages fines, sur son visage… Un visage qu’elle n’a pas tendu ni même approché. M’a-t-elle vu ?

 Et mon jeune homme lui prend la main, l’embrasse, la serre contre lui. La jeune fille est encore sertie de son vêtement de pluie, toute ceinturée, toute mouillée… Elle est comme une petite pierre de lumière bleue serrée dans sa robe de cuir. L’embrassement n’en finit plus, et je suis là, ouvert, parcouru d’un frisson, ma première page offerte… La jeune fille enfin, défait son imperméable et le pose sur le dossier d’une chaise toute proche… Un cahier tombe. Le jeune homme ramasse le cahier.

« C’est ma dernière nouvelle » dit la jeune fille. « J’en ai cent autres, et je ne sais combien encore dans ma tête »…

« J’ai trouvé ce livre tout à l’heure, dans une brocante » dit le jeune homme…

 La jeune fille raconte sa dernière nouvelle.

Je me suis refermé… Sans doute quelque courant d’air…

Je me suis senti très seul tout à coup ! Je regrettais presque le froid, l’humidité et la poussière de mon étagère, dans la brocante… Je regrettais ces casquettes de marlou ou de rappeur, ces jeans troués, ces trench tendance, ces voiles, ces turbans, ces blousons étriqués, ces déstructurés affriolants et ces jolis pulls qui passaient devant mon étagère, me regardaient et me touchaient même, parfois…

     Commentaire de mademoiselle Burstner, directeur de publication chez Albinos

     Cher monsieur Rastacaire, Je ne serai jamais pour vous, cher monsieur, cette visiteuse en votre logis, mais votre livre qui parle vient d’entrer dans mon cœur, et je puis vous assurer que le voyage qu’il fit, de votre logis à mon bureau sera son dernier voyage incertain…