C’est le monde, étalé dans la laideur de son actualité, qui crépite de toutes ses escarbilles noircies, comme sur une toile couverte d’images corrosives, hérissée de petites crêtes dentelées, parcourue de visages déchirés, exaltée d’ecchymoses, raclée au couteau, vibrante de musiques métalliques et dont le cœur démesurément étiré sous les plis de la croûte primaire, s’efforce de battre sous le soleil… Mais le soleil est voilé, grillagé, ne diffuse qu’une haleine de four puante d’œuvres culinaires, et sa chaleur malsaine s’insinue dans les veines annelées qui se croisent et s’entrecroisent entre la toile et la croûte de la toile. Les images corrosives, les visages déchirés, les vomissures de feu et les postillons incendiaires de ce soleil grillagé qui tombent sur la toile sont gris et huilés, il n’y a ni tendresse ni élans ni sourires ni bonté ; seulement de l’indifférence, des mots inutiles, des regards concupiscents, de la poussière de soute, des eczémas renouvelés, des liasses de billets de banque froissés, poisseux et identificateurs d’existence reconnue…

De petits personnages griffonnés à la hâte, parfois surmontés ou entourés d’ épaisses raclures au crayon noir, imitent dans une drôle de sarabande dévoyée ressemblant à une transe de derrières en fête, un dessin animé proscrit par des arbitres de touche n’ayant rien compris au sens de la danse. Mais le dessin circule sur le terrain entre les joueurs fatigués après l’orgie des compétences, de la rentabilité et des performances perforatrices. Le dessin se fige, s’arrondit et roule jusqu’à la ligne de but adverse…

D’un bout à l’autre de la toile, l’artiste dément et adulé et surpayé a griffé toutes les concrétions mouvantes, inventé de nouvelles crêtes discontinues, noires et émaillées d’épines cassées…

Les visages se sont enduits de lumière molle, les liasses de billets sur la toile n’ont qu’une épaisseur illusoire, mais les hiéroglyphes aux pattes de mouche semblent effectuer des transactions scélérates entre des territoires aux hachures irrégulières, circonscrits par des lignes provisoires…

La corrosion attaque la trame, des trous aux lèvres brûlées s’enfoncent dans la croûte primaire où des galeries se forment, telles des veines putrides qui finissent par éclater et répandre du sang noir ressurgi des entrailles de la croûte par de petits cratères charbonneux.

…. Il fallait, devant ce monde étalé comme un tableau raté, un regard libre, un regard régénéré, un regard qui ne soit pas celui d’un juge, d’une victime, d’un condamné, d’un profanateur ou d’un illuminé… Un regard différent de tous les autres regards…

Il fallait, par delà et même à l’intérieur de toutes ces noirceurs, un drôle de coup de patte pour redessiner ces petits personnages, bleuir les hiéroglyphes aux pattes de mouche, reconstituer le puzzle des visages, enluminer la toile, colorier les hachures, et surtout, « atmosphériser » tous ces petits bouts d’images éparpillés que l’ artiste avait bien semé dans son ciel mais pas jetés sur la toile…

Là où il n’y avait que laideur, grisaille, indifférence, griffures, dureté et corrosion, était-il encore possible d’embellir, de pardonner, d’extraire de l’immaculé, et de circonscrire l’ensemble du tableau d’un regard aussi bleu que libre, au royaume d’un imaginaire suspendu par des fils de lumière au-dessus de la nuit ?