Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - roman

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mercredi, avril 18 2012

Chez Mrs Lippincote - Elizabeth Taylor (Grande-Bretagne)

At Mrs Lippincote's Traduction : Jacqueline Odin

Extraits Personnage

Un premier roman a toujours des maladresses d'enfant accomplissant ses premiers pas, surtout si son auteur maîtrise la nouvelle. Le premier roman publié - mais "Chez Mrs Lippincote" est en fait le second roman qu'elle ait rédigé - par Elizabeth Taylor n'échappe pas à la règle. On sent bien que l'Anglaise cherche ses marques et tâtonne un peu entre les multiples fils qu'elle tend sur sa toile pour entreprendre l'un de ces savants tissages dont elle a le secret. Mais, au bout du compte, l'ensemble finit par s'agencer et remporte l'adhésion du lecteur.

Le thème central : toujours les relations entre les êtres, bien sûr, pris dans un petit groupe contraints par la famille, le travail, les vacances ..., à se supporter les uns les autres. Pour habiller tout cela, l'histoire intérieure - mais jamais expressément avouée - d'une jeune femme d'officier qui, pendant le Blitz, rejoint son mari dans la petite ville de province où il a été muté. Le couple a un fils, Oliver, de santé apparemment fragile et très attaché à sa mère, femme aimable, cultivée et virevoltante, dont on saisit d'emblée l'anticonformisme inné. En outre, la guerre a eu pour conséquence de leur dépêcher comme voisine à demeure Eleonor, cousine éternellement célibataire du mari - Rodney.

La petite famille recomposée s'est installée dans la petite villa de Mrs Lippincote, une veuve aisée du coin, qui se fait ainsi un peu d'argent. Par deux fois d'ailleurs, on entreverra l'ombre de Mrs Lippincote et celle de son chapeau (qui impressionne beaucoup Oliver, seul témoin de la visite que l'hôtesse vient faire par politesse à une Julia malheureusement absente.) Plus présente, plus inquiétante aussi car elle semble souffrir de troubles de la personnalité, a silhouette de la fille de Miss Lippincote, qui s'introduit la nuit dans la propriété et court droit à la chambre dans la tour, seule pièce toujours fermée à clef sur les instances de la propriétaire, mais qui n'est en fait qu'une sorte de lingerie remplie de toilettes plus ou moins excentriques.

Et puis, il y a le supérieur hiérarchique de Rodney, un colonel bien plus âgé que Julia mais dont on devine qu'il se met peu à peu à ressentir pour elle quelque chose qui ressemble bien à de l'amour. Pour des raisons qu'on mettra tout le roman à comprendre, c'est lui qui se trouve à l'origine de la venue de la jeune femme auprès de son mari.

Tout à la fin du roman, alors que le couple Julia/Rodney semble sur le point d'éclater, un coup de théâtre, plus ou moins créé par une Eleonor en pleine crise de mesquinerie, produit l'effet inverse. Mais non parce que Julia est follement amoureuse de son mari ou en raison de quelque chose du même genre : simplement parce que, plus intelligente et bien plus fine que son époux et sa cousine par alliance, elle était, depuis le début, au courant de la teneur d'un certain billet retrouvé avant le lavage dans les poches de l'une des vestes maritales ... et qu'elle en avait pris son parti.

Toute la subtilité d'Elizabeth Taylor est dans cette fin qui met aussi un terme au séjour du jeune couple et de leur fils chez Mrs Lippincote. Avec le soin unique, minutieux et quasi pointilleux que Taylor apporte à camper cette atmosphère de campagne anglaise submergée par les préoccupations guerrières du temps, ainsi que les personnages qui s'y meuvent, cachant tous ou presque au fond d'eux-mêmes une douleur muette ou une bizarrerie du caractère - comme le pseudo-amoureux gauchiste et éternellement moribond d'Eleonor - cette fin fait oublier les petites maladresses d'exposition et les quelques moments de flottement que l'on perçoit çà et là.

vendredi, juin 25 2010

Saisons Sauvages - Kettly Mars

Nous remercions les éditions Mercure de France qui, dans le cadre de l'opération "Masse Critique" de Babélio, nous ont permis de découvrir à titre gracieux le dernier roman de Kettly Mars : "Saisons Sauvages."

Le 22 septembre 1957, le Dr François Duvalier, qui s'était lancé dans la politique dès la fin des années trente, est très légalement élu à Haïti lors d'un scrutin qui lui rapporte plus de soixante-pour-cent des voix exprimées. Son programme, qui se veut "pro-négritude", exprime l'idée que les Noirs doivent occuper les postes-clefs au détriment des mulâtres, contaminés à jamais par le sang blanc qui, dans différentes proportions, coule dans leurs veines. C'est évidemment une politique raciste, sous-tendue par l'idée que la lutte des classes ne peut s'affirmer que par celle établie entre les Noirs et les mulâtres.

Il ne lui faudra que trois ans pour réécrire la Constitution haïtienne et s'auto-proclamer président à vie du pays. Il a chassé ou fait assassiner les militaires qui auraient pu s'opposer à lui et formé, dès juillet 1959, à la suite d'un attentat, la "Milice des Volontaires de la Sécurité nationale", dont les membres, qui lui sont tout acquis, sont mieux connus sous le surnom de "Tontons macoutes", terme équivalent en Haïti à notre croquemitaine. Les Macoutes ne perçoivent aucun salaire et se paient sur le peuple qu'ils sont censés protéger : viols, crimes, exactions de toutes sortes, tel est leur credo quotidien.

Lorsque débute le roman de Kittly Mars, cela fait déjà un an que l'île est aux mains des macoutes. Daniel Leroy, officiellement journaliste de l'opposition modérée mais en réalité militant communiste influent, vient d'être enlevé par la police politique. Il faut préciser que, bien que Duvalier ait, à l'origine, flirté avec le communisme, cette idéologie n'est désormais plus à la mode et que cette décision a permis au dictateur d'obtenir le soutien des Etats-Unis, alors en pleine Guerre froide.

Leroy est un personnage qu'on ne verra jamais. Le lecteur apprendra à le connaître par les extraits de son journal, extraits qui constituent l'une des voix du roman, les deux autres étant celles de Nirvah et de son amant. C'est le militant classique, sincère mais borné et d'une incroyable naïveté, incapable de comprendre que, dans son propre parti, certains sont prêts à le vendre. Pour moi, je l'avoue, il m'a fait l'effet d'un intellectuel sympa mais bien falot.

Il a épousé Nirvah, une belle mulâtresse issue d'un milieu social plus aisé, dont il a eu deux enfants, Nicolas et Marie. Elle ne travaille pas et, lorsque son mari s'évanouit dans la nature, ne laissant derrière lui que sa voiture, sur une route désolée, la jeune femme se résout à demander une entrevue auprès du Secrétaire d'Etat à la Sécurité publique, Raoul Vincent. C'est évidemment se jeter dans la gueule du loup, elle le sait mais n'a pas d'alternative.

A partir de là, nous avons le schéma classique : le Macoute qui se prend d'un désir fou pour la Mulâtresse et qui lui révèle même des plaisirs insoupçonnés, les voisins qui jasent et méprisent, et toujours le flou complet quant à l'avenir de Daniel Leroy.

Puis nous tombons dans l'outrance, non que les faits ne soient pas envisageables mais parce que le lecteur ne parvient pas un seul instant à y croire tels qu'ils nous sont présentés : Raoul Vincent séduit également Nicolas (quinze ans) et Marie (à peu près le même âge). Petit couplet sur les amours grecques dans le premier cas (Vincent n'est pas un ignare) et la traditionnelle relation compliquée entre une mère trop belle et sa fille adolescente dans le second. Finalement, Vincent, dont la situation est de plus en plus menacée au gouvernement, donne de l'argent à Marie pour qu'elle avorte (car elle est tombée enceinte de ses oeuvres, bien entendu), et de l'argent à Nirvah pour qu'elle quitte le pays que lui -même s'apprête à fuir avec sa famille légitime. Vous l'aurez deviné : personne n'y réussira ...

Ce qu'il manque à ce roman, c'est la mise en place du contexte historique - lequel, quoi qu'on en dise, n'est pas évident pour un lecteur extérieur à Haïti - mais surtout, la puissance d'évocation. Le style, correct, est celui de n'importe quel écrivain de base, sans plus. Les personnages, outre leur comportement outrancier, que la situation complexe dans laquelle ils se trouvent ne parvient jamais à justifier ou, à tout le moins, à expliquer, sont à la fois stéréotypés et superficiels. L'intrigue relève non du drame mais du (mauvais) mélo. Quant à la passion, il ne suffit pas de s'échauffer en décrivant les scènes de sexe pour réussir à l'atteindre.

Bref, une déception.* Mais ce n'est, bien sûr, que mon avis personnel. ;o)

lundi, juin 7 2010

Pour Qu'Ils Soient Face Au Soleil Levant - John McGahern

_That They May Face The Rising Sun Traduction : Françoise Cartano

J'ai lu quelque part que ce roman au titre si poétique était le plus optimiste, le moins désenchanté de son auteur - peut-être le plus apaisé. Et c'est vrai que le rythme en est lent, paresseusement bercé par le cycle des saisons (une année entière en fait), au coeur d'une Nature comme oubliée, près d'un lac dont l'un des personnages-phare, Jamesie, aime beaucoup à faire le tour.

McGahern met à profit de cette existence si calme, troublée seulement par les grandes ventes de bétail annuelles ou le retour d'un exilé à la terre qui l'a vu naître, pour nous dresser le portrait d'une Irlande rurale à prédominance catholique où chacun connaît son voisin, le critique quand il le faut et le soutient de même mais où, aussi, personne ne renie les racines communes.

Depuis les Ruttledge - lui est du coin mais son épouse vient des USA - simplement préoccupés de vivre la vie dont ils rêvaient alors qu'ils se traînaient encore de métro en métro, jusqu'à Jimmie Joe McKiernan, ancien membre de l'IRA et tenancier de bistrot, en passant par l'attachant Bill Evans, l'excentrique Jamesie et son épouse, Mary sans oublier l'oncle de Ruttledge, surnommé "le Shah" et le hautain et déstabilisant Patrick Ryan, tous sentent qu'ils appartiennent à une même espèce, à un même pays. Pour le meilleur comme pour le pire.

Et tous se retrouveront donc, à l'issue du roman, autour de la dépouille de Johnny, le frère de Jamesie, revenu mourir au pays et qui sera, selon l'ancienne coutume, inhumé la tête tournée vers l'est afin que, au jour de son réveil, il puisse voir le soleil se lever avec lui.

"Pour Qu'Ils Soient Face Au Soleil Levant" est un livre qui se lit comme on déguste un bon whisky (ou une crème de whisky :wink: ), devant un bon feu bien chaud, à l'heure où les souvenirs et la nostalgie se sont installés avec la nuit. Le chat ronronne dans un coin, le chien dort sur le tapis, la pendule tictaque dans les ténèbres du couloir, dehors, le silence s'est fait et le lecteur, livré à sa mémoire, tend l'oreille pour percevoir, dans le lointain, le pas feutré du Temps qui passe.

Un beau récit, subtil, parfois déroutant, à ne réserver cependant, je pense, qu'aux inconditionnels de l'Irlande et de la Celtie en général. ;o)