Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - polars

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mercredi, juillet 18 2012

Rouge-Gorge - Jo Nesbø (Norvège)

Rødstrupe Traduction : Alex Fouillet

Extraits Personnages

Quand un auteur sait qu'il maîtrise enfin le personnage qu'il a sorti de ses tripes et l'univers qu'il lui a façonné, cela donne un roman comme "Rouge-Gorge", l'un des meilleurs opus, à notre avis, de son auteur.

On y retrouve bien entendu Harry Hole, talkie-walkie à la main, en pleine surveillance d'une manifestation où doit intervenir le Président des Etats-Unis. Harry s'inquiète pour rien, tout va très bien se dérouler, à l'exception d'un cafouillage - de nos jours, on dirait plus élégamment un "dysfonctionnement" - entre service d'ordre américain et police norvégienne. Dans le genre de doute qui accable soudain Harry et ses équipiers, il n'est pas question de s'abstenir : Hole tire donc. Malheureusement, il le fait sur un agent US non signalé et que tout le monde prend pour un terroriste en attente ...

Damned ! ... (Ou ciel et terre et damnation, c'est pas mal non plus. )

Après consultation, les Américains admettent qu'ils sont responsables de la bavure - c'est à de tels détails qu'on s'aperçoit que cette histoire relève bien de la seule fiction - et Harry est nommé inspecteur principal au SSP. Quitter la Criminelle et sa co-équipière Ellen pour un bureau perdu au fond de l'un des longs couloirs de son nouveau service, ce n'est pas le Pérou dont Hole rêvait.

Comme d'habitude, il va trouver le moyen de n'en faire qu'à sa tête en préférant, à une enquête sur un groupe de néo-nazis d'Oslo, celle qui porte sur un fusil Märklin introduit on ne sait trop comment dans le pays. Officiellement, ses supérieurs ne peuvent pas lui en vouloir : le fusil Märklin est idéal pour un terroriste qui veut en découdre avec l'univers.

Le lecteur, qui a une longueur d'avance, sait qu'il y a effectivement un terroriste. Un terroriste de plus de soixante-dix ans et rongé par le cancer mais un sacré tireur d'élite qui, jadis, dans les tranchées de la Seconde guerre mondiale, avait été surnommé "Rouge-Gorge" en raison de la rapidité avec laquelle il sectionnait à la baïonnette la carotide de l'ennemi, laissant le sang s'écouler de la gorge béante. Il faisait partie de ces Norvégiens qui s'étaient engagés dans la Waffen-SS. Pourtant, d'après les retours en arrière, un petit détail fait tiquer : Rouge-Gorge est mort dans les tranchées, tué par un sniper soviétique - aucun doute n'est permis ...

L'intrigue est aussi complexe que de coutume et les personnages, nombreux et déroutants. Pour ceux qui estiment que l'auteur a un faible pour les "longueurs", les flash-backs n'arrangeront pas les choses mais les autres verront tout de suite leur importance. Et puis, qu'importent quelques grognons puisque l'univers de la série se fait de plus en plus concret : la vieille rivalité Waaler/Hole se fait plus tendue, plus coupante, plus implacable ; pour des raisons que je vous laisse le plaisir (mais aussi la tristesse) de découvrir, le lecteur entrevoit le moment où cette lutte culminera en un règlement de comptes sans quartier ; la belle Rakel Fauke, qui deviendra la compagne de Hole, fait son apparition, accompagnée de son fils, Oleg, lequel se prend vite d'affection pour Harry ; enfin, pour ceux qui aiment, la trame de fond historique constitue un bonus appréciable.

A lire. Bien sûr. Mais prenez votre temps : les polars de Jo Nesbø se savourent.

lundi, juillet 2 2012

La Rivière Noire - Arnaldur Indriðason (Islande)

Myrká Traduction : Eric Boury

Extraits Personnages

Ce volume se situe après "Hypothermie" et "L'Homme du Lac", deux enquêtes qui ont apparemment très éprouvé Erlendur. Voilà pourquoi il s'est offert quelques vacances, toujours dans les fjords de l'Est, où il traque sans fin la mémoire de son frère disparu. L'enquête sera donc menée exclusivement par Elinborg et Sigurdur Oli - un Sigurdur redevenu célibataire mais qui accepte mal cet état de fait.

Ces quelques indications suffisent à souligner qu'il s'agit ici d'un roman à part dans la série. L'auteur cherche-t-il un nouveau souffle ? Songe-t-il à dire adieu au fidèle Erlendur (la fin de cette "Rivière Noire" pourrait le laisser croire) et embrayer sur des intrigues menées par un autre personnage, Elinborg par exemple ? Pour l'instant, on n'a pas de réponse à toutes ces questions. Le plus sage est donc d'attendre en réfléchissant sur l'effet produit par cet enquête sans Erlendur.

Les thème choisis sont celui du viol sous Rohypnol et de la vengeance avec, en filigrane, cette question que l'on finit par se poser devant la clémence avec laquelle la société moderne, islandaise et autre, sanctionne les violeurs : "Mais qui est la victime dans cette affaire ? Le violeur ou la violée ?" Car, reconnaissons-le, c'est tout juste si on ne transforme pas ces hommes en victimes, abusés qu'ils sont - les pauvres choux ! - et donc agressés par ces aguicheuses inconséquentes et dignes filles d'Eve que sont les femmes violées.

Avec ce genre de "raisonnements" dans les sphères judiciaires, il ne faut pas s'étonner si certains songent à faire justice eux-mêmes. (Oui, je sais : et les Droits de l'homme du violeur, hein, que deviennent-ils dans tout ça ? Eh ! bien, il n'avait qu'à y réfléchir un peu, à ses droits, avant de violer une innocente, c'est tout ! ) Cette question est également abordée dans "La Rivière Noire" et, prudent, Indriðason choisit de rester neutre. ]Avec Erlendur, si prompt à faire le coup de poing contre les dealers de sa fille, la réponse aurait-elle été différente ? Qui peut savoir ...

"La Rivière Noire" est un bon roman mais, n'en déplaise à je-ne-sais-plus quelles critiques qui y voient "un bijou de la littérature policière", Indriðason a fait beaucoup mieux. Les problèmes familiaux d'Elinborg sont certes prenants mais ceux d'Erlendur soutiennent mieux la trame de fond des intrigues. Non parce qu'ils sont plus graves mais parce qu'il a une façon de les traiter qui n'appartient qu'à lui et qui est bien sûr à l'opposé de celle d'Elinborg. Celle-ci affronte les problèmes, Erlendur les fuit et les ressasse : on peut même ajouter qu'il s'en nourrit et en tire force - d'où l'originalité du personnage et de ses motivations personnelles.

Evidemment, le lecteur doit tenir compte de la possibilité pour "La Rivière Noire" d'être un livre-charnière, assurant la transition entre l'Avant-Ernaldur et l'Après-Ernaldur. Même avec des personnages secondaires qu'il connaît depuis longtemps, un auteur est toujours embarrassé quand l'heure vient pour eux d'accéder au premier rôle. Il lui faut prendre ses marques, tout comme eux. Et ce n'est jamais simple. Dans cette optique, "La Rivière Noire" constitue un galop d'essai des plus honorables.

Mais n'empêche, je ne saurais vraiment dire pourquoi mais pour moi, il manque quelque chose à ce roman, agréable à lire certes mais que, en dépit de l'intensité de ses thèmes, on oublie facilement. Peut-être qu'une relecture, un jour ...

Les Leçons du Mal - Thomas H. Cook (USA)

Master of the Delta Traduction : Philippe Loubat-Delranc

Extraits Personnages

Le polar a aussi ses conteurs. On évoquera bien sûr James Ellroy, capable de récits classiques tel "Un Tueur Sur La Route" aussi bien que d'oeuvres plus spécifiquement "ellroyesques" comme l'admirable "Grand Nulle Part", et Ed McBain, plus direct, plus cinématographique dans sa conception du roman et certainement l'un des meilleurs dialoguistes qui soit. Il y a aussi, dans un style bien à lui, Jo Lansdale dans ses meilleures performances comme "Les Marécages" ou "Du Sang Dans La Sciure" - nous y reviendrons.

Comme Lansdale, Thomas H. Cook vient du sud des Etats-Unis et par delà la traduction, on sent bien, chez lui, l'influence de ce poète graphomane de génie que fut Thomas C. Wolfe. Mais Cook sait les barrières que lui impose le polar et il les respecte. Mieux : il s'en sert. Ce mélange d'un style qu'on peut, sans exagération, qualifier de raffiné avec la violence inhérente à toute intrigue de polar, aboutit à un résultat pour le moins étonnant et, dans ce cas précis, éblouissant. D'autant que l'auteur nous a préparé une "chute" qu'on ne voit pas arriver avant qu'elle ne nous dégringole sur la nuque. C'est du grand art.__

Le décor et l'intrigue se mettent lentement en place - on prend son temps, dans les Etats du Sud. Les personnages sont extrêmement fouillés et complexes. Souvent, le lecteur se dit : "Ah ! ça y est, je vois où l'auteur nous mène !" Et tout aussi souvent, il finit par se retrouver en train de patauger dans la mauvaise direction. Le principe du retour en arrière est, lui aussi, utilisé avec une subtilité extrême. Bref, à moins d'être un fanatique du gore, des personnages creux et du premier degré (mais si, il y en a qui adorent ! ) on ne peut que succomber à l'atmosphère de ce roman profondément noir qui se fonde sur l'une des règles que la vie nous apprend souvent trop tard : à savoir que certains jouent leur destin avec des dés pipés et qu'il n'y a malheureusement personne pour les mettre en garde.

Un excellent roman, vraiment - un roman qui vous donne envie de découvrir d'autres oeuvres de son auteur - et aussi un roman qui confirme une fois encore, s'il le fallait, que le polar est un genre à part entière de la littérature.