Corazón tan blanco Traduction : Alain & Anne-Marie Kéruzoré avec l'aide de l'Auteur Extraits

C'est à deux reprises que je me suis attaquée à la lecture de ce livre : la première fut un échec mais j'allai jusqu'au bout de la seconde. Mon erreur, je m'en rends compte aujourd'hui, fut de ne pas tenter la lecture à voix haute dès le départ. Il est en effet des textes qui veulent - et même exigent - ce type de lecture : "Un Coeur si Blanc", dont le titre s'inspire de "Macbeth", est de ceux-là.

Selon une technique déconcertante et qui en exaspérera plus d'un, Javier Marías prend un fait, plus ou moins important dans son essence mais qui, pour ses personnages, revêt toujours une importance particulière même s'ils ne le savent pas toujours, et, à partir de là, il brosse tout un livre dans un style soutenu, pointilleux sur les détails les plus criants comme sur les plus infimes, qui encense le point-virgule mais abbhore la phrase courte ou simplement moyenne, et qui privilégie avec éclat les phrases longues, cinglées de virgules et formant souvent un paragraphe tout entier, à la Saint-Simon ou à la Proust.

Avec cela, une analyse au microscope des émotions et des pensées des personnages, une maniaquerie dans le choix de la nuance qui rebute, séduit, irrite, fascine et désespère. Un auteur étonnant, par lui-même traducteur émérite et fin connaisseur des mots et de leur pouvoir, qu'il faut lire par doses homéopathiques certes mais qu'il faut lire - enfin, je le crois. ;o)

"Un Coeur si Blanc" est axé sur le malaise indéfini ressenti par Juan, le narrateur, dès son mariage avec Luisa. Tous deux sont interprètes pour les Nations Unies et partent en voyage de noces à Cuba. Dans leur chambre d'hôtel, un soir, alors que Luisa souffre d'une légère indisposition, Juan surprend la conversation de leurs voisins : un couple illégitime, lui marié, elle non, où est évoqué la mort éventuelle de l'épouse, laissée en Espagne. Ce fragment d'une histoire qu'il ne connaît pas ne va cesser de hanter Juan - et partant Luisa - avant de se révéler, d'une façon bien étrange, liée à son propre passé ...

Au début, c'est vrai : le lecteur se demande où l'auteur veut en venir. Mais il finit par se dire très vite qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Et, pourvu qu'il ait la volonté de savoir, il découvre qu'il a eu raison d'insister. Il découvre aussi un auteur tout-à-fait atypique dont la prose et la technique lui laissent, une fois le livre refermé, cette impression, à la fois irritante et agréable, que l'on éprouve en sirotant, par exemple, un jus de citron. ;o)