Mysteries of Winterthurn Traduction : Anne Rabinovitch

ISBN : 9782234071131

Extrait Personnages

Divisé en trois parties débouchant toutes sur un épilogue, "Les Mystères de Winterthurn" peut se lire comme un hommage parodique au genre gothique, qui apparut à la fin du XVIIIème siècle en Grande-Bretagne et connut son heure de gloire avec des auteurs comme Horace Walpole, Ann Radcliffe et Matthew G. Lewis. On ne s'étonnera pas de voir Joyce Carol Oates, cette touche-à-tout littéraire, relever ce défi en le doublant, par habitude, d'une critique de la société américaine à la fin du XIXème siècle et au tout début du XXème.

Néanmoins, en tant que lecteur, nous avons été déçu et nous restons pour le moins sceptique quant au résultat obtenu.

C'est que la romancière nous avait habitués à tant de subtilité, tant de cruauté aussi - pour ne rien dire de la profondeur de textes aussi divers que "Délicieuses Pourritures", "Nous Etions Les Mulvaney" ou "Blonde." Dans ces "Mystères ..." , c'est la parodie qui l'emporte. Ou qui, plutôt, noie tout. L'humour est là, bien sûr, mais il n'est pas vraiment grinçant et, pour un récit voué au genre gothique, il n'a rien de cette noirceur extasiée dont on se repaît dans "Délicieuses Pourritures" ou dans "Zombi" - pour ne citer que ces deux-là. Bon, montrons-nous juste : si, cela grince, parfois, de trop rares fois mais ce n'est pas cela. Quelque chose fait défaut et cette chose, c'est la subtilité.

L'ironie est ici trop visible, on la reçoit comme une pluie de gifles qui vous étourdit avant de vous laisser hébété : pourquoi une telle volonté de s'afficher ? Le lecteur sait que la romancière se complaît depuis des lustres à dénoncer les ridicules et les injustices de la société dans laquelle elle est née. En ouvrant l'un de ses livres, nouvelles ou roman, il s'y attend. Alors oui, pourquoi ? Pourquoi cette ironie si lourde qui se répand de page en page au point d'incommoder celui qui les lit ?

Le plus déstabilisant, c'est que les ombres et les demi-teintes qu'auraient réclamées le style viennent opacifier à plaisir les personnages et les mille-et-un fils de l'intrigue. Trop de personnages (il est vrai appartenant pour la plupart à la bonne société de Winterthurn, au langage châtié et retenu) papotent à demi-mot de choses finalement sans importance et ignorent carrément celles qui en ont. Beaucoup d'entre eux sont à la limite de la caricature. S'il ne s'agissait encore que de personnages secondaires ! Mais l'une des héroïnes, Georgina Kilgarvan, la "Nonne bleue", qui domine toute la première partie, est elle aussi une caricature. Parodier le genre gothique, pourquoi pas ? Mais le destin de la pauvre Georgina est une tragédie tellement cruelle que, si marquée au coin du gothique qu'elle puisse paraître, elle aurait dû la placer d'emblée à l'abri de la caricature.

Son cousin, Xavier Kilgarvan, révèle lui aussi, surtout dans ses jeunes années, pas mal de traits caricaturaux, qui s'expliquent en partie par son statut de héros "gothique."_ Comme nombre de héros du genre, il n'a d'ailleurs pas de personnalité digne de ce nom. Dans le roman noir gothique en effet, seul le Méchant jouit de ce privilège essentiel qu'est une personnalité solide, qui en impose : méchant, diabolique, oh ! que oui ! mais si attirant ... C'est pour ainsi dire la règle. Règle à laquelle Oates déroge sans vergogne en faisant paradoxalement de son méchant de la seconde partie une lavette déplorable et maniérée dont on a bien de peine à croire que certains de ses disciples - enfin, l'un d'entre eux au moins - puissent l'appeler "Maître."

Et toutes ces questions laissées sans réponses ! Ces cadavres de nourrissons découverts dans le grenier de Glen Mawr sont-ils, comme le lecteur finit par le supposer (et comme quelques réflexions du cousin Xavier, dans la troisième partie, le laissent à penser), les rejetons de l'inceste répété imposé par son terrible père à la malheureuse Georgina ? Qui ou quoi se dissimule dans la fameuse "chambre des Jeunes Mariés" (dite aussi "chambre du Général"), où trône une superbe et inquiétante peinture murale en trompe-l'oeil et où le nourrisson d'Abigail Whimbrel, une cousine de Georgina, hébergée une nuit à Glen Mawr, trouve une mort aussi sanglante qu'inexpliquée ? Que signifient les mille mensonges de Perdita ? Son mari est-il bien le "corbeau" qui inonde de lettres obscènes les femmes les plus honorables de Winterthurn ?

Tel quel, "Les Mystères de Winterthurn" constitue un ouvrage curieux, résolument inégal, voire bancal - la seconde partie, avec ses meurtres en série qui trouvent une solution aussi cruelle que vraisemblable (on n'est plus dans la parodie mais dans une réalité que l'on peut croiser à n'importe quel coin de rue, y compris aujourd'hui) est sans conteste supérieure aux deux autres. Parmi les inconditionnels de Joyce Carol Oates - et nous en sommes toujours - il ne séduira que ceux qui se voilent systématiquement la face à chaque faux pas de leur auteur adoré. Car une chose est sûre, le gothique, parodié ou pas, n'est assurément pas sa tasse de thé.

... A moins que nous n'ayons rien compris et qu'elle ait voulu faire la parodie gothique d'une parodie gothique ? ... Dans ce cas, rien à dire : c'est un chef-d'oeuvre.