Toi hi no senso Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle

Extraits Personnages

Hou ! là, c'est du lourd ! Ami lecteur, il te faudra t'accrocher fort, très, très fort même, si tu ne veux pas renoncer dès le deuxième ou troisième chapitre. Là, peut-être auras-tu l'impression d'avoir réussi un improbable marathon mais au moins auras-tu fait connaissance avec l'univers, sans complaisance et sans humour, de Yoshimura Akira. Cela ne signifie pas pour autant que tu seras tenté de le relire mais sait-on jamais ? ...

Quand il parut, à la fin des années soixante-dix, "La Guerre des Jours Lointains" fit un certain bruit dans le monde littéraire japonais parce que, pour la première fois, un auteur reconnu évoquait les crimes de guerre commis par l'armée nippone. Le discours de Yoshimura vise à se montrer aussi précis que possible : à quel moment l'exécution de prisonniers devient-elle un crime ? si aucun officier ne donne d'ordre formel ? s'il en donne après un bombardement ennemi ? si l'exécuteur obéit à un sentiment personnel comme la colère ou le sadisme ? mais, s'il reste neutre en se contentant d'obéir à l'ordre donné, cela change-t-il quelque chose ? doit-il se sentir coupable ? doit-il se sentir fier ? doit-il ...

Pour illustrer ce propos aussi vaste que délicat et qu'il maintient tout de même dans la sphère des prisonniers exclusivement militaires, l'auteur nous fait partager la longue fuite de l'ex-officier Takuya Kiyohara. Certes, celui-ci fait preuve d'introspection - retourner tout ça dans sa tête, on parierait volontiers qu'il le fait même en rêve - mais d'où vient alors que le lecteur a tant de mal à s'attacher à son errance ? Ce n'est pas parce qu'on le trouve répugnant ou indigne, non. A réfléchir honnêtement, Takuya a agi en soldat et non en sadique. Evidemment, en tant que soldat japonais, il a usé du sabre traditionnel pou décapiter le soldat américain mais il n'a cherché en rien à ajouter à la souffrance de celui-ci en le torturant de quelque manière que ce soit. Qu'on le veuille ou non, l'ancien officier est un homme droit, et même rigide. Et c'est pour finir parce qu'on ne parvient pas, en dépit de tout, à percer la carapace qui est la sienne, cette tentation de s'absorber dans le silence, de se mettre en marge d'un univers qui, après tout, l'a laissé tomber après la défaite, qu'on considère ses états d'âme avec une relative indifférence.__

Pour couronner le tout, le style de Yoshimura, à une précision quasi chirurgicale, ajoute une obsession du détail qui frise la grande névrose. Avant lui, j'ignorais comment, à la fin des années quarante, on fabriquait les allumettes ; mais maintenant, après avoir lu je ne sais plus combien de pages sur la question, je vous assure que je sais ! Et que vient faire la fabrication des allumettes dans cette histoire ? vous demanderez-vous sans doute. Eh ! bien, quand on vient l'arrêter, Takuya travaille depuis déjà quelques années dans une petite fabrique, voilà, voilà.

Que dire en conclusion ? Qu'il y a peu de dialogues et beaucoup de silences, que la note sentimentale est inexistante et que les personnages semblent souvent agir comme des marionnettes trop raides. A part cela, c'est vrai que les questions posées et les réponses éventuelles - que l'auteur ne présente jamais comme des vérités indiscutables, d'ailleurs - sont des plus intéressantes. Donc, à vous de voir. Je vous avouerai que, malgré tout le mal que j'ai eu à aller ici jusqu'au bout, je relirai certainement Yoshimura. Et comme je ne crois pas être plus maso que la moyenne, je pense que "La Guerre des Jours Lointains" signifie par conséquent quelque chose pour mon inconscient de lectrice boulimique. Mais quoi ? Pour l'instant, je ne l'ai peut-être pas encore compris ...