Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Vologne

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samedi, juillet 24 2010

Au Coeur de l'Affaire Villemin : Mémoires d'Un Rat - Denis Robert

Au Coeur de l'Affaire Villemin - Mémoires d'un Rat Denis Robert

Avec l'ouvrage de Denis Robert, qui, en 1984, faisait ses débuts de journaliste à "Libération" comme dans le métier, se clôt, peut-on dire, la liste des livres à lire sur l'Affaire Grégory.

Mieux vaut en effet laisser de côté les divagations d'un Philippe Besson resservant la sauce éventée de la culpabilité de Christine Villemin - alors même que celle-ci avait été innocentée - dans l'un de ces prétendus "romans" dont doit se contenter aujourd'hui trop souvent la littérature française, ainsi que le "docu-fiction" que l'on doit au commissaire Corazzi, lui aussi persuadé de la culpabilité de la malheureuse mère alors même qu'il n'avait pas encore en mains les pièces du dossier. Tout au plus, par curiosité - car le personnage est si outrancier et si lunaire à la fois qu'on le croirait presque une nouvelle invention des médias - pourrait-on ajouter au trio Sesmat-Lacour-Robert l'autobiographie du juge Lambert : "Le Petit Juge."

Quant à l'ouvrage rédigé par les parents de l'enfant disparu, avec l'aide d'un journaliste qui leur posait des questions, et intitulé "Le 16 octobre", il convient bien entendu de le mettre à part : approche différente, implication absolue dans la noirceur du drame de la Vologne, douleur intense et parfois difficile à supporter tant elle contient de vécu.

Pour en revenir à ces "Mémoires d'un Rat", il faut savoir qu'ils se composent d'une sorte de prologue (assez court) restituant l'époque, les personnages du drame et, de façon générale, tous ses principaux acteurs, suivi des articles publiés par "Libération" et signés par Denis Robert. Précisions tout de suite que les délires durassiens n'y figurent pas et que le journaliste égratigne fortement au passage Serge July, seul responsable semble-t-il de cette entreprise loufoque : "brancher" la pseudo-voyante Marguerite Duras sur l'affaire Grégory.

Denis Robert le dit lui-même : cette affaire lui a appris le journalisme - et le lui a aussi désappris. Toutes proportions gardées, son livre est un peu le pendant de celui de Laurence Lacour à ceci près qu'il se limite à son seul ressenti et que ce ressenti est masculin. Le livre de Lacour est un "pavé" minutieux, la tentative réussie de rassembler un maximum d'informations non seulement sur l'enquête, ses succès, ses dérives mais aussi sur le contexte tout entier de l'affaire : la vue d'ensemble est large. A l'inverse, Denis Robert n'évoque que ce qu'il a vu, éprouvé et retransmis, lui et lui seul. Avec ses doutes, ses mépris, ses dégoûts, ses étonnements aussi. Tels quels, les deux livres se complètent harmonieusement.

Toujours respectueux envers la mémoire de l'enfant assassiné - Grégory est probablement le seul à ne pas être envisagé avec une ironie qui, on le sent bien, a servi et sert encore de carapace au journaliste - Denis Robert brosse des portraits pris sur le vif : ceux des membres de la famille endeuillée, de la tribu Laroche-Bolle, des villageois mais aussi de ses confrères "journaleux" (Jean Ker en prend pour son grade, Gilbert Ouaki, le couple Bezzina, Michel Serres, Catherine Lévitan, etc ...) et, bien sûr, des enquêteurs.

Cependant, au fur et à mesure qu'on avance dans les articles et bien que Robert se défende d'avoir jamais pris position pendant l'Affaire, on se rend bien compte que, inconsciemment ou pas, le journaliste traite certains avec une sorte de tendresse qui adoucit le trait alors que le mépris et la colère montent contre d'autres. Parmi ces derniers, on citera le juge Jean-Michel Lambert (un cas, tout le monde est d'accord là-dessus) et Muriel Bolle, témoin-clef désormais cloîtrée dans la morne répétition de ce que tout le monde pense, sans hélas ! pouvoir le prouver, n'être qu'une accumulation de mensonges.

Intègre ou s'efforçant de l'être au maximum, Denis Robert rappelle son indignation - partagée par tant de Français - quand il apprit les sommes versées pour les photographies du petit Julien Villemin. Mais il note ensuite la manière dont les avocats - de toutes les parties - se payèrent sur l'argent versé par les médas aux différents protagonistes. Et son article final - ou presque - nous rappelle que, à ce petit jeu-là, la famille Bolle-Laroche a, elle aussi, énormément gagné sur le dos des parents de l'enfant assassiné.

Un moment très fort de ces "Mémoires ..." est celui où Robert raconte le rire du fameux Corbeau, enregistré sur une cassette qu'il avait obtenue par la bande et dont une copie fut, plus tard, entendue à l'audience, lors du procès de Jean-Marie Villemin. Bien que l'on se trouve dans un amas d'encre et de papier d'imprimerie, ce Corbeau, on croit l'entendre et le coeur se serre quand on songe que, effectivement, l'Histoire lui a donné raison : aujourd'hui encore, on ne sait toujours pas de qui il s'agissait.

Et le livre s'achève sur l'évocation de la Vologne qui, elle, connaît certainement et le Corbeau, et l'assassin du petit Grégory.

A lire, sans aucun doute. Et à relire. ;o)

vendredi, juillet 23 2010

Le Bûcher des Innocents - Laurence Lacour

Le Bûcher des Innocents Laurence Lacour

Avec plus de six-cent-cinquante pages, ce livre constitue la somme indispensable pour quiconque tient à mieux connaître les dessous, journalistiques et politiques, de l'Affaire Grégory. A l'époque des faits, son auteur, Laurence Lacour, était la correspondante d'Europe 1 dans l'Est de la France et avait tout juste vingt-sept-ans. A l'issue des neuf ans pendant lesquels l'Affaire ne quittera pas les manchettes des journaux, elle prendra une année sabbatique car, elle l'explique ici avec pudeur mais sans complaisance aucune, pas même pour ses erreurs personnelles, elle ne reconnaissait plus alors la vision du journalisme qui était la sienne à l'origine.

Avec courage, avec impartialité, avec tristesse et colère aussi, "Le Bûcher des Innocents" prouve, si l'on avait encore des doutes sur la question, que, contrairement à ce que l'on pourrait croire en écoutant par exemple Bernard de La Villardière s'emporter sur Direct 8 contre le directeur d'"Ici-Paris", les journaux réputés "à scandales" et qui font effectivement leurs unes en raclant les poubelles, ne sont plus les seuls - et depuis longtemps - à grossir le trait de façon caricaturale et en dépit du bon sens. "Le Figaro", "Le Monde" mais aussi "Le Parisien", "La Croix", "Libération", "L'Humanité" sans oublier "L'Est Républicain" et l'omniprésent "Paris-Match", tels sont les noms des principaux journaux et revues ayant contribué à transformer le meurtre ignoble d'un enfant en lynchage d'une mère et d'un père ravagés par la douleur et l'injustice.

Pour étayer ce travestissement hallucinant de la vérité, nombre de stations-radio (surtout RTL, dominé par le pool Bezzina) et la télévision ont aussi donné de la voix. Tous recherchaient une hallali qui n'a pas eu lieu, tous - ou presque - ont sacrifié à leur folie la mémoire de l'enfant assassiné.

Mois par mois, semaine par semaine, jour par jour et presque heure par heure, depuis le début des faits, en ce 16 octobre 1984, Laurence Lacour raconte ce qui commença comme un fait divers, atroce certes mais perdu parmi les autres faits divers, et se termina par le fameux non-lieu du 3 février 1993 qui non seulement mettait définitivement hors de cause Christine Villemin mais précisait également qu'elle n'aurait jamais dû comparaître devant la Justice.

Elle dit les brumes énigmatiques de la Vologne, les soirées agitées où les journalistes campant à Lépanges reprenaient régulièrement les faits autour de repas bien arrosés, la montée des tensions, le professionnalisme de la gendarmerie, l'amateurisme lunaire du juge Lambert, les obsessions de M° Prompt qui voyait partout des complots de la Droite pour faire renaître la peine de mort et des complots de l'Extrême-Droite contre les honnêtes ouvriers collègues de Bernard Laroche, l'embarras, puis l'agacement de l'Elysée devant les remous suscités par l'Affaire, la course au plus "beau" iscoop/i, à la plus "belle" photo, les tractations des avocats des deux parties pour que leurs clients en tirent un maximum d'argent (et puissent ainsi couvrir leurs honoraires), le rôle ambigu de son confrère Jean Ker, de "Paris-Match", qui, convaincu de l'innocence de Christine Villemin, en viendra aux mains avec Jean-Michel Caradec'h, autre grande pointure de la revue et qui, lui, main dans la main avec le couple Bezzina, s'entêtera à salir la jeune femme par tous les moyens, les sommes plus que conséquentes enfin versées par les rédactions aux "grands reporters" (Caradec'h, Marie-France & Michel Bezzina, etc ...) ainsi qu'aux francs-tireurs (Catherine Lévitan) de la profession.

Mais Lacour dit aussi ses propres doutes, ses certitudes, ses flottements et ce moment terrible où, à l'antenne, elle aura elle aussi un mot cruel envers Christine Villemin. Sans vouloir les dédouaner de la terrible responsabilité qu'ils portent dans le déroulement médiatique de l'Affaire Villemin, il faut bien admettre que les choses ne furent pas toujours simples pour les journalistes. Tantôt sûrs d'eux et arrogants, tantôt déconcertés et hésitants, rares, très rares sont, parmi eux, ceux qui ne changèrent jamais de camp. Selon Lacour, il n'y en eut même jamais qu'un seul, Jean-Michel Hauck, du "Républicain Lorrain." Un seul sur une meute qui, dès les premières investigations, comportait soixante représentants pour cinquante gendarmes ...

Si vous doutez encore que l'Affaire Villemin se transforma très vite en authentique chasse aux sorcières, lisez "Le Bûcher des Innocents" de Laurence Lacour. Et si pour vous, le journal de 20 h, avec ou sans Poivre, ainsi que votre quotidien du matin, sont paroles d'Evangile, lisez-le aussi : ça vous remettra les idées en place. ,o)