Famous Last Words Traduction : Bernard Géniès

De Timothy Findley, j'avais lu, il y a une dizaine d'années, un "Chasseur de Têtes" qui m'avait beaucoup marquée par l'art avec lequel son auteur rendait un hommage onirique à Joseph Conrad, et un "Pilgrim" qui, je l'avoue, m'avait laissée plutôt dubitative. Avec "Le Grand Elysium Hotel", je renoue avec mon impression première.

Le roman se fonde sur deux interrogations historiques : 1) Hitler se contenta-t-il d'apparaître au bon moment et au bon endroit ou fut-il le produit, d'ailleurs prévisible, d'une succession de circonstances qui aboutirent au sinistre paroxysme que l'on sait ? 2) Du côté de l'Axe, certains ont-ils songé à faire de l'ex-roi d'Angleterre, Edward VIII, le pivot d'un ordre pan-germanique totalitaire qui succèderait à Hitler et ses sbires lorsque ceux-ci auraient accompli le "sale boulot" ?

Dans un respect absolu de l'Histoire, Findley ressuscite, à travers le récit gravé par son héros sur les murs des chambres de l'Elysium Hotel, dans les Alpes autrichiennes, ce volcan en ébullition que fut l'Europe, du début des années trente jusqu'à la chute du IIIème Reich en 1945.

Le héros, c'est Hugh Mauberley, romancier américain à succès qui, dans les années vingt, se lie d'amitié avec son compatriote, le poète Ezra Pound, ainsi qu'avec celle qui n'est encore que Wallis Spencer et qu'il rencontre à Shanghaï. Deux attirances qui révèlent déjà un peu l'orientation idéologique de Mauberley, orientation que Findley a la sagesse de présenter dans le contexte de l'époque : d'un côté, le triomphe de la révolution bolchevique qui menace de s'étendre à l'Ouest, pour la plus grande méfiance et la plus grande horreur de ceux que les idées communistes ont toujours fait frissonner, et, de l'autre, la réplique conservatrice à ce totalitarisme révolutionnaire : le totalitarisme fascisme, puis national-socialiste.

Fuyant les troupes soviétiques et américaines qui libèrent l'Europe occupée, Mauberley vient se réfugier à l'Elysium Hotel, où il a conservé de bons souvenirs mais où l'attend la Mort. Avant d'être assassiné par une Némésis engendrée par son passé et tout ce qu'il a pu y voir et y entendre, et pressentant peut-être que ses carnets de notes ne lui survivront pas, il prend la précaution de graver l'essentiel de ce qu'il sait sur les murs des quatre chambres qui forment sa "suite." Ceci pour l'édification des deux officiers américains qui découvriront son cadavre : le colonel Freyberg, obsédé par ce qu'il a vu à Dachau, et le lieutenant Quinn, qui était lui aussi à Dachau mais qui, esprit plus complexe, refuse malgré tout de manichéiser les choses et les êtres.

Les phrases de Findley ont la fluidité et la limpidité d'une rivière. Et pourtant, derrière le premier plan qu'elles nous montrent, elles nous laissent deviner un paysage hachuré d'ombres et de brouillards. Sans doute, en l'espèce, le lecteur passionné d'Histoire trouvera-t-il ici plus facilement son compte puisque le romancier canadien met en scène des personnages comme le duc et la duchesse de Windsor, von Ribbentrop, Rudolf Hess, et quelques autres, les reliant à des événements qui se sont réellement passés mais sur lesquels planent encore de nos jours beaucoup de ténèbres (l'assassinat de Sir Harry Oakes aux Bahamas, les projets d'enlèvement du couple Windsor par les nazis, l'étrange départ de Rudolf Hess vers l'Angleterre et la folie dans laquelle il sombra ...).

Cependant, avec "Le Chasseur de Têtes" - que je relirai prochainement - "Le Grand Elysium Hotel" constitue l'une des portes les plus étonnantes et les plus intéressantes pour pénétrer dans l'univers de ce grand romancier que fut Timothy Findley. ;o)